L’affaire dite Orpea a suscité l’émoi en révélant au grand public des dysfonctionnements particulièrement graves. La grande vulnérabilité des publics accueillis, de même que les tarifs pratiqués ont conduit à s’interroger sur un modèle qui, selon des pourfendeurs de la gestion privée, ne tendrait qu’à optimiser les dividendes versés aux actionnaires.
La gestion privée serait ainsi vouée aux gémonies quand, à l’opposé, la gestion publique serait supposée vertueuse. Bien évidemment, une telle opposition s’avère caricaturale, tant d’un point de vue juridique que d’un point de vue fonctionnel, la réalité étant bien plus complexe.
Rappelons dès à présent que 50% des EHPAD sont soumis à un régime de droit public tandis que l’autre moitié est soumise à un régime de droit privé. Concernant ces derniers, la gestion par des sociétés commerciales représente environ 20% de l’ensemble tandis que la gestion par des organismes sans but lucratif en représente environ 30% [1]. Au sein même des EHPAD privés la nuance s’impose car il n’est pas exagéré de rapprocher du secteur public les établissements gérés par des organismes sans but lucratif.
En réalité, qu’ils soient privés ou publics, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) sont réglementés par un socle commun, ce qui explique d’ailleurs qu’ils soient, peu ou prou, soumis aux mêmes contrôles (voir infra). Pour illustrer ce propos, il peut être souligné que l’article L312-1 du Code de l’action sociale et des familles, qui énumère la liste des établissements sociaux et médico-sociaux, ne distingue nullement entre les EHPAD privés et les EHPAD publics.
De la même façon, tous les EHPAD se voient investis des mêmes missions, lesquelles sont exposées à l’article L312-155-0 du Code de l’action sociale et des familles. Au sens de ce texte, les EHPAD sont notamment en charge des missions suivantes :
hébergement à temps complet ou partiel, à titre permanent ou temporaire, des personnes âgées et fourniture, à chaque résident, a minima, d’un socle de prestations d’hébergement ;
proposition et dispense des soins médicaux et paramédicaux adaptés, des actions de prévention et d’éducation à la santé et apport d’une aide à la vie quotidienne adaptée ;
mise en place avec la personne accueillie et le cas échéant avec sa personne de confiance un projet d’accompagnement personnalisé adaptés aux besoins comprenant un projet de soins et un projet de vie visant à favoriser l’exercice des droits des personnes accueillies.
Sur un plan juridique, il existe donc plus de points de convergence que de différences entre les modes de gestion. La même observation peut être faite s’agissant des contrôles qui nous occupent ici.
La réglementation relative aux contrôles est quasiment commune à toutes les catégories d’EHPAD. La pratique des autorités en charge des contrôles est également similaire, comme a pu le relever récemment le Sénat dans son rapport relatif au contrôle des EHPAD (pris dans leur généralité), ce en des termes assez peu élogieux pour les pouvoirs publics (« Le lancement d’un plan de contrôle des 7 500 Ehpad installés sur le territoire dans les deux ans à venir est un aveu d’échec. C’est la reconnaissance d’une insuffisance des contrôles programmés en routine par les ARS, et par les conseils départementaux lorsque ces derniers sont sollicités pour des inspections conjointes. Cet échec est rappelé par la Cour des comptes qui estime qu’aujourd’hui un Ehpad est contrôlé tous les 20 ou 30 ans - entre un et cinq établissements contrôlés annuellement selon les départements »).
Ce contrôle est avant tout administratif et appelle, de la part des autorités compétentes, l’édiction de mesures de police administrative (tel est d’ailleurs l’intitulé de la section 4, chapitre III, titre I du livre III de la partie législative du Code de l’action sociale et des familles).
Il y a lieu de distinguer ici selon que le contrôle porte sur le fonctionnement général de l’établissement ou sur ses conditions financières de fonctionnement.
1. Le contrôle du fonctionnement général de l’EHPAD.
1.1. Le pouvoir d’injonction et de sanction de l’administration.
Le contrôle des EHPAD est assuré par des agents de l’Agence Régionale de Santé (ARS) et par des agents du conseil départemental dûment habilités et assermentés.
