1. Les conditions d’application de la protection légale des victimes d’accidents du travail.
1.1. Le principe de protection contre le licenciement.
Le Code du travail établit une protection spécifique pour les salariés victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle [2].
Cette protection s’applique pendant les périodes de suspension du contrat de travail consécutives à l’accident ou à la maladie.
L’employeur ne peut rompre le contrat que dans deux cas exceptionnels : en cas de faute grave du salarié ou d’impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à l’accident ou à la maladie.
Toute rupture intervenant en violation de cette règle est frappée de nullité, entraînant des conséquences financières importantes pour l’employeur.
1.2. Les accidents et maladies concernés par la protection.
La protection légale bénéficie aux salariés victimes d’un accident du travail, autre qu’un accident du trajet, ou d’une maladie professionnelle [3].
Les accidents et maladies visés doivent correspondre aux définitions données par le Code de la Sécurité sociale [4].
Les accidents de trajet sont expressément exclus du champ de cette protection spécifique [5].
La protection s’applique également en cas de rechute d’un accident du travail survenu chez le même employeur [6].
1.3. La condition de connaissance par l’employeur.
La protection s’applique dès lors qu’il existe un lien de causalité, même partiel, entre l’incapacité temporaire de travail du salarié et sa maladie ou son accident, et que l’employeur a connaissance de l’origine professionnelle de cette affection [7].
Cette connaissance s’apprécie au jour de la notification du licenciement [8].
L’employeur ne peut se prévaloir de son ignorance si l’accident est survenu au temps et au lieu du travail [9].
La transmission d’un certificat médical valant demande d’établissement de maladie professionnelle constitue également un élément établissant la connaissance de l’employeur [10].
2. L’autonomie du droit du travail par rapport aux décisions de la Sécurité sociale.
2.1. Le principe d’indépendance des juridictions du travail.
Les juridictions prud’homales ne sont pas tenues par les décisions des caisses primaires d’assurance maladie lorsqu’elles statuent sur l’origine professionnelle d’un accident ou d’une maladie.
Il appartient aux juges du fond de rechercher eux-mêmes l’existence du lien de causalité entre l’origine professionnelle de l’affection et l’activité du salarié [11].
Cette autonomie permet aux juridictions du travail de rejeter le caractère professionnel d’un accident même en présence d’une décision de prise en charge par la caisse.
Inversement, elles peuvent reconnaître l’origine professionnelle d’un accident malgré un refus de prise en charge par la Sécurité sociale.
2.2. La portée limitée de la prise en charge par la CPAM.
La prise en charge d’un arrêt de travail au titre de la législation sur les accidents du travail ne constitue pas à elle seule la preuve de l’origine professionnelle de l’accident [12].
Cette solution trouve une nouvelle illustration dans l’arrêt du 10 septembre 2025 [13].
En l’espèce, malgré la prise en charge de l’arrêt de travail par la CPAM au titre des accidents du travail, la Cour de cassation a validé la décision des juges du fond qui avaient conclu à l’absence d’accident du travail.
Les circonstances de l’accident manquaient de précision : absence d’attestation de témoins, absence d’indication sur les circonstances exactes, et lésions peu caractéristiques.
2.3. L’appréciation souveraine des juges du fond.
Les juges du fond disposent d’un pouvoir souverain d’appréciation pour déterminer l’existence et la réalité du caractère professionnel d’un accident ou d’une maladie.
Ils doivent former leur conviction au vu de l’ensemble des éléments qui leur sont soumis par les parties, et non sur la seule base de la décision de la caisse.
Cette appréciation peut s’appuyer sur divers éléments : circonstances de l’accident, témoignages, expertises médicales, ou encore avis du médecin du travail.
L’absence de formalités de déclaration à la caisse primaire d’assurance maladie n’empêche pas l’application des dispositions protectrices du Code du travail [14].
3. Les implications pratiques pour les employeurs et les salariés.
3.1. Les conséquences pour la stratégie contentieuse.
Pour les salariés, la reconnaissance d’un accident du travail par la CPAM constitue un élément favorable mais non décisif dans le cadre d’un contentieux prud’homal.
Il convient de rassembler d’autres éléments probants : témoignages de collègues, rapport de l’inspection du travail, avis médical détaillé, ou encore correspondances avec l’employeur.
Pour les employeurs, la prise en charge d’un arrêt de travail au titre des accidents du travail ne doit pas conduire à une acceptation automatique du caractère professionnel de l’accident.
Une contestation reste possible devant les juridictions prud’homales, sous réserve de disposer d’éléments probants remettant en cause la réalité ou les circonstances de l’accident.
3.2. La distinction avec les règles applicables en matière d’inaptitude.
La jurisprudence récente a établi une distinction importante concernant l’effet des décisions de la CPAM selon qu’il s’agisse de protection contre le licenciement pendant l’arrêt de travail ou de protection en cas d’inaptitude.
En matière d’inaptitude, la Cour de cassation a jugé qu’une décision non contestée de la caisse reconnaissant le caractère professionnel de l’accident s’impose au juge prud’homal [15].
Cette distinction montre que l’autonomie du droit du travail par rapport au droit de la sécurité sociale n’est pas absolue et varie selon les situations juridiques en cause.
L’arrêt du 10 septembre 2025 confirme que cette autonomie demeure pleine et entière s’agissant de la protection contre le licenciement pendant les périodes de suspension du contrat.
3.3. Les enjeux financiers de la qualification.
La qualification d’un accident comme accident du travail emporte des conséquences financières significatives tant pour l’employeur que pour le salarié.
En cas d’inaptitude d’origine professionnelle, l’employeur doit, le cas échéant, verser l’indemnité légale de licenciement doublée et l’indemnité compensatrice de préavis prévues aux articles L1226-14 et L1226-15 [16].
En cas de nullité pour violation de la protection L1226-9 pendant l’arrêt, les conséquences relèvent du régime de la nullité, distinct du régime d’inaptitude.
Ces enjeux justifient l’importance d’une analyse juridique rigoureuse de chaque situation, indépendamment de la position adoptée par les organismes de sécurité sociale.
L’arrêt du 10 septembre 2025 rappelle ainsi l’importance de ne pas se fier uniquement aux décisions administratives de prise en charge, mais d’examiner avec attention les circonstances factuelles de chaque accident pour déterminer son caractère réellement professionnel au sens du droit du travail.


