Rappel du cadre juridique du référé pénal environnemental.
Le référé pénal environnemental permet au juge judiciaire d’ordonner des mesures conservatoires pour faire cesser ou limiter les effets du non-respect de certaines réglementations environnementales.
Il est prévu à l’article L216-13 du Code de l’environnement :
« En cas de non-respect des prescriptions imposées au titre des articles L181-12, L211-2, L211-3 et L214-1 à L214-6 ou des mesures édictées en application de l’article L171-7 du présent code ou de l’article L111-13 du Code minier, le juge des libertés et de la détention peut, à la requête du procureur de la République, agissant d’office ou à la demande de l’autorité administrative, de la victime ou d’une association agréée de protection de l’environnement, ordonner pour une durée d’un an au plus aux personnes physiques et aux personnes morales concernées toute mesure utile, y compris la suspension ou l’interdiction des opérations menées en infraction à la loi pénale.
En cas d’ouverture d’une information, le juge d’instruction est compétent pour prendre dans les mêmes conditions les mesures prévues au premier alinéa.
La décision est prise après audition de la personne intéressée, ou sa convocation à comparaître dans les quarante-huit heures, ainsi que de l’autorité administrative, la victime, ou l’association agréée de protection de l’environnement si elles en ont fait la demande.
Elle est exécutoire par provision et prend fin sur décision du juge des libertés et de la détention ou lorsque la décision au fond est devenue définitive.
La personne concernée ou le procureur de la République peut faire appel de la décision du juge des libertés et de la détention dans les dix jours suivant la notification ou la signification de la décision.
Le président de la chambre d’instruction ou de la cour d’appel, saisi dans les vingt-quatre heures suivant la notification de la décision du juge d’instruction ou du tribunal correctionnel, peut suspendre la décision jusqu’à ce qu’il soit statué sur l’appel, sans que ce délai puisse excéder vingt jours.
Les dispositions du présent article s’appliquent également aux installations classées au titre du livre V (titre Ier) ».
Si la décision peut être prise par un juge des libertés et de la détention ou par un juge d’instruction (si une information judiciaire est ouverte), leur saisine est réservée à une seule autorité : le procureur de la République.
L’une des particularités du référé pénal environnemental tient aux personnes qui peuvent être à l’initiative d’une telle saisine.
En effet, soit le procureur de la République agit d’office, soit il agit à la demande :
- d’une autorité administrative
- d’une victime
- d’une association agréée de protection de l’environnement.
Le référé environnemental peut ainsi être un véritable levier pour des acteurs directement concernés par des atteintes à l’environnement, en particulier en cas de carence de l’administration pour mettre fin à de telles atteintes.
Si la saisine du juge compétent ne peut se faire que par le biais du procureur de la République qui agit ainsi comme un « filtre », l’autorité administrative, la victime ou l’association agréée de protection de l’environnement conserve toutefois une certaine place dans la procédure.
En effet, elle peut demander à être entendue dans le cadre de la procédure contradictoire ouverte par la saisine du juge compétent, lors de laquelle la personne suspectée d’être responsable des atteintes à l’environnement est auditionnée. Au sujet de cette audition, on notera que cette personne est qualifiée de « personne intéressée » à l’alinéa 3 de l’article L216-13 précité.
A l’issue de cette procédure contradictoire, le juge saisi d’un référé pénal environnemental peut donc prendre toute mesure utile afin de faire cesser les atteintes à l’environnement ou en limiter l’ampleur. Cela peut consister à suspendre ou interdire les activités litigieuses. Bien entendu, une telle décision ne s’impose que si des manquements sont avérés.
La décision est immédiatement exécutoire et s’impose pour une durée d’un an maximum.
L’alinéa 5 de l’article L216-13 prévoit que cette décision peut faire l’objet d’un appel de la part du procureur de la République ou de la part de la « personne concernée » dans un délai de 10 jours à compter de la notification ou de la signification de la décision.
C’est précisément sur cette notion de « personne concernée » que la Cour de cassation a eu à se prononcer dans le cadre de la décision commentée : s’agit-il de la personne suspectée d’avoir commis des manquements (qualifiée différemment à l’alinéa 3 de l’article L216-13 qui parle de « personne intéressée ») et/ou de la personne à l’origine de la demande de saisine adressée au procureur de la République (autorité administrative, victime ou association agréée) ?
