Rappelons les faits
Un homme, âgé de 70 ans, est hospitalisé à la suite d’un arrêt cardio-respiratoire (ACR) aux urgences du Jackson Memorial Hospital de Miami, un des plus grands hôpitaux américains. Il est seul et totalement inconscient.
D’abord, il est utile de savoir ce qu’est un ACR. Son diagnostic est clinique. C’est un état de mort apparente avec ventilation absente ou anormale avec présence de « gasps », une absence de réponse à la stimulation, une abolition du pouls fémoral et carotidien, une hypotonie généralisée, parfois avec des mouvements cloniques en rapport avec une hypoxie cérébrale.
Le diagnostic différentiel est un arrêt respiratoire primitif sans arrêt circulatoire (noyade, AVC, corps étranger dans les voies aériennes supérieures). Un arrêt respiratoire qui se prolonge provoque un arrêt circulatoire par arrêt hypoxique.
L’ACR est l’urgence la plus extrême. La réanimation doit débuter quel que soient le lieu et les circonstances. Le but est de maintenir une oxygénation tissulaire suffisante pour protéger les principaux organes d’altérations irréversibles, dont le cerveau.
L’ACR du patient américain s’accompagne d’un tableau clinique de comorbidités très sévère : « chronic obstructive pulmonary disease, diabetes mellitus, atrial fibrillation, an elevated blood alcohol level, hypotension, an anion-gap metabolic acidosis, with a pH of 6.81 ».
Les informations dont disposent les médecins
Les médecins ignorent l’identité du patient. Personne, au moment de sa prise en charge n’est susceptible de donner la moindre information sur les circonstances de l’arrêt cardio-respiratoire, sur les pathologies chroniques dont il souffre, sur le traitement médical en cours, sur son observance, sur son état mental, sur son milieu social.
Le tatouage « do not resuscitate »
Le tatouage du patient, « Do not resuscitate » (DNR) au milieu de la poitrine, parfaitement lisible, consterne l’équipe de réanimation !
On peut interpréter le tatouage comme un refus d’être réanimé. Mais s’agit-il d’un refus catégorique et absolu de toute réanimation, y compris, lors de la prise en charge immédiate, quelque soit l’étiologie de l’ACR ou au décours du protocole de soins à l’hôpital compte tenu de l’état général désespéré ?
Le mot « Not » est souligné !
Une signature, présumée être celle du patient, est également tatouée, sous le DNR. Sur la photo publiée dans l’article, la signature est volontairement cachée pour préserver l’anonymat du patient.
On ignore si la signature est lisible, si elle comporte un prénom, un nom, si elle a mis l’hôpital et les services sociaux sur la piste de l’identification, de l’authentification…
Un élément fondamental retient immédiatement l’attention : l’absence de date !
L’examen externe du corps ne révèle aucun autre tatouage, aucun autre signe, susceptible d’aider à l’interprétation du DNR.
Personne ne sait quand le tatouage a été réalisé, par qui, à quel endroit, et dans quelles circonstances.
Mais en toute logique il n’a pu être fait à l’insu du patient ou contre son gré.
Sauf que l’équipe médicale se méfie !
Quelques années auparavant, un autre patient porteur d’un tatouage DNR, avait expliqué le contexte dans lequel le choix de ce type de tatouage avait été fait. Dans un contexte d’alcoolisation, à la suite d’une partie de poker ! Le patient avait demandé aux médecins de ne pas prendre en considération le tatouage DNR.
Le formulaire officiel DNR
Que dit le formulaire officiel, écrit, de la procédure « Do Not Resuscitate » tout en sachant qu’il existe des variantes selon les Etats américains ?
La clause principale est le plus souvent rédigée ainsi :
« I hereby direct any and all qualified health care personnal commencing on the effective date noted above, to withhold cardiopulmonary resuscitation (cardiac compression, endotracheal intubation, and other advanced airway management, artificial ventilation, defibrillation, and related procedures) from the patient from in the event of the patient’s cardiac or respiratory arrest. I further direct such personnel to provide the patient other medical interventions, such as intravenous fluids, oxygen or other therapies deemed necessary to provide comfort, case or alleviate pain. »
Le formulaire doit être daté et signé par le médecin dont le rôle est de conseiller et d’orienter le patient, connaissant ses pathologies préexistantes.
