Un tunisien vivant et travaillant en France depuis 2018 a déposé une demande de titre de séjour en préfecture en juillet 2024. Il n’était connu ni de la justice ni de la police.
N’ayant reçu aucune réponse dans le délai réglementaire de quatre mois, il a adressé un courrier de relance à la préfecture en octobre 2024, sollicitant par la même les raisons du refus implicite.
Constatant ce silence, il a saisi le tribunal administratif de Cergy-Pontoise d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision implicite de rejet de sa demande.
Ce n’est que dans le cadre de l’instruction du recours que la préfecture a communiqué un mémoire en défense, apportant pour la première fois une explication à la décision implicite.
Le préfet a en outre soulevé une fin de non-recevoir, soutenant que la requête était irrecevable et formulant une demande d’amende pour recours abusif, d’un montant de 3.000 euros.
Le tribunal administratif a annulé la décision implicite de rejet, considérant que le silence gardé par la préfecture pendant plus de quatre mois, combiné à l’absence de réponse au courrier de relance, constitue une décision implicite entachée d’illégalité, faute de motivation.
Le tribunal a également rejeté la demande d’amende pour recours abusif, estimant que la requête présentée par le requérant n’était pas irrecevable.
Cette décision pose la question de l’application effective du droit d’abord s’agissant du refus implicite de séjour (I) et dans un second temps du droit à effectuer un recours sans être dissuadé par une amende administrative (II).
I. Le rappel de l’application du refus de séjour.
A- La naissance du refus implicite de séjour.
Gérald Darmanin a signé un décret le 16 décembre 2020 fixant à quatre mois le délai dans lequel l’administration devait rendre une décision à compter du dépôt d’une demande de titre de séjour.
Ainsi, le décret du 16 décembre 2020 donnera naissance à l’article R432-2 du Ceseda selon lequel « la décision implicite de rejet mentionnée à l’article R432-1 naît au terme d’un délai de quatre mois » [1].
En d’autres termes, une fois le premier récépissé de demande de titre de séjour émis - souvent plus d’un an à compter de l’enregistrement de la demande - , l’administration dispose de 4 mois pour examiner la demande de l’étranger. L’absence de réponse quatre mois après l’émission d’un récépissé doit être considérée comme une décision de rejet.
Cela permet à l’étranger de pas rester dans le flou administratif des années durant. Elle encourage surtout l’administration à ne pas répondre aux étrangers pour lesquelles un refus explicite est envisagé.
Le refus implicite demeure une décision administrative, laquelle est obligatoirement motivée. L’absence d’un acte écrit, rend naturellement la motivation impossible.
C’est la raison pour laquelle le législateur a prévu une demande de motivation.
B- L’obligation de motiver le refus implicite.
Dans sa décision, le tribunal administratif rappelle qu’aux termes de « l’article L211-2 du Code des relations entre le public et l’administration : Les personnes physiques ou morales ont le droit d’être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : 1° Restreignent l’exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police (…) ».
L’article L211-5 du même code dispose que :
« La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ».
Enfin, l’article L232-4 de ce code prévoit que :
« Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n’est pas illégale du seul fait qu’elle n’est pas assortie de cette motivation. Toutefois, à la demande de l’intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu’à l’expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués ».
Dans le cas d’espèce, une demande d’explication avait été formulée le 27 octobre 2024. L’étranger demandait alors la motivation de ce refus implicite. Là encore, le préfet du Val-d’Oise avait opposé un silence.
En conséquence, aucune motivation à l’acte n’a été délivrée.
L’absence de motivation revient à une insuffisance de motivation, laquelle est sanctionnée par l’annulation du refus de séjour.
II. Une considération inquiétant du préfet du Val-d’Oise concernant le droit effectif à exercer un recours.
A- Pratique dissuasive condamnée déjà par la CEDH.
Dans ses demandes reconventionnelles le préfet du Val-d’Oise a fait usage d’une demande pour le moins surprenante.
En effet, il a sollicité le rejet des demandes et l’application de l’article R741-12 du code de justice administrative. L’Article R741-12 du Code de justice administrative dispose que "Le juge peut infliger à l’auteur d’une requête qu’il estime abusive une amende dont le montant ne peut excéder 10 000 euros". Cette disposition confère au juge administratif un pouvoir de sanction à l’égard des requérants qui détournent la procédure contentieuse de sa finalité.
Or, dans le cas d’espèce, le juge administratif a annulé la décision implicite de rejet. Dès lors, l’amende administrative du préfet ne pouvait prospérer.
