L’apprentissage par la pratique en danger.
Le stage ou les premières années de collaboration constituent traditionnellement la période où l’on apprend à chercher, rédiger, synthétiser.
Ces tâches formatrices — recherches juridiques, notes de synthèse, projets de conclusions, veille réglementaire — sont précisément celles que l’IA sait désormais faire, souvent plus vite et à moindre coût.
Résultat : là où un cabinet confiait autrefois à un stagiaire un projet de note ou une revue de contrat, il peut aujourd’hui demander à un avocat confirmé d’utiliser un outil d’IA pour produire le même livrable en quelques minutes.
Le risque est double :
Pour le cabinet, une perte de vivier et de renouvellement générationnel ;
Pour les jeunes, la disparition du terrain d’apprentissage par la pratique.
Les “middle” et “seniors” deviennent opérateurs de l’IA.
Les avocats plus expérimentés tirent, eux, profit de cette mutation.
Ils disposent de la vision stratégique, du recul et de la maîtrise du raisonnement juridique nécessaires pour piloter l’IA, contrôler, corriger et valider le résultat.
L’enjeu n’est plus la production, mais la supervision intelligente.
Autrement dit, la valeur se déplace du “faire” vers le “savoir valider”.
Ce basculement bouleverse la pyramide classique du cabinet : moins de juniors, plus de middle et de seniors productifs et une économie interne entièrement repensée. Le modèle “pyramidal” pourrait ainsi céder la place à un modèle “plateau” où l’on privilégie la compétence plutôt que la pyramide des âges et la pérennité des structures.
Une question de formation et de responsabilité.
Mais comment devenir un bon avocat si l’on n’a jamais appris à produire ?
Comment exercer son esprit critique sur un texte généré par IA si l’on ne sait pas comment il se construit ?
La formation des jeunes juristes devient donc une question stratégique autant qu’éthique :
Faut-il maintenir des postes de stagiaires “d’apprentissage” quitte à réduire leur rentabilité ?
Faut-il intégrer la maîtrise de l’IA dans les cursus juridiques et les plans de formation en cabinet ?
Ou faut-il repenser entièrement la chaîne de valeur du travail juridique ?
Réinventer la pédagogie du métier.
L’IA n’est pas forcément une ennemie. Elle peut devenir un outil pédagogique :
Encore faut-il que les cabinets et les écoles d’avocats jouent le jeu et ne transforment pas la technologie en simple levier de productivité immédiate.
Le véritable enjeu : transmettre le métier.
Ce débat dépasse la technique. Il touche au cœur du métier d’avocat : la transmission. Un cabinet sans jeunes, c’est un cabinet sans avenir.
Un jeune privé d’apprentissage, c’est une profession privée de relève. Le risque présent et futur est de voir des cohortes de jeunes titulaires du CAPA s’installer prématurément faute de trouver une collaboration.
Entre IA et humanité, il ne s’agit donc pas de choisir mais de rééquilibrer : faire de la machine un outil d’émancipation, non de substitution.
En conclusion, l’avenir de la Profession dépendra moins de la puissance des IA que de la capacité des avocats à en faire un instrument de transmission et de montée en compétences. Former les jeunes à penser avec l’IA plutôt qu’à disparaître à cause d’elle sera sans doute le plus grand défi des dix prochaines années.