S’abstenir de réanimer n’est pas arrêter les soins
Attention, s’abstenir de réanimer un patient ne signifie pas le priver de tous soins en fin de vie. La dernière phrase du formulaire précise bien que le patient doit recevoir les soins adaptés pour son confort et contre la douleur. S’abstenir de réanimer n’est pas synonyme d’arrêt des soins.
L’ordre DNR ne doit donc en aucun cas être confondu avec la décision de limiter l’intensité thérapeutique ou d’interrompre la prise en charge (withholding et withdrawing).
Le choix de la réanimation
Alors faut-il faire ou non la Cardiopulmonary Resuscitation (CPR) sur un patient portant un « simple » tatouage DNR ?
Les médecins américains vivent dans la crainte fondée des procès. Les avocats américains tirent à boulets rouges contre tout médecin suspecté d’une erreur médicale. Une loi différente en outre selon les États, plonge le monde médical dans une insécurité juridique notoire !
L’équipe médicale va suivre scrupuleusement dans un premier temps l’algorithme du CPR prévu en cas d’ACR, sans tenir compte du tatouage DNR tout en connaissant son existence et sa signification.
Dans beaucoup de cas, l’ACR peut en effet avoir des causes réversibles, comme l’hypoxie, l’hypovolémie, les troubles métaboliques, comme l’hypo ou l’hyperkaliémie, l’hyperthermie, les thromboses vasculaires, coronaire ou pulmonaire, le pneumothorax suffocant, la tamponnade, les intoxications…
L’adrénaline est le vasopresseur de référence préconisé dans le traitement de l’ACR. L’amiodarone est utilisé dans le traitement des troubles du rythme cardiaque.
L’algorithme de la chaîne de survie avec un monitorage très technique, est parfaitement rodé.
L’article du New England Journal of Medicine précise la nature des soins donnés au patient : « He was placed on empirical antibiotics, received intravenous fluid resuscitation and vasopressors, and was treated with bilevel positive airway pressur. All efforts at treating reversible causes of his decreased level of consciousnes failed to produce a mental status adequate for discussing goals of care. »
L’équipe de réanimateurs a donc tout tenté pour réanimer le patient ! En vain, car celui-ci n’a jamais repris conscience.
Les médecins américains ont choisi la prudence en tentant de réanimer le patient, conscients toutefois de la gravité des comorbidités. Les statistiques ne sont pas encourageantes. 10 à 15 % des patients survivent lors d’un ACR intra-hospitalier. 5 à 7 % des patients survivent lors d’un ACR extra-hospitalier.
Mais l’interprétation juridique du tatouage plonge les médecins et la direction de l’hôpital dans des questions insolubles.
L’avis du spécialiste d’éthique médicale
Les médecins sollicitent l’avis d’un spécialiste d’éthique médicale. Le verdict tombe très vite.
La volonté du patient, exprimée par un tatouage DNR, de ne pas être réanimé lors d’un arrêt cardiorespiratoire doit être respectée.
Puis, après des recherches, le patient est identifié. Enfin, un document écrit assimilé à un DNR, confirmant le tatouage, est retrouvé dans les affaires du patient.
Le doute est définitivement dissipé. la situation est cohérente. Le patient tant par son tatouage que par un document écrit, a exprimé sa volonté de ne pas être réanimé en cas d’arrêt cardio-respiratoire.
Le décès du patient
Le syndrome post-arrêt cardiaque est cliniquement caractérisé par un ensemble de manifestations viscérales, neurologiques, cardiovasculaires, respiratoires, et rénales. Le décès peut résulter d’une défaillance d’organes multiples ou bien d’une mort encéphalique.
Le patient décède peu après d’une défaillance multiviscérale, sans autre tentative de réanimation.
Toutefois, les questions demeurent !
Le caractère révisable et révocable de la décision
Le tatouage du patient peut-il exprimer à lui seul la volonté du patient ?
Le tatouage ne permet pas de changer d’opinion, ou du moins de démontrer, de prouver le changement d’opinion, de s’adapter à une nouvelle situation.
Or, toute décision concernant la fin de vie, ses modalités, doit être révisable et révocable.
Comment « réviser » et « révoquer » un tatouage permanent par définition, considéré comme indélébile, le patient étant dans l’incapacité de modifier sa teneur ? Seule une abrasion au laser par un dermatologue peut modifier ou faire disparaitre le tatouage permanent. Le patient n’a pas la « maîtrise » de son tatouage.
