En effet, si l’époux désigné par le juge décide d’arrêter de payer les échéances :
- l’autre conjoint n’a aucun moyen de l’y contraindre ;
- il n’existe pas de mécanisme d’exécution directe qui permettrait de saisir les sommes et de les verser au créancier ;
- la banque demeure libre de se retourner contre l’ensemble des co-emprunteurs, et donc contre les deux époux, sans distinction.
Autrement dit, la décision du juge n’engage que sur le plan déclaratif : elle fixe une répartition théorique des charges, mais ne constitue pas un titre exécutoire opposable aux tiers.
Une compensation a posteriori : la créance sur l’indivision.
Pour autant, l’époux qui se retrouve contraint de pallier la défaillance de l’autre n’est pas totalement dépourvu de recours.
Lors de la liquidation du régime matrimonial, il pourra éventuellement faire valoir une créance sur l’indivision post-communautaire au titre des sommes réglées à la place de son conjoint.
En pratique, cela signifie que les paiements effectués pour le compte du couple seront réintégrés dans les comptes de liquidation et que l’époux diligent pourra obtenir un rééquilibrage financier.
Cependant, cette réparation n’intervient qu’a posteriori, parfois plusieurs années plus tard, ce qui peut fragiliser lourdement la situation économique du conjoint « payeur » pendant la procédure.
L’alternative : la pension alimentaire au titre du devoir de secours.
Face à la défaillance d’un époux désigné pour régler certaines dettes, le conjoint qui assume seul la charge peut également saisir le juge aux affaires familiales pour solliciter une pension alimentaire, fondée sur le devoir de secours (article 212 du Code civil).
Contrairement à la simple désignation prévue à l’article 255, cette pension présente au besoin la possibilité d’une exécution forcée :
- elle constitue une obligation pécuniaire directement mise à la charge de l’époux débiteur ;
- elle peut faire l’objet de mesures d’exécution forcée, notamment une saisie sur salaire ou sur compte bancaire ;
- elle assure ainsi une réelle protection immédiate à l’époux créancier, évitant que celui-ci ne supporte durablement seul le poids financier du ménage.
Cette voie apparaît donc, en pratique, comme une solution plus efficace que la seule désignation du débiteur par le juge.
Conclusion.
La désignation par le juge, en vertu de l’article 255, 4° du Code civil, apparaît donc davantage comme une mesure de principe que comme un outil réellement contraignant.
Elle n’offre aucune garantie d’exécution, et reporte le véritable rééquilibrage au stade de la liquidation, via la créance sur l’indivision.
Cette réalité pose une question de fond : ne faudrait-il pas renforcer l’effectivité de cette mesure, afin qu’elle protège réellement les époux et sécurise les créanciers ?


