Des difficultés à passer le cap.
Un projet pluri-professionnel répond à plusieurs enjeux et requiert de multiples connaissances, celle de bien connaître les spécificités du ou des professionnels avec qui l’on souhaite s’associer, de son apport, de sa complémentarité pour créer et capter encore plus de valeur ensemble, de bien comprendre les freins et opportunités règlementaires et déontologiques de chacun, de bien maîtriser le positionnement des parties prenantes dans le montage et le chainage de l’offre de service délivré au client et sa proposition de valeur.
Plusieurs leviers ont été mis en application pour permettre à ces professions d’entreprendre :
la charte de collaboration interprofessionnelle signée en juin 2006 par les instances des avocats, notaires et experts-comptables ;
le livre blanc réalisé par Open Law en 2017 sur l’exploration des perspectives ouvertes par l’interprofessionnalité simulant « in vitro » la création d’une société pluri-professionnelle d’exercice ;
le guide pratique élaboré en 2020 à destination des professionnels souhaitant monter une SPE par le groupe de travail interprofessionnel du CNB, de la Chambre nationale des commissaires de Justice, du CNCPI, du CSN, de l’Ordre des experts-comptables et du groupe des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation.
Pourtant, force est de constater que malgré ceux-ci, mûrir son projet et passer d’une démarche individuelle "mono-professionnelle" à une intelligence collective pluri-professionnelle n’est pas chose aisée, par défiance, méfiance ou méconnaissance.
S’approprier des compétences.
Afin d’accélérer sur cette opportunité offerte tournée vers le client, répondant encore plus aujourd’hui depuis l’apparition de cette crise sanitaire à des besoins de droit et de chiffre nécessitant des compétences transverses avec une approche multisectorielle et sur un segment de marché, il est primordial de lever les freins et résistances existants en passant par l’appropriation de compétences ou de remise à niveau et de renforcement de celles-ci.
L’information et, de manière plus ciblée, la formation est un rempart et un ressort à activer pour diffuser et développer cette culture de l’interprofessionnalité.
- Dan Kohn
Des formations dédiées à tous les aspects organisationnels, structurels, business, marketings, déontologiques, numériques, digitaux, RH, financiers apparaissent comme la solution permettant d’avoir une meilleure compréhension pour entreprendre sereinement en maitrisant le risque.
Sur cet aspect, nos travaux menés sur ce référentiel de compétences nous ont montré que la dimension de « projet d’interprofessionnalité » ne peut se faire qu’autour d’objectifs communs et de collaborateurs partageant la vision portée par leur entité de rattachement avec des ressources communes.
Un travail de sensibilisation des collaborateurs, afin de comprendre les métiers, le fonctionnement et les contraintes propres à chacun est utile, si ce n’est nécessaire pour le bon fonctionnement d’une SPE.
Les enjeux liés aux modes et aux méthodes de travail entre les collaborateurs nécessitent de travailler sur la sensibilisation de ceux-ci pour qu’une nouvelle culture interprofessionnelle puisse s’instaurer pour créer des habitudes transverses.
Ces enjeux sont le transfert de compétences entre professionnels, ainsi que les enjeux techniques du passage à une SPE pour une entité classique, également les outils de management pour faciliter l’entente entre les collaborateurs.
Pour répondre à ces différentes problématiques d’acquisition des savoirs, les blocs de compétences que nous avons réalisés sont mis à disposition des différents organismes de formation leur permettant de s’adresser à ces populations pluri-professionnelles autour d’objectifs clairs, définis et certifiants.
Deux approches sont alors possibles pour ces professionnels :
soit les associés envoient des collaborateurs à fort potentiel sur ces formations afin de mûrir et nourrir le projet pluri-professionnel de la structure, en faisant monter les équipes en compétences en les faisant passer chef de projet, auquel cas ce pilotage de parcours interprofessionnel sera un instrument de fidélisation des équipes ;
soit, le collaborateur de la structure décide pour lui-même d’entreprendre un projet pluri-professionnel, auquel cas, il se formera en dehors de la structure pour y acquérir les compétences nécessaires et rencontrer d’autres professionnels du droit et du chiffre pour développer des projets communs.
Ces modules et blocs de compétences sont pour certains transposables et adaptables pour d’autres filières et industries.
Quel avenir pour la formation à l’interpro ?
Pour que la mayonnaise de l’interprofessionnalité prenne et surtout qu’elle tienne, à mon sens, il faudrait que ces formations soient décloisonnées et dispensées auprès des différentes professions concernées réunies ensemble, pourquoi pas autour d’un DU Interprofessionnel...
Se pose donc la question d’un enseignement dispensé a minima au sein des universités en faculté de Droit à partir du Master et à la sortie de la faculté de Droit de la possibilité d’intégrer une école pluri-professionnelle droit et chiffre comprenant un parcours d’apprentissage d’expertises connexes et transverses.