Mais le tatouage peut être un tatouage « temporaire » avec une encre effaçable.
Le scénario n’est-il pas alors totalement différent ?
Il en est de même concernant les tatouages DNAR « do not attempt resuscitation » et NTBR « Not to be ressucitated ».
Le patient peut avoir écrit un living will, un power of attorney, une advance directive, un health care agent, un health care proxy, un acte end-of-life, un life support, corroborant l’intention exprimée dans le tatouage DNR, DNAR ou NTBR.
Mais si le tatouage exprime une intention (une volonté ?) différente d’un des documents listés plus haut ? Ou le contraire ? Que doit respecter le médecin ? Quelle est la prévalence ? Le tatouage ou le document mais contradictoire ? Retient-on alors le document daté ?
La personne de confiance, la famille peuvent aider à trancher. Il faut veiller à ne pas charger la famille ou les proches du poids de la culpabilité d’une décision qui ne leur appartient pas et à ne pas mettre en demeure la famille !
Mais si le patient est totalement seul ?
L’équipe médicale l’est aussi !
Elle sollicite alors l’avis des spécialistes d’éthique médicale. Mais un avis éthique reste un avis éthique. Le consensus est rare dans le domaine de l’éthique, surtout aux États-Unis où les convictions religieuses peuvent largement polluer le débat médico-légal. L’avis n’est pas une autorisation officielle ou judiciaire. Il n’exclut pas un procès, qui peut décimer une équipe médicale. L’hôpital doit-il alors saisir en urgence un juge « pour se couvrir » ?
Les risques de la réanimation cardio-pulmonaire
Bien souvent, les méfaits de la RCP dépassent ses bénéfices. C’est tout le problème.
L’arrêt cardiaque a pu survenir en asystolie no flow avec une durée d’anoxie avant la réanimation cardio-pulmonaire supérieure à cinq minutes. Il a pu aussi survenir en low flow avec une durée de réanimation supérieure à 20 minutes.
Les dommages sur le cerveau sont alors irrémédiables car celui-ci n’a pas été perfusé suffisamment.
Le patient réanimé risque d’être dans un état végétatif permanent (EVP), dans un état pauci-relationnel (EPR) ou dans un locked in syndrome (LIS).
La famille du patient peut alors attaquer l’équipe médicale, pour absence de respect de la balance bienfaisance/non maléficience. La RCP peut engendrer des souffrances supplémentaires, retarder une mort inévitable, priver le patient de sa dignité, provoquer des conflits intra-familiaux, générer des procès interminables.
L’état neurologique ne doit pas être apprécié de façon définitive au décours immédiat de la réanimation (œdème cérébral) mais après quelques jours de réanimation (intérêt de l’hypothermie induite).
On lira avec intérêt les articles du professeur de neurologie Steven Laureys, responsable du « Coma Science Group » ou ceux de Lionel Nacache de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière sur la conscience pour mieux comprendre les affaires en cours devant les tribunaux. Le juge est de plus en plus saisi pour décider si les soins des patients doivent se poursuivre à la suite de réanimation ayant laissé des séquelles très lourdes. Le débat sur la conscience et la fin de vie reste absolument central dans notre société malgré la loi n°2016-87 du 2 février 2016.
La fragilité du tatouage
Dans l’hypothèse d’une catastrophe, d’un accident de la route, voire d’un attentat, où les blessés souffrent de blast, sont criblés de balles, d’éclats, brûlés, polytraumatisés, un tatouage DNR interdit-il ou dissuade-t-il les médecins de réanimer un patient ?
Ou bien le damage control en France ou le scoop and run aux États-unis sont-ils réalisés, coûte que coûte, pour ensuite, dans un deuxième temps, décider « sereinement », en milieu hospitalier spécialisé, du maintien en vie, conformément à l’éthique médicale et aux textes prévus ?
Imaginons un patient, blessé, brûlé, mutilé, blessé par balles, avec des délabrements importants. Son tatouage DNR peut être partiellement ou totalement illisible. Que conseiller au médecin ? Prendre une photo et conserver la preuve de l’impossibilité de « lire » le tatouage ?
Imaginons un patient atteint de troubles psychiatriques sévères, aigus (temporaires) ou chroniques (permanents), porteur d’un tatouage DNR. Ce patient est seul, sans famille, sans personne de confiance, sans directives anticipées ! Mais il exprime sa volonté de ne pas respecter le DNR ! Puis il change d’avis !
