QVCT : "Les avocats ont eux aussi besoin d'être accompagnés et soutenus."

QVCT : "Les avocats ont eux aussi besoin d’être accompagnés et soutenus."

Interview de Shirley Leturcq, Avocate au Barreau de Marseille, réalisée par Alain Baudin, Rédaction d’Actus des Barreaux

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Explorer : # qualité de vie et des conditions de travail (qvct) # gestion du stress # équilibre vie professionnelle et personnelle # innovation technologique

Au printemps dernier, le barreau de Marseille s’est doté d’une commission Qualité de vie qui a rapidement engagé trois chantiers prioritaires pour améliorer les conditions d’exercice des avocats et favoriser leur bien-être professionnel.
Ces actions, identifiées à l’issue d’un sondage réalisé auprès de la profession, visent à privilégier la santé, préserver l’équilibre entre vies professionnelle et personnelle et mieux prendre en compte la gestion du cabinet.
À la tête de la commission, l’avocate Shirley Leturcq revient plus longuement sur l’origine du projet et ses perspectives d’évolution au cours d’un entretien.

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Journal du Village de la Justice : À quelle date la commission Qualité de vie au barreau a-t-elle vu le jour à Marseille et quelles sont ses origines ?

Shirley Leturcq : « La commission QVB, comme on la nomme maintenant, a été lancée le 2 avril 2025. Elle est née de la volonté de M me la bâtonnière Marie-Dominique Poinso-Pourtal et de M. le vice-bâtonnier Jean- Michel Ollier qui avaient très clairement inscrit sa création dans leur programme de campagne. Après leur élection et compte tenu de la courte durée du mandat, il fallait donc s’y mettre très vite. C’est ce qu’ils ont fait. »

JVJ : Vous êtes maintenant aux commandes de cette nouvelle commission.

S.L : « Le sujet central de la qualité de vie et du bien-être au travail m’a toujours préoccupée au sein de mon cabinet et les fonctions de médiatrice que j’exerce m’ont également permis de découvrir l’analyse des pratiques professionnelles. J’ai été désignée dès ma réélection au Conseil de l’Ordre aux côtés d’autres nmembres du conseil et de confrères qui ont sollicité de participer aux premiers travaux. »

JVJ : Comment avez-vous mené votre réflexion pour élaborer le projet ?

S.L : « Nous avons commencé par consulter ce qui était écrit sur le sujet. Au premier rang de nos sources, le rapport du CNB daté de décembre 2023 et intitulé Bien-être avocat et bien-être de l’avocat : vers un
nouveau paradigme
. Les chiffres qu’il publie sur les renoncements à la profession et son manque d’attractivité sont alarmants.

J’ai approfondi mes recherches en prenant connaissance de statistiques issues d’enquêtes ciblées et je suis allée voir de quelle manière le Barreau du Québec appréhendait la question. Nous avons réalisé un bref sondage sous la forme d’un questionnaire diffusé à l’ensemble des confrères du barreau et prendre ainsi leur pouls quant à leur qualité de vie professionnelle. »

JVJ : Combien êtes-vous dans l’équipe que vous évoquez ?

Shirley Leturcq

S.L : « Sur les 24 membres du Conseil de l’Ordre, nous sommes quatre à participer aux travaux. Nous avons également accueilli des consœurs qui font de l’accompagnement en développement personnel et professionnel et qui bénéficient par conséquent d’une bonne expérience sur ces sujets. D’autres sont venues par intérêt pour nos travaux. Actuellement, nous sommes huit. »

JVJ : Quelles ont été les conclusions de votre sondage ?

S.L : « 39 % des participants considèrent sans grande surprise que leur qualité de vie au travail s’est détériorée. 26 % la jugent stable et 35 % perçoivent une amélioration. 86 % des confrères reconnaissent cependant l’intérêt de leur travail dont ils affirment qu’il est porteur de sens. 58 % se déclarent fiers de
l’exercer, 36 % le sont parfois et seuls 6 % le sont rarement.

80 % des répondants se disent en outre satisfaits de la qualité de leurs relations professionnelles au cabinet ou dans leur environnement de travail. Ce chiffre est à mon sens rassurant dans la mesure où ce point précis, sujet à préoccupations, peut entraîner une exposition aux risques psychosociaux.
Également interrogés sur le thème du soutien à la gestion du stress, 34 % et 33 % des confrères le trouvent respectivement inexistant et moyen. 57 % affirment encore que la charge importante de leur travail fréquemment interrompu nuit à la qualité de leur exercice.

Si 55 % perçoivent des perspectives d’évolution professionnelle satisfaisante, 45 % pensent a contrario qu’elles sont inexistantes. 63 % pointent d’autre part des rémunérations insuffisantes. Quant à l’équilibre entre vies professionnelle et personnelle, 58 % parviennent à le maintenir avec difficulté et 21 % n’y réussissent pas. 54 % déplorent également que la parentalité ne soit pas prise en compte dans l’organisation de leur travail.

Dans un domaine qui appelle par ailleurs toute notre attention et nous amène à agir, 98 % des avocats ignorent enfin les dispositifs existants en matière de qualité de vie professionnelle. »

JVJ : Quels sont justement ces dispositifs méconnus dont la profession peut bénéficier ?

S.L « Ceux qui existent au niveau national ont récemment évolué. Au moment où nous avons réalisé le sondage, des bilans gratuits de compétences étaient notamment proposés aux confrères enclins à s’interroger sur la poursuite de leur exercice. La Prévoyance des Avocats a de son côté ouvert une ligne d’écoutedepuis quelques années. »

JVJ : Quelles réponses le barreau de Marseille apporte-t-il de son côté ?

