1. Le cadre juridique de l’astreinte.
1.1. Définition légale et régime juridique.
Une période d’astreinte correspond à une période pendant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l’employeur, doit être en mesure d’intervenir pour accomplir un travail au service de l’entreprise [1].
La loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 a modifié la définition légale de l’astreinte en élargissant le périmètre du lieu d’exécution de celle-ci, permettant désormais sa réalisation non seulement au domicile du salarié mais en tout lieu choisi par ce dernier [2].
La période d’astreinte ne constitue pas, en principe, du temps de travail effectif, mais doit faire l’objet d’une contrepartie sous forme financière ou de repos [3].
En revanche, la durée de l’intervention pendant l’astreinte est considérée comme un temps de travail effectif et doit être rémunérée comme telle, y compris le temps de trajet [4].
1.2. Mise en place des astreintes.
Les astreintes peuvent être mises en place par une convention ou un accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche [5].
Cette convention ou cet accord fixe le mode d’organisation des astreintes, les modalités d’information et les délais de prévenance des salariés concernés, ainsi que la compensation sous forme financière ou sous forme de repos à laquelle elles donnent lieu [6].
En l’absence d’accord collectif, le mode d’organisation des astreintes et leur compensation sont fixés par l’employeur, après avis du comité social et économique et après information de l’agent de contrôle de l’inspection du travail [7].
2. La distinction entre astreinte et temps de travail effectif.
2.1. Le critère déterminant : la liberté de vaquer à ses occupations personnelles.
Le Code du travail définit le temps de travail effectif comme le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles [8].
Cette définition est au cœur de la distinction entre l’astreinte et le travail effectif, comme l’a rappelé de façon constante la jurisprudence [9].
2.2. Une appréciation in concreto des contraintes imposées.
Les tribunaux apprécient souverainement les contraintes pesant sur le salarié pendant l’astreinte à travers plusieurs critères précis.
Le salarié tenu de demeurer dans l’entreprise pour répondre à un appel de l’employeur et qui ne peut, de ce fait, vaquer librement à ses occupations personnelles, n’est pas d’astreinte, mais en période de travail effectif [10].
La jurisprudence vérifie le degré de liberté du salarié pour déterminer s’il peut ou non vaquer à ses occupations personnelles [11].
La fréquence et l’importance des tâches incombant au salarié sont des éléments déterminants pour caractériser une astreinte ou un temps de travail effectif [12].
Pour un salarié disposant d’un logement de fonction, les juges examinent si son obligation de présence l’empêche de vaquer à des occupations personnelles [13].
Le simple fait d’être joignable par téléphone en vue de répondre à un appel de l’employeur constitue une astreinte [14].
À l’inverse, le salarié qui n’est pas obligé de répondre au téléphone n’est pas en astreinte [15].
3. L’apport de l’arrêt du 14 mai 2025.
3.1. Les faits de l’espèce.
Dans cette affaire, un gardien d’hôtel devait assurer en moyenne quatre nuits d’astreinte hebdomadaires, du vendredi soir au mardi matin, et logeait dans une chambre de fonction réservée.
Après son licenciement, il a réclamé le paiement d’heures supplémentaires au titre de ces astreintes (71 300 € + 10% au titre des congés payés y afférents), considérant qu’elles constituaient du temps de travail effectif.
La cour d’appel avait rejeté sa demande principale, considérant que les périodes d’astreinte étaient bien des astreintes et non du temps de travail effectif, tout en reconnaissant que le salarié devait régulièrement intervenir durant ces périodes compte tenu de la vétusté des lieux et du matériel de l’hôtel.
3.2. La position de la Cour de cassation.
La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel en rappelant qu’il convient de vérifier si, pendant les périodes d’astreinte, le salarié est soumis à des contraintes d’une intensité telle qu’elles affectent, objectivement et très significativement, sa faculté de gérer librement le temps pendant lequel ses services professionnels ne sont pas sollicités et de vaquer à des occupations personnelles [16].
La Haute juridiction s’aligne ainsi sur la jurisprudence européenne, notamment celle de la CJUE du 9 mars 2021 [17].
Cette décision s’inscrit dans la continuité d’une jurisprudence qui s’attache davantage au degré de sujétion imposé au salarié qu’au critère du lieu dans lequel il se trouve pendant l’astreinte [18].
4. Conséquences pratiques.
4.1. Un nouveau critère d’appréciation : l’intensité des contraintes.
L’apport majeur de cette décision est l’introduction d’un critère d’intensité dans l’appréciation des contraintes imposées au salarié.
Il ne suffit plus de constater l’existence de contraintes pendant l’astreinte, mais il faut désormais évaluer si ces contraintes atteignent un degré d’intensité tel qu’elles affectent objectivement et très significativement la liberté du salarié de gérer son temps personnel.
Cette appréciation s’inscrit dans la lignée d’un arrêt précédent du 31 mai 2006, où la cour avait déjà relevé qu’une directrice d’établissement pouvait vaquer à ses occupations personnelles dans son logement de fonction, même lorsqu’elle devait être en mesure d’intervenir en cas d’urgence [19].
4.2. Recommandations aux employeurs.
Face à cette jurisprudence, plusieurs précautions s’imposent aux employeurs :
- Encadrer clairement les modalités des astreintes dans un accord collectif ou, à défaut, dans une décision unilatérale précise, en veillant à ne pas imposer des contraintes excessives qui pourraient requalifier l’astreinte en temps de travail effectif.
- Limiter autant que possible les contraintes imposées aux salariés pendant l’astreinte (délai d’intervention, rayon géographique, fréquence des sollicitations).
- Documenter précisément les temps d’intervention réels pendant les périodes d’astreinte, conformément à l’obligation de remettre au salarié un document récapitulatif mensuel [20].
- Prévoir des contreparties adaptées, tant pour les périodes d’astreinte que pour les interventions, sachant que le défaut de paiement des indemnités d’astreinte constitue un manquement rendant imputable à l’employeur la rupture du contrat de travail [21].