Que faire ?
Demander l’avis d’un psychiatre ? Une expertise psychiatrique ? Saisir un juge ?
Rappelons que lorsqu’une personne, en France, fait l’objet d’une mesure de tutelle, elle peut rédiger des directives anticipées avec l’autorisation du juge ou du conseil de famille s’il a été constitué. Le tuteur ne peut ni l’assister ni le représenter à cette occasion.
Mais les difficultés rencontrées par les médecins réanimateurs lors de prise en charge de personnes atteintes de pathologies psychiatriques lourdes sont particulièrement complexes.
Le rappel des textes applicables en France
Quel comportement auraient eu nos médecins du SAMU face à ce patient en ACR, américain, « sans identité », « sans traçabilité », avec son tatouage permanent DNR visible et signé ?
Tous les actes médicaux de réanimation, adaptés à l’état du patient, auraient été faits, afin de préserver toutes ses chances de survie.
Dans l’état actuel du droit français, de la jurisprudence et des recommandations de la HAS, un tatouage DNR chez un patient, seul, en ACR, inconscient et non identifié, ne peut empêcher une réanimation lors de la prise en charge.
Seul le bilan médical, et exclusivement le bilan médical, détermine la décision des médecins de ne pas réanimer, d’interrompre une réanimation ou de continuer à réanimer.
Le rapport du Comité Consultatif National d’Éthique remis en octobre 2014 rappelle l’importance des directives anticipées avec inscription sur la carte vitale et enregistrées dans un fichier informatique national des directives anticipées.
Ces directives anticipées doivent contraindre les soignants tout en leur donnant un pouvoir d’appréciation dans certaines situations. La Haute Autorité de Santé a publié sur son site des explications et des exemples concernant la rédaction des directives anticipées.
Il est utile de rappeler les grands principes énoncés dans le Code de la santé publique.
Pas de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté :
L’article L.1110-5 du Code de la santé publique dit « que le actes de prévention, d’investigation ou de traitements et de soins ne doivent pas en l’état des connaissance médicales, lui faire courir des risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. (…) Toute personne a le droit d’avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance ».
Les conditions de la suspension des traitements :
L’article L.1110-5-1 du CSP dit « que les actes mentionnés à l’article L.1110-5 ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionné ou lorsqu’ils n’ont d’autre effet, que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et si ce dernier et hors d’état d’exprimer sa volonté, à l’issue d’une procédure collégiale définie par voie réglementaire ».
La nutrition et l’hydratation artificielles :
« La nutrition et l’hydratation artificielles, constituant des traitements qui peuvent être arrêtés conformément au premier alinéa du premier article.
Lorsque les actes mentionnés aux deux premiers alinéas, du présent article, sont suspendus ou ne sont pas entrepris, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins palliatifs mentionnés à l’article L.1110-10 du CSP ».
La désignation de la personne de confiance :
L’article L.1111-6 du Code de la santé publique précise que « toute personne majeure, peut désigner une personne de confiance qui peut être un parent, un proche ou le médecin traitant et qui sera consultée au cas où elle-même serait hors d’état d’exprimer sa volonté et de recevoir l’information nécessaire à cette fin. Elle rend compte de la volonté de la personne. Son témoignage prévaut sur tout autre témoignage. Cette désignation est faite par écrit et consignée par la personne désignée. Elle est révisable et révocable à tout moment. Si le patient le souhaite, la personne de confiance l’accompagne dans ses démarches et assiste aux entretiens médicaux afin de l’aider dans ses décisions ».
Il est certain que l’existence de directives anticipées, détaillées, récentes, et la désignation d’une personne de confiance, facilitent énormément le travail des médecins.
On peut citer l’étude dirigée par le docteur Paul-Georges Reuter publiée dans la revue Resuscitation en juillet 2017. L’étude a été faite dans la banlieue de Paris du 01/01/2013 au 30/11/2015.
« Advance directive were available for 148/1985, (7,5 %) of out-of-hospital cardiac arrest (OHCA) patients. Advanced life support was given to 35 patients with directives and 941 patients without (24% vs 51 %) with no significant difference in the characteristics of the support provided ».