L’arrêt de la Cour de cassation : une exclusion des victimes et des associations des titulaires du droit d’appel.
Contexte du pourvoi.
En 2023, des riverains et des associations ont demandé au procureur de la République de Lyon de saisir le juge des libertés et de la détention dans le cadre d’un référé pénal environnemental visant à faire cesser les pollutions générées par un exploitant industriel. Il était reproché à ce dernier de rejeter des substances de type PFAS (« polluants éternels ») au-delà des seuils autorisés.
Le procureur a déposé une requête en octobre 2023.
Par ordonnance du 16 novembre 2023, le juge des libertés et de la détention l’a rejetée. Il a estimé que des « mesures utiles » pour mettre fin à la pollution avaient déjà été prises, en l’occurrence par des arrêtés préfectoraux.
Les riverains et associations à l’origine de la procédure ont alors interjeté appel de cette décision sur le fondement de l’alinéa 5 de l’article L216-13 du Code de l’environnement qui ouvre le droit d’appel à la « personne concernée ».
Dans un arrêt du 11 janvier 2024, la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Lyon a considéré que cet appel était irrecevable.
En effet, elle a jugé que la « personne concernée » au sens de ces dispositions était la « personne soupçonnée » de ne pas respecter la réglementation environnementale.
C’est dans ce contexte que les appelants et le ministère public se sont pourvus en cassation.
Ils s’appuyaient notamment sur une distinction sémantique :
- La « personne intéressée » (alinéa 3 de l’article L216-13) devrait correspondre à la personne visée par la requête ;
- la « personne concernée » (alinéa 5 de l’article L216-13) devrait correspondre à la personne ayant qualité pour demander au procureur de la République de saisir le juge des libertés et de la détention.
Une solution strictement conforme à la lettre de la loi.
La Cour de cassation a rendu une solution strictement conforme à la lettre de la loi, dans la lignée d’un précédent arrêt du 14 janvier 2025 [2].
Elle rejette le pourvoi, considérant que la cour d’appel n’a pas méconnu les dispositions de l’article L216-13 du Code de l’environnement.
Elle précise que la « personne concernée » au sens de l’alinéa 5 de l’article L216-13 est la personne « à l’encontre de laquelle il a été demandé au juge des libertés et de la détention d’ordonner toute mesure utile ».
Ainsi, seule cette personne ainsi que le procureur de la République (également visé à l’alinéa 5 de l’article L216-13) peuvent faire appel de la décision rendue par le juge des libertés et de la détention.
La Cour de cassation entérine donc la discordance entre les personnes qui peuvent être à l’origine de la saisine du juge des libertés et de la détention (autorité administrative, victime ou association agréée) et les personnes qui peuvent contester la décision rendue par ce dernier.
Un outil éminemment empreint d’une logique pénale.
Cette décision illustre que le référé pénal environnemental reste ancré dans une logique propre au procès pénal, dans le cadre duquel s’opposent traditionnellement une personne suspectée et l’Etat (représenté par le ministère public).
Si les victimes et associations agréées peuvent agir comme de véritables « lanceurs d’alerte », celles-ci ne sont donc pas considérées comme des « parties » à la procédure. Le procureur de la République reste l’unique détenteur d’un pouvoir d’action.
Cette situation est source d’une frustration procédurale pour des personnes qui, bien qu’ayant été à l’initiative de la procédure, peuvent par la suite s’en sentir exclues.
Elles ne disposent d’aucun moyen pour passer outre une éventuelle inaction du procureur de la République. Il reste le seul à déterminer, en opportunité, s’il y a lieu de saisir le juge des libertés et de la détention et, le cas échéant, d’interjeter appel de la décision rendue par ce dernier.
Cette logique traduit une sous-estimation manifeste du rôle que peut jouer la société civile en matière de justice environnementale. Cela apparaît d’autant plus problématique que les juges judiciaires restent peu formés sur ce sujet et ne disposent ni du temps ni des moyens nécessaires pour s’y consacrer sérieusement.
Il serait sans doute injuste de blâmer le Législateur de 1992 de ne pas avoir ouvert le droit d’appel aux personnes pouvant être à l’origine d’un référé pénal environnemental, à une époque où les préoccupations environnementales étaient à leurs balbutiements.
Mais peut-on en dire autant du Législateur d’aujourd’hui qui se refuse à faire évoluer les textes ?