’**Rappel des faits.
A titre liminaire, la Cour d’appel de Paris rappelle dans son arrêt du 14 janvier 2021 que la SASU Edimark est une société d’édition dans la presse médicale spécialisée qui emploie quarante-cinq salariés relevant soit de la Convention collective des journalistes, soit de celle des employés, cadres et assimilés de la presse d’information spécialisée et professionnelle.
Madame X, qui a effectué depuis juillet 2015 pour la société Edimark plusieurs prestations de travail, a été embauchée d’abord par contrat à durée déterminée du 2 janvier 2018 en remplacement de Mme Y et de Mme Z, celles-ci ayant mis en œuvre leurs clauses de cession, puis par contrat de travail à durée indéterminée du 27 mars 2018 avec effet au 3 avril 2018 en qualité de dessinatrice d’exécution, niveau X, échelon 2, pour un salaire mensuel brut de 2 500 euros.
Dès fin août 2018, les parties sont en litige à propos de la classification de « rédacteur graphiste » et d’un rappel de salaire réclamés par Mme X à compter de son embauche.
A compter du mois d’octobre 2018, la rémunération brute mensuelle de Mme X est revalorisée à hauteur de 2 600 euros.
Mme X, qui a obtenu le 21 mars 2019 de la commission de la carte d’identité professionnelle l’attribution d’une carte de journaliste, a pris acte de la rupture de son contrat de travail le 9 mars 2020 avec effet au 9 avril 2020.
Le Conseil de prud’hommes, saisit en référé, a rendu une ordonnance du 26 février 2020 qui a dit n’avoir lieu à référé tant pour la demande principale que pour la demande reconventionnelle et laissé les dépens à la charge de Mme X.
Mme X a alors interjeté appel par déclaration du 20 mai 2020.
Par arrêt contradictoire du 14 janvier 2021, la Cour d’appel de Paris :
Infirme l’ordonnance de référé du 26 février 2020 ;
Dit les demandes de Madame X recevables ;
Ordonne la communication par la société Edimark des documents suivants :
- Le livre d’entrée et de sortie du personnel pour les années 2017 à 2019 ;
- Les contrats de travail et avenants et les bulletins de salaires des années 2017 à 2019 de huit salariés nommés ;
- Le bulletin de paie de Mme B d’avril 2018 à décembre 2018.
Ces documents devant être anonymisés des mentions autres que les noms, les rémunérations et l’ancienneté des salariés.
Sous astreinte de vingt euros par document et jour de retard à compter du quinzième jour après la signification du présent arrêt :
Condamne la société Edimark à payer à Mme X la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Condamne la société Edimark aux dépens de première instance et d’appel.
1) Sur la recevabilité des demandes de Madame X : l’absence d’instance au fond s’apprécie à la date de la saisine du juge des référés.
La Cour d’appel de Paris, le 14 janvier 2021, rappelle que la société Edimark soutient que les mesures probatoires sollicitées par Mme X sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile doivent être demandées avant tout procès, soit antérieurement à la saisine du juge du fond, dès lors que le demandeur est également partie à l’instance engagée au fond et que la mesure d’instruction sollicitée soit celle dont la nécessité est invoquée pour engager l’instance au fond.
La société fait valoir que Mme X, qui a saisi la formation des référés du Conseil de prud’hommes le 27 novembre 2019 et celle du fond le 26 décembre 2019, est irrecevable en ses demandes, aucune décision de référé n’ayant été prise à la date de la saisine de la juridiction au fond.
Par ailleurs, la société Edimark soutient que Mme X ne peut prendre acte de la rupture de son contrat de travail au motif d’une inégalité de traitement puis solliciter en référé la communication de pièces pour justifier cette inégalité de traitement.