On retiendra que 7,5 pour cent des patients avaient rédigé des directives anticipées. C’est un chiffre faible. 24 % de ces mêmes patients ont bénéficié des techniques advanced life support.
Des tatouages très réglementés
L’Académie de Médecine précise que « les personnes tatouées sont estimées à 10 % en France et à 29 % aux Etats-Unis, soit 25 à 35 % de la population des jeunes et adultes de moins de 40 ans. Toutes les populations et les tranches d’âge sont concernées. Les tatouages sont parfois très étendus, plus de 50 % de la surface corporelle ».
En fait, la pratique du tatouage est très réglementée en France. On distingue le tatouage temporaire, rentrant dans le champ des cosmétiques et le tatouage permanent.
Ainsi, le Règlement (CE) n°1223/2009 du Parlement européen et du conseil du 30 novembre 2009 relatif aux produits cosmétiques, organise les tatouages temporaires.
La loi n°2014-201 du 24 février 2014, le décret n°2015-1417 du 4 novembre 2015, mais aussi l’arrêté du 31 mai 2016 fixant la liste de informations à transmettre aux centres anti-poisons sur les substances contenues dans les produits, ou l’arrêté du 19 août 2016 sur la qualification professionnelle des tatoueurs et la qualité des produits, démontrent la volonté des pouvoirs publics d’encadrer le mieux possible ces pratiques.
Peut-on tenter d’ interpréter les tatouages pour mieux comprendre le DNR ?
Les tatouages de toute nature, discrets, petits, gigantesques, devant, derrière, sur le visage, bref, sur toutes les parties du corps, sont donc particulièrement en vogue.
Mais se faire tatouer est-il une simple tentative d’écrire sa propre histoire ou aussi, à travers les DNR, son histoire médicale et chirurgicale, avec un impact on ne peut plus direct sur le choix ou le refus de continuer à vivre ?
Les tatouages seraient des signes d’épreuves, d’étapes éprouvantes, rencontrés dans la vie. Tatouer un DNR est une décision fondamentale. Mais quel événement personnel ou médical a-t-il provoqué cette décision ? Quelle est sa genèse ?
La modification de son corps, ostentatoire, n’est-elle pas simplement une quête de soi ou une forme d’exhibitionnisme, selon certains psychanalystes ?
« Je n’ai pas de tatouage, donc je ne suis personne » ?
Le DNR renforce-t-il alors son identité, sa personnalité, son existence, face à un corps médical si décrié ?
Le mot tatouage viendrait du mot TA, dessin, et du mot ATUA, Dieu. Une langue des mers australes.
Les marins bretons se faisaient tatouer une croix dans le dos. Difficile de fouetter un dos tatoué d’une croix. Mais rien n’empêchait de fouetter le marin fautif sur d’autres parties du corps. Certains moines khmers réalisent aussi des tatouages en leur conférant des pouvoirs magiques. Le Pape Hadrien interdit quant à lui les tatouages vers 780.
Le tatouage n’est pas un simple ornement mais peut devenir un symbole potentiel sacré et religieux. Le tatouage est en tout cas un symbole social certain. Il est avec le DNR le symbole de soins médicaux ou d’une absence voulue de soins médicaux.
Le tatouage, c’est avant tout une marque. Un signe d’appartenance. A soi-même, ou à autrui. Le tatouage, mais aussi à d’autres échelles, le perçage, le maquillage permanent et la scarification, sont des moyens de garder et de revendiquer le contrôle de son corps et de s’identifier.
Un tatouage DNR revendique incontestablement le contrôle de son corps, de la temporalité, du moment de sa mort, de son destin.
Le tatouage serait un repli sur soi, et le signe d’une reconquête de son corps en le considérant comme un territoire inviolable.
La peau, composée de toutes ses couches, reste l’enveloppe du corps, l’expression de la beauté, la partie du corps la plus externe par définition car exposée au regard, au toucher, érogène, si dénudée.
C’est la partie anatomique faisant l’objet de tous les soins.
Pourtant les tatouages sur le visage se multiplient, vilipendant la pureté espérée par toutes et tous d’une peau exempte de toute trace, de toute imperfection.
Le tatouage notamment facial, est-il considéré comme une renaissance, un nouveau visage, une sorte d’auto greffe et donc comme une nouvelle identité ou différente, ou complémentaire ? Ou comme une auto destruction ? Une auto agression ? Qu’en pensent les psychiatres ? Le DNR semble, quant à lui, exclusivement tatoué sur la poitrine. Mais dans la poitrine résident le cœur, la vie.