L’article L313-14 du Code de l’action sociale et des familles dispose que lorsque les conditions d’installation, d’organisation ou de fonctionnement d’un EHPAD méconnaissent les dispositions du Code de l’action sociale et des familles ou présentent des risques susceptibles d’affecter la prise en charge des personnes accueillies ou accompagnées ou le respect de leurs droits, l’autorité compétente peut enjoindre au gestionnaire d’y remédier, dans un délai qu’elle fixe.
Ce délai doit être raisonnable et adapté à l’objectif recherché.
Les injonctions adressées au gestionnaire peuvent inclure des mesures de réorganisation ou relatives à l’admission de nouveaux bénéficiaires et, le cas échéant, des mesures individuelles conservatoires, en application du Code du travail ou des accords collectifs.
Le législateur a mis en place des moyens de contrainte particulièrement énergiques pour faire respecter les injonctions adressées au gestionnaire.
Ainsi, s’il n’a pas été satisfait à l’injonction dans le délai fixé et tant qu’il n’est pas remédié aux risques ou aux manquements en cause, l’administration peut prononcer, à l’encontre de la personne physique ou morale gestionnaire de l’établissement, du service ou du lieu de vie et d’accueil, une astreinte journalière et l’interdiction de gérer toute nouvelle autorisation relevant de ladite autorité.
L’astreinte journalière, dont le montant est proportionné à la gravité des faits, ne peut être supérieure à 500 euros par jour.
La durée de l’interdiction est proportionnée à la gravité des faits et ne peut excéder 3 ans.
En plus de ces mesures, l’administration peut infliger une sanction financière plafonnée à 1% du chiffre d’affaires réalisé lors du dernier exercice clos.
Les astreintes et les sanctions financières sont versées au Trésor public et sont recouvrées comme les créances de l’État étrangères à l’impôt et au domaine et elles ne peuvent pas être prises en charge sous quelque forme que ce soit par des financements publics.
Les textes permettent donc aux pouvoirs publics de s’assurer du bon fonctionnement des EHPAD. Reste que ces derniers ne semblent pas s’être donné les moyens d’exercer pleinement leurs missions, comme le suggère le Sénat dans son rapport précité [2].
1.2. La désignation d’un administrateur provisoire.
Si l’injonction adressée à l’établissement et/ou à son gestionnaire n’est pas exécutée dans le délai prescrit, l’administration peut, alternativement ou consécutivement aux astreintes ou sanctions financières, désigner un administrateur provisoire pour une durée qui ne peut être supérieure à 6 mois, renouvelable une fois.
Cet administrateur provisoire ne saurait être confondu avec celui mentionné dans le Code de commerce. L’article R313-26 du Code de l’action sociale et des familles prévoit qu’il est choisi en raison de ses compétences en matière sociale et médico-sociale.
Les difficultés identifiées par l’administration doivent être suffisamment graves pour justifier la désignation d’un tel administrateur. Comme a pu le juger la Cour administrative d’appel de Lyon, tel sera le cas d’un EHPAD dont :
1) le président de l’association gestionnaire avait concentré tous les pouvoirs,
2) une convention avec une société de service qui lui appartenait, signée au titre de l’association gestionnaire pour accomplir les prestations relevant de la compétence de personnels financés dans le cadre de la convention tripartite pluriannuelle avec les autorités de tarification et faisant peser une lourde charge financière sur l’EHPAD,
3) le fonctionnement présentait des risques notamment en raison d’un manque de personnels [3].
Il accomplit, au nom de l’administration et pour le compte du gestionnaire, les actes d’administration urgents ou nécessaires pour mettre fin aux difficultés constatées. Il dispose à cette fin des pouvoirs nécessaires à l’administration et à la direction de l’établissement, dans des conditions précisées par l’acte de désignation.
A ce titre, l’administrateur provisoire peut procéder, en matière de gestion des personnels, au licenciement individuel, à la remise à disposition ou à la mutation des personnels dans les conditions précisées par l’acte de désignation et si ces mesures sont urgentes ou nécessaires, afin de permettre le retour à un fonctionnement normal de l’établissement.
2. Le contrôle financier et budgétaire.
2.1. Cas général.
Ce contrôle est prévu à l’article R313-34 du Code de l’action sociale et des familles qui prévoit que l’ARS, en qualité d’autorité autorisant la création des EHPAD, peut soumettre ces établissements à l’examen d’une mission d’enquête budgétaire et financière.