Preuve en est, dans le cadre de l’initiative « Crée Ton Cab », un programme dispensé au sein de l’IXAD et de l’EDARA auprès des élèves avocats. Durant deux mois, ceux-ci sont immergés pour modéliser un cabinet fictif intégrant toutes les composantes d’un cabinet en exercice (marketing, business, digital, organisation, gouvernance, déontologie, technologie), 65% des projets rendus s’articulent autour du pluri-professionnel. Il y a donc une vraie compréhension et une volonté d’associer des compétences transverses au bénéfice de la satisfaction client sur une problématique donnée.
Pour boucler la boucle et passer de l’assimilation à l’action, dans le cadre du programme ambitieux Re-Open lancé en mai 2021 sur la manière dont les professions du droit et du chiffre peuvent travailler et innover ensemble dans l’intérêt des entreprises, et d’une manière générale au bénéfice de l’économie et de la société, Open Law travaille sur deux axes associés à des livrables.
Un premier axe autour d’un check-up de la situation d’une entreprise pour anticiper les difficultés liées à la reprise autour de 8 thèmes, un deuxième axe sur la réalisation d’un mapping des différents leviers à activer par profession du droit et du chiffre sur des solutions de financements pour relancer leurs structures (sur des aspects RH, innovation, technologiques) associé à une matrice pluridisciplinaire identifiant les différentes professions avec lesquelles s’associer pour trouver un modèle d’affaires avec une approche sectorielle sur un segment de marché intégrant les parties cibles, technologies à déployer, financements, partenariats, déontologies.
Vous l’aurez compris, de nombreux leviers existent aujourd’hui pour mûrir, développer et mettre en œuvre son projet interprofessionnel ou pluri-professionnel.
Next level ?
Du point de vue de la compétitivité et pour pouvoir faire jeu égal avec nos voisins européens, à mon sens, il sera nécessaire d’harmoniser au niveau de l’UE et faire évoluer le cadre législatif et déontologique de nos professions du droit et du chiffre sur l’association entre professionnels issus de professions règlementées ou non, ainsi que sur la question du financement et de la provenance des capitaux.
Il sera également important de créer des espaces de co-working interprofessionnels pour favoriser le rapprochement avec un accueil du public pour répondre à des besoins et problématiques transverses, ainsi que la création d’accélérateurs interprofessionnels.
Enfin, étant donné que le législateur a œuvré pour apporter plus de compétitivité et d’attractivité à celles et ceux qui veulent se regrouper, pour accélérer sur la création de structures pluri-professionnelles, si on regarde la SPE comme un instrument, voire comme un produit, développer une offre de service interprofessionnel sous forme de franchise permettrait à une grande partie des professions de s’en saisir plus facilement car tout le travail de méthodologie, de processus, en passant par le financement, le positionnement et la promotion du service, aura été réalisé en amont...
Le regard de Gaëlle Loinger-Benamran, Conseil en Propriété Industrielle, Associée de Taoma Partners, SPE avocats et CPI.
« Je pense que la formation à l’interpro doit se développer car cela permet d’adresser les problématiques concrètes qui se posent à tout exercice en commun de plusieurs professions (respect des règles déontologiques, problématiques RH, d’assurance etc…) et de trouver des solutions pragmatiques, adaptées aux besoins de chacun. Ces formations pourraient également permettre de démystifier certaines craintes et de lever les freins de certains. »
D’autres initiatives liées à la formation à l’interpro...
L’EFB a mis à l’honneur cette thématique avec Campus en 2018.
Le groupement Alta-Juris en avait fait sa thématique centrale lors de leur 16ème congrès en 2016, ils ont d’ailleurs monté un partenariat avec le réseau d’experts-comptables Cabex en 2018 pour délivrer une offre commune, le réseau d’avocats Eurojuris qui intègre des huissiers dans ses membres a réalisé une formation dédiée à l’interprofessionnalité en mai 2021 au sein de la structure du Trion cofondée par le cabinet d’avocats Avodes qui a procédé à un regroupement de professionnels autour de quatre pôles de conseil et d’expertises notaire, avocat, huissier et expert-comptable.
Le groupe Legapôle, regroupement interprofessionnel des métiers du droit et du chiffre intégrant des pôles d’activités composés de courtiers en crédits et assurances, d’experts immobiliers, de géomètres, de commissaires de justice, a créé sa propre académie permettant à ses affiliés et collaborateurs de pouvoir monter en compétence sur des sujets interprofessionnels répondant aux besoins de leurs clients avec une approche de multi-expertises.
Les Talk’s de Secib en 2016 autour d’un catalogue de formations dispensées aux avocats autour de plusieurs modules dont un qui s’intitule « mettre en œuvre son projet pluri-professionnel », près de 4 000 avocats formés à ce jour.