Les juges d’appel relèvent qu’en réponse, Mme X en infirmation de l’ordonnance entreprise soutient, d’une part, que l’expression « avant tout procès », qui constitue une condition de fond de la recevabilité de la demande, vise l’absence d’instance au fond, laquelle s’apprécie à la date de saisine du juge des référés et, d’autre part, qu’elle a saisi le juge du fond près d’un mois après celui des référés excluant ainsi toute procédure au fond ; qu’elle est ainsi recevable en ses demandes de communication de pièces.
La Cour d’appel de Paris affirme qu’en droit, l’article 145 du Code de procédure civile dispose que s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
Il est constant que, d’une part, l’absence d’instance au fond s’apprécie à la date de la saisine du juge des référés et d’autre part, dès lors qu’un procès est engagé il n’est plus possible de solliciter des mesures d’instruction dont dépend la solution du litige.
Par ailleurs, le litige entre les parties porte, d’abord, sur une demande de résiliation judiciaire du contrat de contrat puis sur une prise d’acte de la rupture de son contrat de travail, Mme X reprochant à la société Edimark une inégalité de traitement.
Ainsi, dès lors qu’il n’est pas allégué que le juge du fond ait été saisi avant le juge des référés, Mme X est recevable en ses demandes, peu importe que ce soit pour une résiliation judiciaire ou une prise d’acte de son contrat de travail.
L’ordonnance de référé entreprise sera infirmée à ce titre.
2) La Cour d’appel ordonne, sous astreinte, la remise du livre d’entrée et de sortie du personnel pour les années 2017 à 2019, les contrats de travail et avenants et les bulletins de salaires des années 2017 à 2019 de huit salariés.
La Cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 14 janvier 2021, relève que Mme X soutient que l’obtention des documents sollicités lui permettra non seulement de prouver l’inégalité de traitement mais aussi de calculer le montant des sommes dues.
Elle expose qu’elle a remplacé à plusieurs reprises des salariés dont l’emploi était similaire à celui qu’elle occupait depuis son embauche à savoir de « rédacteurs graphistes » outre qu’avant son embauche la société Edimark l’a soumise à une analyse graphologique nécessaire pour les seuls « rédacteurs graphistes ».
La société Edimark soutient que les demandes de Mme X sont dépourvues de pertinence et de toute utilité puisqu’elle n’était pas employée dans les mêmes conditions que les salariés dont elle sollicite la communication des contrats de travail et des bulletins de salaire et qu’elle n’assumait pas des fonctions de journaliste.
Or, selon les juges d’appel, il est constant que le motif légitime ne se réduit pas à la seule conservation des preuves mais aussi à leur établissement.
Par ailleurs, il est aussi constant qu’il n’est pas besoin que soit établi devant le juge des référés la réalité de demandes du litige entre les parties.
Ainsi, Mme X donnant des éléments laissant indiquer l’existence éventuelle d’une différence de traitement est légitime à demander la production d’éléments utiles à sa défense.
Mme X soutient que de juillet 2017 à juillet 2018, trois journalistes « rédacteurs graphistes », Mesdames Y, Z et B ont quitté l’entreprise en mettant en œuvre leur clause de cession ; qu’elle a été recrutée pour pouvoir un emploi de « rédacteur graphiste » et qu’elle a occupé pendant la relation de travail, les mêmes postes que ses collègues, en particulier sur plusieurs des revues spécialisées éditées par la société.
Elle fait valoir que plusieurs autres salariés (M. Y) ayant obtenu leur carte de journaliste, ont été classés comme tels dans les mois suivants et que Mme D, embauchée en même temps qu’elle, a bénéficié d’un rappel de salaire depuis son embauche.
Mme X soutient que le respect de la vie privée ne fait pas obstacle à la communication des documents demandés surtout qu’ils peuvent n’être communiqués qu’avec les mentions des noms, salaires et anciennetés des salariés.
