Qui fait la loi dans l’Espace ?

Par Zineb Badah.

350 lectures 1re Parution: 5  /5

Explorer : # droit spatial # responsabilité des États # coopération internationale

Lorsque l’on pense à l’Espace, on imagine souvent l’infini, la science-fiction et les grandes aventures technologiques. Les images de fusées qui s’élancent vers le ciel, de stations orbitales en apesanteur ou encore de sondes explorant les confins du système solaire nourrissent depuis longtemps nos rêves collectifs. L’Espace, c’est le lieu de tous les possibles : celui des découvertes scientifiques, des prouesses technologiques et des ambitions géopolitiques.
Pourtant, derrière ces représentations spectaculaires, une question fondamentale se pose : quelle est la place du droit au-delà de notre atmosphère ? Car si l’Espace évoque l’infini, il n’en reste pas moins un territoire, où des intérêts divergents, s’affrontent et où les activités humaines doivent être encadrées. Les satellites qui assurent nos communications, les constellations qui bouleversent l’observation de la Terre, ou encore les projets d’exploitation minière de la Lune ne sont pas de simples prouesses techniques : cela implique des choix politiques, économiques et éthiques que seul le droit peut réguler.
L’Espace n’est pas une « zone de non-droit », mais il est régi par un corpus juridique encore jeune, construit dans le contexte de la guerre froide, et aujourd’hui confronté à des défis inédits. Comprendre comment s’appliquent ces règles, et comment elles doivent évoluer, revient à s’interroger non seulement sur la conquête spatiale, mais aussi sur la manière dont l’humanité choisit d’organiser son avenir commun au-delà de la Terre.

-

Un cadre fondateur : le Traité de l’espace de 1967.

Le droit spatial trouve son socle dans un texte central : le Traité de l’Espace de 1967 (Outer Space Treaty), adopté sous l’égide des Nations Unies et ratifié par plus d’une centaine d’États.

Deux principes majeurs y figurent :

  • La non-appropriation (article II) : aucun État ne peut revendiquer de souveraineté sur la Lune, sur une planète ou sur une orbite. Contrairement à l’histoire des grandes découvertes terrestres, planter un drapeau dans le sol lunaire n’a aucune valeur juridique.
  • L’utilisation pacifique (article IV) : l’espace doit être réservé à des activités pacifiques, ce qui exclut notamment l’installation d’armes de destruction massive.

À ces principes s’ajoute une règle de coopération : l’espace doit être exploré et utilisé dans l’intérêt de tous les pays, quel que soit leur niveau de développement.

À l’époque, ce texte représentait un compromis remarquable. En pleine guerre froide, Américains et Soviétiques ont accepté de définir l’espace comme un terrain neutre, échappant aux rivalités territoriales. Une vision presque utopique, mais qui a posé les bases d’une gouvernance internationale.

Les astronautes : des envoyés de l’humanité.

Le droit spatial ne se limite pas à l’encadrement des territoires célestes : il touche aussi aux personnes. L’Accord sur le sauvetage de 1968 prévoit que tout astronaute en détresse doit être secouru et rapatrié en toute sécurité, quel que soit son pays d’origine.

Dans la même logique, l’article V du Traité de l’espace définit les astronautes comme des « envoyés de l’humanité ». Ce statut dépasse l’appartenance nationale : il affirme une forme de fraternité universelle face aux dangers du vide spatial.

Derrière ces dispositions juridiques se cache un message profondément humain : dans l’espace, la solidarité prime sur la rivalité. C’est l’une des rares sphères où le droit international a su s’élever au-dessus des clivages politiques.

La responsabilité des États : l’empreinte terrestre persiste.

Même si l’on parle aujourd’hui beaucoup de SpaceX, Blue Origin ou d’autres acteurs privés, le droit spatial rappelle un principe fondamental : les États restent responsables de toutes les activités spatiales menées sous leur juridiction.

Selon la Convention sur la responsabilité de 1972, un État est responsable des dommages causés par tout objet spatial immatriculé sous son nom, qu’il soit lancé par une agence publique ou par une entreprise privée. Si un satellite chute sur une maison ou entre en collision avec un autre engin, c’est l’État qui répondra devant la communauté internationale.

Ainsi, même à des milliers de kilomètres au-dessus de nos têtes, la souveraineté juridique terrestre continue d’exercer son emprise.

Les nouveaux défis : un Far West orbital ?

Soixante ans après les premiers traités, le droit spatial se heurte à des défis inédits :

  • L’exploitation des ressources : depuis 2015, les États-Unis, rejoints par le Luxembourg et d’autres pays, ont adopté des lois permettant à leurs entreprises d’exploiter les ressources minières de la Lune ou des astéroïdes. Ces législations unilatérales posent une question : peut-on concilier appropriation économique et principe de non-appropriation posé en 1967 ?
  • Les débris spatiaux : aujourd’hui, plus de 30 000 débris de plus de 10 cm circulent en orbite, sans compter les millions de fragments plus petits. Chaque collision accroît le risque d’un effet domino. Pourtant, aucun traité n’impose de les éliminer : la prévention repose surtout sur des recommandations non contraignantes.
  • La militarisation : si le Traité de 1967 interdit les armes nucléaires en orbite, il ne couvre pas d’autres activités militaires. Espionnage, brouillage, capacités offensives… l’espace devient un terrain stratégique, où les règles restent floues.

Ces zones grises montrent que l’espace, conçu comme un bien commun, tend à devenir un nouveau terrain de compétition économique et géopolitique.

Quel avenir pour le droit spatial ?

Pour beaucoup de juristes, le droit spatial doit évoluer.
Parmi les pistes envisagées :

  • adopter des normes internationales contraignantes pour limiter les débris ;
  • définir un cadre juridique clair pour l’exploitation des ressources ;
  • renforcer les mécanismes de coopération entre États, agences et acteurs privés.

Certains évoquent la création d’une conférence internationale permanente, sur le modèle des COP pour le climat, afin de débattre régulièrement des enjeux spatiaux et d’anticiper les conflits.

Conclusion : l’Espace, miroir de nos choix de société.

Le droit de l’Espace n’est pas une curiosité réservée aux spécialistes. Il interroge directement notre rapport au progrès, au pouvoir et au bien commun. Coopérerons-nous pour que l’espace reste un terrain de découverte au service de tous, ou accepterons-nous qu’il devienne une nouvelle scène de rivalités et de prédations ?

L’Espace, en apparence lointain, nous tend en réalité un miroir : celui de notre capacité à bâtir un droit universel, au service de l’humanité tout entière.

Zineb Badah
IT Manager – Aérospatial / Space Tech
Luxembourg

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

5 votes

L'auteur déclare ne pas avoir utilisé l'IA générative pour la rédaction de cet article.

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 157 175 membres, 29187 articles, 127 367 messages sur les forums, 2 700 annonces d'emploi et stage... et 1 400 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Ouverture des inscriptions pour les RDV des Transformations du Droit 2025, votre RDV annuel.

• Parution de la 2nde édition du Guide synthétique des solutions IA pour les avocats.





LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs