Par acte sous seing privé en date du 30 septembre 2008, prenant effet au 1ᵉʳ juillet 2009, une société civile immobilière (SCI) a consenti un bail commercial à la société anonyme (SA) NGC+ portant sur un immeuble à usage d’usine de production et d’emballage, de magasin, de bureaux et de siège social.
Le contrat prévoyait un loyer annuel révisable de 500 000 euros, assorti d’un surloyer fixe de 135 000 euros par an, pour une durée de douze ans à compter de la date d’entrée en jouissance du preneur.
Un premier avenant, daté du 1ᵉʳ octobre 2008, a été conclu, permettant de modifier les stipulations relatives à l’indemnisation de la bailleresse en cas de résiliation anticipée du bail avant un délai de onze années. Par un second avenant, en date du 15 mai 2009, les parties ont convenu d’un loyer complémentaire de 19 200 euros HT par an, pendant une durée de soixante mois, en contrepartie d’aménagements réalisés par la bailleresse à la demande du preneur. Le bail est arrivé à échéance le 30 juin 2018 et s’est poursuivi tacitement.
Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 24 juillet 2018, la société NGC+ a sollicité le renouvellement du bail pour une durée de neuf ans à compter du 1ᵉʳ juillet 2018. La SCI a donné son accord de principe quant au renouvellement, mais aucun consensus n’a été trouvé quant à la fixation du loyer du bail renouvelé.
En conséquence, la société locataire a assigné la bailleresse aux fins de fixation judiciaire du loyer.
Le juge des loyers commerciaux a alors ordonné une expertise à l’issue de laquelle, l’expert désigné a évalué la valeur locative à 386 000 euros HT par an.
Par jugement du 19 août 2021, le juge des loyers commerciaux a fixé le montant annuel du loyer du bail renouvelé, à 386 210 euros HT, hors charges, et a maintenu le surloyer à 135 000 euros HT par an jusqu’au 30 juin 2021.
La bailleresse a interjeté appel de cette décision.
Par arrêt en date du 23 février 2023, la Cour d’appel de Grenoble (CA Grenoble, ch. com., 23 févr. 2023, no 21/04060.) a procédé à la détermination de la valeur locative en application des articles R145-3 à R145-11 du Code de commerce, en prenant en compte les caractéristiques des locaux, leur destination, les obligations des parties, les facteurs locaux de commercialité ainsi que les prix usuellement pratiqués dans le voisinage.
La cour a également examiné la clause 8.3 du bail, laquelle prévoit le versement d’un dépôt de garantie équivalent à six mois de loyer TTC, outre les charges. Elle rappelle que le montant d’un tel dépôt est librement déterminé par les parties. Elle observe en outre que, le loyer étant exigible trimestriellement à terme à échoir, le montant de ce dépôt correspond à deux termes. Dès lors, trois termes de loyers sont versés à l’avance, sans que cela ne contrevienne aux dispositions de l’article L145-40 du Code de commerce, lequel prévoit que « les loyers payés d’avance, sous quelque forme que ce soit, et même à titre de garantie, portent intérêts au profit du locataire […] pour les sommes excédant celle qui correspond au prix du loyer de plus de deux termes ». En conséquence, la cour d’appel exclut toute qualification de charge exceptionnelle justifiant une minoration de la valeur locative, infirme le jugement entrepris et fixe le loyer renouvelé à compter du 1ᵉʳ octobre 2018 à la somme de 505 798,11 euros HT et hors charges par an.
La société locataire s’est alors pourvue en cassation, faisant grief à l’arrêt d’appel d’avoir fixé le loyer à un tel montant, alors que « les obligations imposées au locataire au-delà de celles qui découlent de la loi ou des usages constituent un facteur de diminution de la valeur locative ». Elle soutenait que, le loyer étant exigible « trimestriellement d’avance » et le dépôt de garantie équivalant à « six mois » de loyer, majoré de TVA alors même que le loyer n’y était pas soumis, elle avait versé une somme correspondant à plus de neuf mois de loyer HT à l’avance. Selon elle, cette charge financière excédait les usages et justifiait, à ce titre, une minoration de la valeur locative.