En effet, il avait déjà été jugé par le Conseil de prud’hommes de Nanterre le 13 juin 2014 que
« le respect de la vie personnelle ne constitue pas en lui-même un obstacle à l’application des dispositions de l’article 145 du CPC dès lors que les mesures demandées procèdent d’un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui le sollicite ».
La Cour d’appel de Paris relève que la société Edimark soutient que Mme X a été embauchée en qualité de dessinatrice d’exécution et non de « rédacteur graphiste » ; que le remplacement ponctuel d’autres salariés ne lui donne pas le droit de solliciter la même qualification et le même salaire ; que les tâches qu’elle effectuait habituellement relevaient de celles d’une dessinatrice d’exécution.
La société fait valoir que le « CV » ou la demande d’embauche de Mme X indique l’absence de tout travail, avant son embauche, pour une société d’édition.
Pour justifier l’absence de différence de traitement entre les salariés au titre desquels Mme X sollicite la production de documents, la société Edimark allègue des anciennetés et des rémunérations de huit salariés dont elle ne fournit pas les identités mais dont elle indique être ceux de la liste de Mme X.
Par ailleurs, la société soutient que la carte d’identité de journaliste de Mme X, avec effet au 1er janvier 2019, ne lui a été délivrée que sur ses seules informations et rappelle que la salariée avait été préalablement recrutée par des contrats de travail à durée déterminée pour un surcroît d’activité au service info graphie et non pour des remplacements de salariés absents.
La société soutient que les demandes de Mme X ne sont faites, en réalité, que pour répondre à une demande des délégués du personnel pour accéder à des documents qu’ils ne peuvent juridiquement obtenir.
En l’espèce, la Cour relève que la société Edimark ne fait qu’alléguer une intervention des délégués du personnel pour obtenir de manière détournée certains documents ; que par ailleurs, ils ont parfaitement accès au livre d’entrée et de sortie du personnel qui mentionne les fonctions, les dates d’embauche et de départ des salariés.
La Cour relève aussi que les demandes de Mme X concernent les contrats de travail, les avenants, les bulletins de salaires des années 2017 à 2019 avec les seules mentions des noms, des dates d’embauche et des rémunérations des salariés.
Cependant, s’il semble utile à Mme X qu’il soit justifié des dates d’embauche ou de départ, des rémunérations des salariés pour les années 2017 à 2019, il n’est pas justifié de l’utilité des rémunérations pour les années antérieures d’une année à l’embauche de Mme X.
Par ailleurs, la Cour relève que les entretiens annuels d’évaluation relèvent des rapports individuels entre les « managers » et chacun des salariés et ne peuvent être communiqués sans l’accord exprès des salariés concernés.
Ainsi, la Cour d’appel ordonne la production du livre d’entrée et de sortie du personnel pour les années 2017 à 2019, des contrats de travail, avenants et bulletins de salaires des années 2017 à 2019, portant les seules mentions des noms, anciennetés et rémunérations pour les huit salariés de la liste de Mme X, outre ceux d’avril à décembre 2018 de Mme D.
Par ailleurs, il y a lieu d’ordonner cette remise sous astreinte de vingt euros par documents et par jour de retard à compter du quinzième jour suivant la notification du présent arrêt.
D’autres affaires ont permis, sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, d’obtenir des documents permettant la preuve d’inégalités de traitement.
Pour un exemple, retrouvez notre article Discrimination et référé article 145 du CPC : une salariée obtient les bulletins de paie de ses 16 collègues.
En outre, si le cas de figure du référé est le plus fréquent, il arrive que l’obtention de ces documents se fasse par la voie du Bureau de Conciliation et d’Orientation (BCO).
Cf notre article Discrimination : France Télévisions doit communiquer à un journaliste salarié l’évolution de carrière de ses 19 collègues.
3) Sur les autres demandes : dépens et article 700 du Code de procédure civile.
Les juges d’appel considèrent que la société Edimark qui succombe, sera condamnée outre aux dépens de première instance et d’appel, à payer à Mme X la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.