En France, la procédure repose sur la preuve. Or, dans un système accusatoire non inquisitoire, cette exigence de preuve pousse les parents à produire des attestations biaisées, voire à constituer eux-mêmes leurs propres « preuves » : enregistrements de conversations, vidéos captées sans consentement, photographies sorties de leur contexte… autant d’éléments qui, au lieu d’éclairer, exacerbent le conflit. Ces pratiques sont souvent illégales, mais traduisent un désespoir : celui de ne pas être entendu, ni soi, ni son enfant.
Parfois, même les avocat·e·s se retrouvent pris dans cette logique guerrière, pensant bien faire en « défendant » leur client avec zèle, quitte à alimenter le conflit plutôt qu’à le désamorcer. Dès lors, le juge, bien souvent, se trouve seul à devoir trancher à l’aveugle, sans outil suffisamment fiable ni pluridisciplinaire pour appréhender la complexité du lien familial abîmé.
Quels sont alors les outils à sa disposition ? Et surtout, quelles alternatives émergent dans d’autres pays pour offrir au juge une lecture plus nuancée, plus partagée, plus responsable ?
I. Enquête sociale et expertise médico-psychologique : des outils utiles mais limités.
En France, deux principales mesures d’instruction permettent au juge aux affaires familiales de recueillir des éléments objectifs sur la situation : l’enquête sociale et l’expertise médico-psychologique ou psychiatrique. Ces outils restent essentiels, mais présentent des limites importantes, notamment en cas de conflits profonds ou de risques de rupture de lien parent-enfant.
L’enquête sociale vise à observer la situation matérielle et relationnelle des parents et à évaluer la capacité éducative de chacun. Le rapport fournit des éléments sur l’environnement de l’enfant, la qualité des interactions, les conditions de vie. Mais les entretiens sont souvent limités, et l’analyse peut être influencée par les postures parentales.
L’expertise médico-psychologique, encadrée par l’article 232 du Code de procédure civile, a pour objectif de fournir une analyse clinique de la situation familiale. Elle peut aider à détecter des troubles, à décrypter les dynamiques relationnelles, mais elle est souvent longue, coûteuse et vécue comme stigmatisante. L’article du Village de la Justice rappelle les limites de l’exercice : confusion des rôles entre soin et évaluation, absence de cadre clair, manque de formation spécifique des experts, inégalité de traitement.
II. L’expertise collaborative : une approche belge innovante et transformatrice.
En Belgique, l’équipe de Van Dieren, De Hemptinne et Renchon a développé un modèle novateur : l’expertise axée sur la collaboration parentale. Elle part du constat que les instruments classiques ne suffisent plus à régler les conflits de loyauté profonds ni à prévenir la perte de lien.
Le processus repose sur un binôme d’experts (souvent psychologue et psychiatre) qui accompagnent les parents dans une logique de responsabilisation progressive. Le juge demeure impliqué via des audiences régulières, des rapports intermédiaires, et peut prendre des mesures correctives si nécessaire. L’objectif est double : restaurer le lien de l’enfant avec ses deux parents et observer la capacité de chacun à coopérer.
Cette approche présente plusieurs atouts :
- Elle prévient la « cimentation » du conflit.
- Elle oblige les parents à poser des actes concrets.
- Elle prend en compte le rythme et les besoins de l’enfant.
- Elle redonne au juge un rôle de supervision active.
III. Comparatif avec la médiation et la coordination parentale.
Contrairement à la médiation, qui repose sur la volonté des parents de dialoguer, ou à la coordination parentale, pas encore bien encadrée en France, l’expertise collaborative est un outil judiciaire. Elle est imposée par le juge, encadrée dans le temps, et conçue pour produire des effets mesurables. Elle ne se substitue pas à la médiation ou au soin, mais peut en être le préalable ou le complément.
La médiation reste fragile en cas de violence ou de déséquilibre fort. La coordination parentale, quant à elle, souffre d’un flou juridique et d’un manque de reconnaissance institutionnelle.
L’expertise collaborative offre une troisième voie : judiciaire, mais transformatrice, encadrée, mais adaptative, contrainte, mais ouverte.
Conclusion : une piste à développer en France.
L’intégration de l’expertise collaborative dans notre droit ne suppose pas une réforme lourde. Il suffirait d’enrichir les missions possibles des experts judiciaires et de former un réseau d’experts à cette démarche. Cette approche permettrait de mieux prévenir les ruptures de lien, de réduire les violences institutionnelles faites aux enfants, et de sortir les professionnels de la logique du diagnostic-sanction.
Plutôt que d’opposer expertise, médiation et soins, l’heure est à leur articulation intelligente. L’expertise collaborative, en réconciliant évaluation et accompagnement, ouvre un horizon de justice plus humain et plus réparateur pour les familles en crise.