Se faire un tatouage, c’est appartenir à une communauté. C’est revendiquer son appartenance à un groupe informel plus qu’à une tribu, en quittant la grande communauté des non-tatoués pour rejoindre une petite communauté qui se reconnaît à l’aide d’une représentation physique.
Mais n’est-ce pas aussi une preuve factice d’émancipation de la plus grande communauté pour s’asservir dans la plus petite communauté ? Le DNR ne dessaisit pas forcément le médecin de son pouvoir d’appréciation. Alors où est la contrainte ?
Le tatouage est aussi un symbole de domination, de comptage, d’emprisonnement et de barbarie. Les Nazis tatouaient les déportés. Les SS se faisaient tatouer leur groupe sanguin sous l’aisselle. On tatoue aussi le bétail. Les Yakusas se reconnaissent à leurs tatouages etc…
Le tatouage peut être indélébile ou temporaire. La temporalité d’un tatouage qui va s’évanouir progressivement rassure-t-elle ?
Face à un tatouage DNR temporaire, comment réagir ? On vient de voir que cela complique tout !
Se faire tatouer, est-ce tenir un rôle ?
Bien évidemment, comme on l’a constaté, le droit s’en mêle et s’emmêle, dans des domaines que nous ne soupçonnons pas au premier abord !
Un tatouage original, déposé et protégé, donne à son auteur un monopole d’exploitation sur son œuvre, un auteur, seul à même d’autoriser la copie.
Rappelons que le support reste la peau humaine.
Comment ordonner la saisie et la destruction d’un tatouage, œuvre originale et protégée car déposée à l’INPI, en cas de copie ou de dénaturation ?
Un mannequin ou un artiste du spectacle, un acteur, un chanteur, peuvent-ils vendre leur image en arborant un tatouage protégé ? Si le tatouage est considéré comme accessoire, la loi le permet.
En 2011, Victor Withmill, l’auteur du tatouage facial de Mike Tyson, réalisé à Las Vegas en 2003, a poursuivi en justice Warner Bros et son Very Bad Trip 2. Le personnage de Stu Price arborait le même motif tribal tatoué sur la tempe gauche de l’ancien boxeur.
Mais alors, peut-on imaginer un tatouage DNR avec un superbe désign, original, naturellement protégé, et pourquoi pas en vente sur internet et chez les tatoueurs ?
Assistera-t-on à une mode du tatouage DNR dans le futur et à une multiplication des problèmes d’interprétation ?
Des problèmes médicaux inquiétants
La qualité de l’encre est un sujet préoccupant.
L’Académie de Médecine précise que « les encres nouvelles persistent dans la peau sur une longue période, subissant des modifications de leurs structures physiques et chimiques.
Elles peuvent migrer et sont une source d’infections par la présence fréquente de bactéries. Les retards de cicatrisation sont fréquents. Le risque infectieux est aigu ou retardé et parfois systémique.
On a néanmoins diminué les risques de transmission du virus de l’hépatite B et de l’hépatite C, ainsi que du VIH.
Certaines personnes ont des infections par staphylocoques, streptocoques et pseudomonas. A distance du tatouage, le réveil de germes opportunistes ou commensaux (mycobactéries) est constaté. »
Et si le tatouage DNR est infecté au moment de la réanimation ?
Que fait le médecin urgentiste ou réanimateur ? Ne serait-ce pas le signe d’un tatouage récent, peut-être réalisé trop rapidement, sans recul, sans réflexion, chez un professionnel non aguerri, non compétent ?
N’y-a-t-il pas alors un certain doute sur la volonté « réelle » de la personne tatouée DNR et de son consentement à ne pas être réanimée ? L’équipe médicale ne doit-elle pas être encore plus vigilante face à ces faisceaux d’indices ?
La peau est un support dont la fiabilité est très relative.
Le laser permet d’abraser les tatouages qui ne sont plus désirables.
Mais probablement conviendrait-il de mieux évaluer le discernement des candidats aux tatouages sur le visage. La vie est comme la peau, composée de plusieurs couches. Un tatouage facial peut limiter certaines activités et peut vite devenir indésirable. Une abrasion au laser au visage laisse des traces. Sur la poitrine aussi. Non désirées, cette fois.