La composition de cette mission est librement fixée par l’ARS.
Les départements intervenant également aux fins d’autorisation des EHPAD, le président du conseil départemental doit être informé de la décision du directeur général de diligenter une telle mission. Le président du conseil départemental peut désigner des agents pour y participer.
La mission d’enquête peut recueillir, sur place ou sur convocation, tout renseignement de nature budgétaire ou comptable auprès des personnes qu’elle estime utile de solliciter.
Le rapport de la mission d’enquête doit être communiqué au responsable de l’établissement ou du service et à la personne morale qui en assure la gestion. Ceux-ci sont invités à faire valoir leurs observations.
Le directeur général de l’ARS propose des mesures de nature à remédier aux difficultés de fonctionnement constatées.
Ce contrôle - on peut le constater - est extrêmement léger et ne débouche sur aucune sanction.
2.2. La situation des EHPAD gérés par des organismes sans but lucratif.
Le propos qui précède doit toutefois être nuancé pour les EHPAD gérés par des organismes de droit privé sans but lucratif pour lesquels l’article L313-14-1 du Code de l’action sociale et des familles instaure une procédure particulière dans le cas où
« la situation financière fait apparaître un déséquilibre financier significatif et prolongé ou lorsque sont constatés des dysfonctionnements dans la gestion financière ».
Dans cette hypothèse, l’ARS et/ ou le conseil départemental adresse à la personne morale gestionnaire une injonction de remédier au déséquilibre financier ou aux dysfonctionnements constatés et de produire un plan de redressement adapté, dans un délai qu’elle fixe.
Ce délai doit être raisonnable et adapté à l’objectif recherché.
Les modalités de retour à l’équilibre financier donnent lieu à la signature d’un avenant au contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM).
S’il n’est pas satisfait à l’injonction, ou en cas de refus de l’organisme gestionnaire de signer le CPOM, l’autorité de tarification compétente peut désigner un administrateur provisoire de l’établissement ou du service pour une durée qui ne peut être supérieure à 6 mois renouvelable une fois.
La direction de l’établissement perd alors tout contrôle puisque l’administrateur provisoire accomplit tous les actes d’administration urgents ou nécessaires pour mettre fin aux dysfonctionnements ou irrégularités constatés. Il prépare et met en œuvre un plan de redressement.
L’article R313-27 du Code de l’action sociale et des familles ajoute que l’administrateur provisoire procède, en matière de gestion des personnels, au licenciement individuel, à la remise à disposition ou à la mutation des personnels dans les conditions précisées par l’acte qui le désigne. Bien sûr, ces mesures doivent être urgentes ou nécessaires, afin de permettre le retour à un fonctionnement normal de l’EHPAD.
En la matière, l’administration dispose donc d’un pouvoir d’injonction très fort dont elle peut assurer l’effectivité par la désignation d’un administrateur provisoire. Ce pouvoir n’est toutefois pas sans limite et ne doit pas être le prétexte pour assurer une réorganisation forcée (i.e. transfert de l’activité, regroupement). L’article L313-14-1 a avant tout pour objet de permettre au gestionnaire de proposer et d’opérer lui-même le rétablissement de la situation financière de son établissement [4].
Sans préjudice des procédures pénales pouvant être engagées (on rappellera que, dans l’affaire Orpea, les pouvoirs publics ont saisi le procureur de la République en application de l’article 40 du Code de procédure pénale), il peut être constaté que les pouvoirs publics disposent des outils juridiques permettant un contrôle efficace des EHPAD.
Certes, comme l’a relevé le Sénat dans son rapport précité, il existe des « angles morts », principalement en ce qui concerne le contrôle financier et budgétaire des groupes multi-gestionnaires d’établissements. Les contrôles étant exercés établissement par établissement, il est en effet souvent très difficile de disposer d’une vision complète des flux financiers entre le siège (le groupe) et les différents établissements.
L’élargissement des contrôles au niveau des groupe n’appelle toutefois pas de modification législative et réglementaire profonde et devrait pouvoir être aisément opérée.
Le vrai sujet demeure celui des moyens consacrés aux contrôles. Sur ce point, aucune réponse claire n’est visiblement apportée.