Par arrêt du 7 mai 2025 (Cass. 3e civ., 7 mai 2025, no 23-15.394), la Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle approuve l’analyse des juges d’appel, lesquels ont estimé que les stipulations contractuelles relatives au dépôt de garantie et au paiement anticipé du loyer n’étaient pas contraires à l’article L145-40 du Code de commerce.
Dès lors, la cour d’appel a, à juste titre, écarté tout effet minorant sur la valeur locative.
I - L’existence d’une contrepartie à une obligation excédant celles prévues par la loi ou les usages.
En l’espèce, les parties avaient convenu du renouvellement du bail, tout en demeurant en désaccord sur la fixation du loyer, en raison notamment de l’obligation faite à la locataire de verser un dépôt de garantie équivalant à six mois de loyer TTC, alors que le loyer était payable trimestriellement d’avance.
La locataire arguait de deux éléments : d’une part, l’application de la TVA sur le dépôt, alors que le loyer en était exonéré ; d’autre part, le caractère excessif de la somme versée à l’avance, représentant plus de neuf mois de loyer HT. Elle invoquait à ce titre les articles L145-33, 3° et R145-8 du Code de commerce pour soutenir que cette obligation excédait celles issues de la loi ou des usages et devait justifier une réduction de la valeur locative.
La cour d’appel n’a pas accueilli cette argumentation, rappelant que l’article L145-40 précité impose uniquement au bailleur de verser des intérêts au preneur sur les sommes excédant deux termes de loyer. En l’occurrence, le dépôt de garantie de six mois de loyer TTC, combiné à un loyer payable trimestriellement d’avance, représentait trois termes dont deux assujettis à la TVA. Dès lors, seule une fraction de la somme versée par la locataire excédait les limites fixées par la loi, ouvrant droit à intérêts, mais non à une minoration de la valeur locative.
Le statut des baux commerciaux ne prévoyant aucun plafond légal pour les dépôts de garantie, le principe de la liberté contractuelle s’applique. Dès lors, les limitations prévues dans d’autres régimes juridiques, tel l’article 22 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 relatif aux baux d’habitation (L. no 89-462, 6 juill. 1989, art. 22.), sont inapplicables. Par conséquent, l’existence d’un dépôt important, assorti du versement d’intérêts, ne constitue pas un motif légitime de minoration de la valeur locative.
Bien qu’une avance équivalente à neuf mois de loyer puisse effectivement représenter une contrainte financière significative pour le locataire, cette situation n’emporte pas, en l’absence de violation de la loi, de conséquences sur la fixation de la valeur locative.
II- La fixation du loyer à la valeur locative sans minoration fondée sur une obligation contractuelle particulière.
Aux termes de l’article L145-33 du Code de commerce, le loyer du bail renouvelé doit correspondre à la valeur locative. En l’absence d’accord entre les parties, il revient au juge de la déterminer conformément aux critères énoncés à l’article R145-3 du même code.
En l’espèce, l’expert judiciaire a souligné la bonne organisation et l’état général satisfaisant des locaux, hormis la toiture, louée à un tiers, affectée d’infiltrations. Il a néanmoins relevé l’inadéquation de la hauteur sous plafond avec les exigences thermiques de l’activité exercée, générant des coûts importants pour le preneur.
S’agissant des références locatives, la cour d’appel a écarté les éléments tirés de baux conclus dans d’autres agglomérations ou ceux non pondérés, en raison du principe de comparabilité prévu par l’article R145-7 du Code de commerce.
En revanche, la cour a retenu un abattement de 8% sur la valeur locative, en raison de la présence d’une couverture photovoltaïque sur la toiture, objet d’un bail distinct au profit d’un tiers.
Cette situation a privé la locataire de toute possibilité d’accès ou d’intervention, y compris en cas d’urgence, sur une structure garantissant l’étanchéité du bâtiment, ce qui a généré des infiltrations subies par cette dernière.
L’enseignement principal de l’arrêt du 7 mai 2025 réside dans la précision des conditions de mise en œuvre des dispositions relatives au dépôt de garantie : en l’absence de plafonnement légal dans le cadre des baux commerciaux, un tel dépôt, même élevé, ne justifie une minoration de la valeur locative que s’il constitue une charge exceptionnelle non compensée. Tel n’était pas le cas en l’espèce.