Il n’appartient pas à l’administration de décider quel justiciable est fondé ou non à mobiliser une voie de droit qui lui est admise. En effet, l’article R432-1 du Ceseda prévoit cette faculté pour l’étranger et la jurisprudence a précisé que le recours devait intervenir dans un délai de deux mois à compter du refus [2].
Le droit d’accès à un tribunal est un droit fondamental, protégé par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme, lequel prévoit que « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ».
En sollicitant une condamnation du requérant au titre de l’article 761-1 du CJA et 741-12 du même code, il peut être suggéré que Monsieur le Préfet a cherché à dissuader le requérant comme d’autres requérants, d’exercer son droit de façon effective.
La jurisprudence européenne reconnait qu’une amende peut avoir un effet dissuasif sur l’exercice d’un droit fondamental, en l’absence de garanties procédurales suffisantes [3].
Ce point relevé, il permet de faire le point sur ces pratiques que l’administration affectionne particulièrement, mais qui peuvent conduire à être un obstacle à l’exercice des droits fondamentaux.
B- Focus sur les autres pratiques obstacles à l’exercice des droits.
Le lecteur averti comprendra aisément, à la lecture des pratiques de l’administration en matière de droit des étrangers, à quel point le silence gardé par l’administration peut conduire à des situations profondément complexes et injustes pour les étrangers en France.
1. Le cas de la régularisation par le travail.
Dans le cadre d’une demande de régularisation par le travail, il est fréquemment exigé de l’étranger qu’il justifie de son activité professionnelle, mais également du titre de séjour sous lequel il a été embauché au cours des trois dernières années dans l’entreprise qui a accepté de l’employer.
Or, chacun sait qu’en France, une entreprise ne peut légalement recruter un étranger que s’il détient un titre de séjour valable. Dans la réalité, certaines entreprises embauchent des travailleurs étrangers sans toujours connaître la nature fallacieuse du titre présenté, ou en fermant les yeux sur son authenticité.
Lorsque, dans le cadre d’une régularisation, l’étranger produit ce titre de séjour - souvent faux - afin de justifier son emploi, cette production devient paradoxalement un motif de rejet implicite.
En effet, le document est transmis à la police, ce qui entraîne fréquemment une garde à vue pour usage de faux. Dans bien des cas, la procédure se conclut par un classement sans suite, faute de preuve que le faux émane de l’étranger lui-même ; il peut tout aussi bien s’agir d’un document fourni ou accepté sciemment par l’employeur.
Cependant, ce simple signalement suffit à inscrire l’étranger dans les fichiers de la police. Dès lors, pour l’administration, cet étranger devient une personne « connue des services de police », ce qui suffit à justifier un refus implicite de régularisation après le délai de quatre mois. Ainsi, sans qu’aucune décision explicite ne soit notifiée, le préfet peut rejeter la demande tout en évitant d’avoir à se justifier par écrit.
2. Le cas du regroupement familial.
Une autre illustration de ces pratiques se trouve dans le regroupement familial. L’administration délivre souvent, pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, des récépissés successifs, laissant croire à l’étranger que son dossier est en cours d’instruction.
Or, passé un certain délai - qui n’est pas ici de quatre mois mais souvent d’un an ou davantage -, cette succession de récépissés permet en réalité à l’administration d’opposer un refus implicite. En effet, l’étranger, ne pouvant pas voyager avec un récépissé, se trouve dans l’impossibilité de justifier d’une communauté de vie continue avec son conjoint ou sa conjointe. Il se retrouve ainsi, malgré la régularité apparente de sa démarche, dans la position d’un étranger sans droit au séjour.
3. Un système déloyal et opaque.
Ces pratiques, bien que conformes au droit administratif, apparaissent profondément déloyales. Elles permettent à l’administration d’éviter toute explication, de refuser sans motiver, et de maintenir l’étranger dans une incertitude juridique et humaine.
Contrairement à l’image véhiculée dans le grand public ou dans certains discours politiques, le droit des étrangers en France est d’une extrême complexité. Il exige de l’avocat spécialisé une vigilance constante et une capacité à utiliser le silence de l’administration - ce privilège administratif - comme levier de défense.
C’est pourquoi il est essentiel pour tout étranger de se faire accompagner, non seulement dans le cadre d’un recours contentieux, mais dès le dépôt de la demande de titre de séjour. C’est à ce moment-là que se jouent, souvent dans le silence des bureaux préfectoraux, les décisions les plus déterminantes.