S.L : « Elles existent de manière diversifiée. La commission Sauvegarde et Solidarité soutient les avocats confrontés à des difficultés financières qui peuvent avoir des conséquences sur leur état de santé (et inversement). La commission Culture propose aussi des partenariats avec le Mucem ou le Théâtre de la Criée parce que bien vivre, c’est aussi savoir libérer son esprit et son cœur.

L’École des avocats du Sud-Est (EDASE) met quant à elle en place des modules de formation continue centrés sur la manière de réduire sa charge mentale ou d’éviter, voire de surmonter le burn-out. Un guide social, élaboré par le barreau, est en outre à la disposition des confrères. »

JVJ : Quelles actions immédiates la commission QVB va-t-elle mettre en œuvre ?

S.L : « Les résultats du sondage nous ont permis de définir trois chantiers prioritaires en fonction des préoccupations exprimées par les participants. Il y a tout d’abord la santé au travail. Elle est physique, mais elle est aussi mentale, désignée Grande Cause nationale en 2025. Le deuxième vise à préserver l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle que les nouvelles générations conçoivent différemment parce qu’elles ont leurs propres codes.
En vingt années d’exercice, j’ai observé l’évolution et j’ai essayé de préserver cet équilibre au maximum. Aujourd’hui, les préoccupations qu’il suscite sont de
plus en plus affirmées. En réalisant notre troisième chantier, nous allons
enfin nous pencher sur la gestion du cabinet, un thème large qui englobe entre autres la manière de l’organiser, de manager ses équipes, de travailler sur l’intelligence collective ou d’utiliser les nouvelles technologies. »

JVJ : Quelles sont aujourd’hui vos premières initiatives concrètes ?

S.L : « Une démarche croisée entre les commissions QVB et Sauvegarde et Solidarité a quasiment abouti à la mise en place d’une permanence d’une assistante sociale qui informera les confrères sur leurs droits sociaux et les aidera à se sentir moins isolés en cas de difficultés. Il s’agira ensuite de ritualiser notre « Journée du bien-être » pour changer de paradigme et s’autoriser à en parler quand on est avocat. Nous ne sommes pas que des combattants et nous avons le droit nous aussi d’être accompagnés et soutenus, d’autant plus qu’au barreau de Marseille, beaucoup exercent en individuel. Nous sommes par ailleurs en phase de développer un partenariat avec un service de médecine du travail. »

JVJ : Prévoyez-vous de faire appel à des professionnels du bien-être ?

S.L : « Notre partenariat ne se limite pas aux seuls médecins du travail. Il s’élargit effectivement à d’autres professionnels, dont des psychologues ou des nutritionnistes. Notre objectif est d’évoluer vers une meilleure gestion du stress et toujours plus de bien-être en associant peut-être des sophrologues et des réflexologues. »

JVJ : Certains aspects des thèmes « Équilibre entre vies professionnelle et personnelle » et « Gestion du cabinet » vous semblent-ils étroitement liés ?

S.L : « L’axe santé est privilégié, mais nous abordons également la question qui recoupe ces deux thématiques. Nous voulons développer des groupes d’analyse des pratiques professionnelles qui permettent de mutualiser les compétences, de reprendre confiance, d’être reconnu par des pairs et de rompre l’isolement que génère parfois un travail sédentaire. »

JVJ : Envisagez-vous des formations qui compléteraient celles que dispense l’EDASE ?

S.L : « Nous avons pensé à faire intervenir d’autres formateurs ou des membres de notre profession, dont des consœurs qui, au sein même de notre commission, sont compétentes sur différents sujets. Or, l’école d’avocats a un monopole en matière de formation continue. L’idée n’est donc pas d’établir une concurrence mais de compléter et de renforcer son offre, notamment dans le domaine de la
formation initiale. Un nouveau titulaire du CAPA sur cinq ne va pas exercer.Cela signifie par conséquent qu’il y a une réelle désaffection à l’égard de notre
métier. »

JVJ : Dans quelle mesure l’évolution de la tech peut-elle, selon vous, affranchir les avocats de leurs contraintes et donner plus de souplesse à leurs emplois du temps ?

S.L : « Bien utilisées, les nouvelles technologies vont nous permettre de libérer ces petits moments qui rendent notre profession peut-être plus simple à vivre et sans doute plus attractive. En mai dernier, je me suis d’ailleurs rendue à Clermont-Ferrand où avaient lieu les États généraux de la Prospective et de l’Innovation dont font partie toutes les questions liées au bien-être. C’est effectivement un vrai sujet en matière de prospective et d’innovation et il devrait être, à mon sens, leur socle de base. »

JVJ : Tout récemment, vous avez organisé votre première journée dédiée à la qualité de vie au barreau de Marseille. Quel était son objectif ?

S.L : « Cette journée, programmée le 19 juin dernier, était inédite, à ma connaissance, au niveau national. Elle avait pour but de visibiliser l’action de notre commission et de donner l’opportunité aux confrères, pendant la Semaine pour la qualité de vie et des conditions de travail [1], d’être sensibilisés
à leurs propres besoins. Il y avait une vingtaine d’intervenants. Cinq conférences ont eu lieu et nous avons installé une trentaine d’ateliers individuels et collectifs où l’on pouvait entre autres apprendre à se maintenir en bonne forme, pratiquer la réflexologie, parler en public, apprendre à dire non ou utiliser l’IA pour diminuer sa charge mentale. Un sondage de retour est actuellement en cours pour tirer les toutes premières conclusions sur cet évènement. »


Retrouvez l’intégralité de cette interview dans le cahier spécial Actus des Barreaux du Numéro 108 du Journal du Village de la Justice ici.

Interview de Shirley Leturcq, Avocate au Barreau de Marseille, réalisée par Alain Baudin, Rédaction d’Actus des Barreaux

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