Quelle est la probabilité qu'un géant mondial de l'IA propose en France une solution juridique à horizon 3 ans ?

Quelle est la probabilité qu’un géant mondial de l’IA propose en France une solution juridique à horizon 3 ans ?

Rédaction du Village de la justice

... C’est la question qui a été posée, sous forme de sondage, aux abonnés du compte Linkedin des ”RDV Transfodroit", après l’annonce du lancement par Google d’un modèle d’IA spécialisé dans le médical. Comme la comparaison entre les marchés du Droit et du Médical est régulièrement faite, que Google et d’autres se sont déjà intéressés au secteur juridique aux États-Unis notamment, que l’IA a donné un coup de fouet à l’entrepreneuriat dans le secteur juridique... la question se pose légitimement.

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Voici la question posée, et les résultats du sondage, qui n’a valeur que de test de l’opinion générale :

La question est née de craintes en cas d’arrivée de géants sur le marché français, avec leurs propres règles, leurs moyens colossaux, leurs pratiques conquérantes... Et les questionnements que cela impliquerait sur des sujets comme la protection des données personnelles, la souveraineté de nos données et technologies, mais aussi l’arrivée possible d’un concurrent pour les professionnels du droit eux-mêmes (or consultation juridique, activité règlementée).

L’avis majoritaire -et finalement prudent- est qu’il y a entre 30% et 50% de chances que cela se produise, pour 58% des votants, mais on note aussi des avis plus catégoriques pour "aucune chance" ou 100% de chances...

Ce sondage reste modeste, mais il nous permet de creuser ici quelques éléments d’analyse. Nous avons donc interrogé quelques-uns des participants sur les raisons de leur vote...

Image générée... par l’IA bien sûr !

"Aucun chance que cela n’arrive : Des obstacles structurels propres au droit français".

C’est l’avis de Stéphane Lescher, Directeur de marché Directions juridiques chez Septeo :

"Cela fait 20 ans que j’entends parler de l’arrivée des acteurs Américains, et force est de constater qu’ils ne sont toujours pas vraiment présents.
Parmi les raisons :
- Un ROI trop faible pour les géants de l’IA
- Des obstacles structurels propres au droit français
- Une question de confiance et de souveraineté juridique et technique.

La bataille va se jouer ailleurs, sur des logiques d’intégration métier.
Le jour où un géant mondial proposera une IA juridique pertinente en France, elle passera probablement par un partenariat ou un rachat d’un acteur legaltech local. D’ici là, ce sont les éditeurs et start-ups françaises qui doivent tirer parti des LLM, en gardant la main sur leur contextualisation et leur gouvernance."

"La question n’est pas si, mais quand, et surtout par qui."

C’est l’avis d’Antoine Billotte, Conseil en IA pour les professions juridiques :

"Pour moi, ce "50% de chances" s’explique par une forte tension. D’un côté, nous avons une technologie qui permet une révolution ultra-rapide ; de l’autre, la France, qui par ses spécificités, rend l’équation beaucoup plus complexe.

Ce qui me fait dire qu’il y a 50% de chances que ça arrive d’ici à 3 ans :
- La technologie est prête. Comme vous le montrez avec MedGemma, les géants de l’IA savent créer des modèles experts. La capacité technique n’est plus un obstacle, le droit est la prochaine frontière logique.
- Le marché est très attractif. Le marché du droit français est un "gâteau" suffisamment gros pour justifier un investissement majeur. La promesse d’optimiser le travail de milliers de professionnels est un moteur économique puissant.
- La compétition est mondiale. C’est une course. Le premier géant (Google, Microsoft...) qui réussira à s’implanter sur un grand marché de droit civil comme le nôtre prendra une avance décisive sur les autres.

Mais voici ce qui me fait douter, et justifie les 50% restants :
- La complexité de NOTRE droit. C’est le défi n°1. Notre droit civil (avec ses codes, sa hiérarchie des normes) est fondamentalement différent de la Common Law américaine sur laquelle les IA actuelles sont entraînées. Il ne suffit pas de traduire, il faut intégrer une logique entièrement nouvelle. C’est un travail colossal.
- La stratégie logique d’un "géant mondial". Un acteur mondial va prioriser ses investissements là où ils sont le plus rentables et faciles à déployer. Il commencera par les États-Unis, puis s’étendra aux autres pays de Common Law (Royaume-Uni, etc.) où son modèle est plus simple à adapter. La France, complexe et relevant du droit civil, n’arrive qu’après. Cette feuille de route rend l’échéance de 3 ans très ambitieuse.
- Les barrières réglementaires et la concurrence. L’Europe (RGPD, AI Act) impose un cadre strict qui peut effrayer un acteur américain. De plus, des legaltechs locales sont déjà en place. Pour un géant, racheter un acteur local pourrait être une stratégie plus rapide que de tout construire, ce qui change la nature du projet.

Voilà pourquoi ce "50 % de chances" me semble juste. La question n’est pas "si", mais "quand", et surtout "par qui". La technologie pousse fort, mais la stratégie d’un acteur mondial et les spécificités françaises rendent le calendrier de 3 ans très incertain."

"100% de chance que cela arrive : pourquoi le droit français ferait-il exception ?"

C’est l’avis de Mélissa Boï, Docteur en droit & Journaliste scientifique :

"Une question aussi stimulante que pertinente. J’ai voté 100 %, non par excès d’optimisme, mais parce qu’à mon sens les conditions sont déjà réunies pour que ce type de modèle émerge en France dans un horizon de trois ans. Tout concourt à rendre cette évolution non seulement plausible, mais logique.

1. Aujourd’hui, l’offre juridique ne répond plus à la demande. Les professionnels sont en nombre insuffisant, les délais sont souvent très longs, les coûts restent élevés et l’accès au droit est loin d’être égalitaire. (...) L’efficacité est entravée, des erreurs ou oublis peuvent se glisser, et les justiciables n’ont pas toujours les moyens ou les repères pour accéder à une information claire et fiable.
C’est précisément pour ces raisons que de nombreuses solutions alternatives ont vu le jour cette dernière décennie. On peut citer Legalstart, Captain Contrat ou LegalPlace, qui proposent des services juridiques simplifiés et accessibles, particulièrement pour les petites entreprises. Du côté des professionnels du droit, des plateformes comme Doctrine facilitent déjà l’accès aux décisions de justice et à la veille jurisprudentielle, en optimisant la recherche et l’analyse. Ces outils illustrent une tendance : la transformation numérique du droit, portée par la nécessité, est déjà amorcée.

2. Ainsi, le développement d’une IA juridique adaptée au droit français ne semble pas irréaliste. L’exemple de la médecine que vous citez est éclairant. L’IA y est déjà largement utilisée, y compris dans des domaines aussi délicats que l’imagerie médicale, où elle dépasse souvent les capacités humaines. Les radiologues ne s’en méfient pas : ils l’utilisent. Certains radiologues s’appuient sur elle pour un premier tri, d’autres pour confirmer une hypothèse ou lever un doute [1]. Les modèles ne sont pas parfaits, notamment du fait de l’accès restreint aux données (souvent limitées à un établissement), ce qui freine leur généralisation. Cependant, dans le contexte du droit, cette contrainte n’existe pas. En France, les textes sont disponibles en accès libre (et les décisions pourraient l’être). Légifrance, entre autres, offre une base riche et accessible, exploitable à l’échelle nationale. C’est un atout considérable.

3. D’autant que le droit français possède une logique rigoureuse, une structure hiérarchisée et des raisonnements méthodiques qui se prêtent bien à l’entraînement de modèles fondés sur l’interprétation, la comparaison et l’analyse logique. À la différence de la médecine, les sources sont uniformes, centralisées, et évolutives en temps réel. Cela permettrait à une IA bien conçue de suivre l’actualité juridique, d’intégrer les évolutions législatives, et de structurer ses réponses selon les méthodes propres à notre système.
Pour les usagers, ce serait un levier d’accessibilité. Le site service-public.fr en témoigne : l’État a la volonté d’informer le public, à travers des articles vulgarisés, des formulaires CERFA accessibles et des modèles types. L’IA permettrait d’aller plus loin, en rendant ces ressources réellement interactives. L’usager pourrait poser directement sa question juridique (l’IA pourrait demander des précisions sur sa situation), générer un document, ou être orienté vers le bon professionnel selon la nature du litige.(...)
Enfin, pour l’administration, c’est une perspective stratégique, avec les contraintes budgétaires actuelles.

4. Certaines solutions existent déjà en France (...). À l’étranger, l’IA que vous citez dans votre question existe déjà : seul le temps (la volonté aussi…) nous sépare d’une telle solution en France. Harvey, destinée aux professionnels du droit et soutenue par OpenAI, est déjà utilisée et ce, y compris par les bureaux français de cabinets internationaux. C’est un modèle très performant ! Ces exemples confirment que l’IA appliquée au droit n’est plus une hypothèse mais une réalité en expansion.

Dès lors, pourquoi le droit français ferait-il exception ? Les données existent, les usages émergent, les besoins sont pressants, les technologies sont matures. Il ne manque qu’un pas stratégique. L’IA est une révolution en cours. Dans trois ans, elle aura franchi bien d’autres frontières. Celle du droit français ne fait aucun doute à mes yeux."

Conclusion...

RDV dans 3 ans ? Ou bien avant, dès cette fin 2025, au Congrès RDV des Transformations du Droit, RDV incontournable chaque année de l’innovation juridique et de la Legaltech, où l’on parle de Tech mais aussi d’humains !
Ici on rencontre les acteurs d’aujourd’hui et de demain...

Rédaction du Village de la justice

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