Les Indiens d’Amérique, alternant selon les périodes les peintures de guerre et de paix sur le visage, avaient aussi une âme d’artiste. Mais eux vivaient en tribus, solidaires, et structurées. Avec des rites ancestraux, rebelles à la mode…
Probablement que les Hommes-Sorciers et les chamans avaient des méthodes bien spécifiques pour traiter les arrêts cardio-respiratoires. Ou bien laissaient-ils faire la nature, leur conception de la mort étant différente ? Parce qu’il s’agit bien du rapport à la mort ! Le tatouage DNR est-il alors le signe de la mort annoncée ou de la maîtrise de la mort ?
Le tatouage DNR ne révèle-t-il pas plutôt un manque de confiance, une marque de défiance par rapport à la communauté sociale mais aussi par rapport à l’État, face aux défis de prendre des décisions aussi fondamentales, vivre ou mourir ? Un refus délibéré de déléguer des choix fondamentaux aux médecins, et de ne donner aucune latitude à un juge, sinon que de constater une volonté ?
En tout cas, le tatouage DNR fait couler beaucoup d’encre !
L’Académie de Médecine recommande de créer un carnet des « interventions » où chaque acte (chaque tatouage) devra être noté ainsi que les constituants utilisés (encre, pigment, métaux lourds…) et mettre en place une veille épidémiologique de tous les événements indésirables.
Faudra-t-il mentionner dans une rubrique particulière les tatouages DNR ? N’est-ce pas attenter aux libertés fondamentales ? Le médecin urgentiste ou réanimateur aura-t-il accès à ce fichier ? Que pensent la CNIL et le CCNE d’un tel projet ?
Les exercices de simulation médicale ne pourront plus maintenant occulter ce scénario potentiellement infernal du patient en ACR pris en charge avec un tatouage DNR sur la poitrine !
Certains mannequins de dernière génération servant à former les étudiants (et ce, très efficacement) seront-ils tatoués pour conditionner leurs réflexes médico-légaux ?
L’exercice de la médecine s’avère décidément bien complexe.
La HAS pourrait prochainement éclaircir le débat et recommander certaines pratiques. Mais seulement si le phénomène du tatouage DNR arrive en France, ce qui n’est pas encore le cas !
La HAS en profitera pour encourager encore plus les citoyens à rédiger des directives anticipées (détaillées) et à désigner une personne de confiance, compte tenu de toutes les difficultés posées par le seul tatouage DNR.
On peut parier en tout cas que les tatouages n’ont pas dit leur dernier mot, d’une manière ou d’une autre !
A suivre !
Bibliographie indicative
G.E Holt -“Do not resuscitate : an unconscious patient with a DNR tattoo », The New England Journal of Medicine” 30 novembre 2017
Académie de Médecine – Bagot Martine – Bazex Jacques – Beani Jean-Claude – Dreno Brigitte – « Tatouages, la diffusion de la pratique et la diversité des produits utilisés justifient de nouvelles précautions » – 26 septembre 2017 –
Collège National des Enseignants de Réanimation – Réanimation et Urgences – p 99 à 109 – Elsevier Masson –
Attias David – Cardiologie Vasculaire « VG éditions – p 293 à 306
Cours du docteur François Lecomte, Diplôme Universitaire de prise en charge des urgences médico-chirurgicales – Paris 5 – Hôpital Cochin –
Décret n°2002-466 du 5 avril 2002
Décret n°2006-72 du 24 janvier 2006
Laux P – Tralau T – Tentschert J – Blume A et coll. « A medical-toxicological view of tattoing » The Lancet – 2016 – 387 : 395-402
Cooper Lori – Aronowitz Paul – DNR Tattoos : a cautionary Tale – Journal of General Internal Medicine – 2 mai 2012 – (le patient qui avait fait le tatouage DNR à la suite d’une partie perdue de poker)
Fiche tatouage de la DGCCRF
Les recommandations européennes sur l’arrêt cardiaque – Journal Européen des Urgences et de Réanimation – Décembre 2017 –
Reuter Jean-Paul et autres – Prevalence of advance directives and impact or advanced life support in out-of-hospital cardia arrest victims – Resuscitation – Juillet 2017 –
Site du Coma Science Group de Steven Laureys
Site de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière
Nacache Lionel – Minimally conscious state or cortically mediated state – Brain – décembre 2017 -