Il n’existe pas d’obligation légale de détenir une carte de presse pour exercer comme journaliste professionnel. Celle-ci a une fonction purement déclarative et pratique, alors que le statut se déduit des critères posés par l’article L7111-3 du Code du travail, ainsi que de la réalité de l’activité et des ressources, reconnus par la jurisprudence en vigueur, même en l’absence de carte de presse.
Il n’existe pas de statistiques officielles publiques indiquant avec précision le nombre de journalistes rémunérés sous contrats de droit d’auteur. Certains pigistes ou contributeurs ponctuels sont rémunérés en droit d’auteur, une pratique qui est souvent dénoncée comme un moyen d’échapper au statut de salarié. Les rapports syndicaux et études évoquent un usage répandu mais non quantifiés officiellement.
La profession s’est précarisée ces dernières années, avec un recul du contrat de travail à durée indéterminée dans certains secteurs et une hausse relative du nombre de pigistes et de journalistes en contrat à durée déterminée depuis une décennie. Les revenus médians des pigistes sont généralement plus faibles que ceux sous contrat à durée indéterminée [1].
Face à cette réalité, les journalistes sont aussi parfois confrontés à la problématique de l’inadéquation de leur statut professionnel dans le cadre de leur relation de travail avec les organismes de presse. Ainsi, on observe une tendance des dernières décisions de justice, à la requalification des contrats d’auteur des journalistes en contrat de travail à durée indéterminée, dès lors que l’employeur échoue à renverser la présomption de salariat.
1- Le journaliste professionnel est présumé être salarié.
En vertu de l’article L7112-1 du Code du travail, toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail.
Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties.
Aussi, le journaliste professionnel est défini par les dispositions de l’article L7111-3 du Code du travail, comme toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources.
Sont assimilés aux journalistes professionnels les collaborateurs directs de la rédaction à l’exclusion de tous ceux qui n’apportent à titre quelconque, qu’une collaboration occasionnelle [2].
Le contrat de travail à durée indéterminée est la forme normale et générale de la relation de travail, en vertu de l’article L1221-2 du Code du travail. Ainsi, sauf preuve contraire, la relation de travail entre un journaliste professionnel et une entreprise de presse est présumée être un contrat à durée indéterminée.
Selon une jurisprudence constante, la présomption de contrat de travail s’applique dès lors que le journaliste est intégré dans l’entreprise, qu’il existe un lien de subordination et que la collaboration est régulière et rémunérée [3].
La présomption du contrat de travail peut être renversée par l’employeur, si celui-ci parvient à démontrer que le salarié exerce son activité en toute liberté et indépendance ; qu’il ne travaille pas dans les locaux de l’entreprise ; qu’il n’est soumis à aucun horaire de travail ; qu’il n’est pas intégré dans un service ; ou bien même, qu’il rédige, par exemple, des piges en toute autonomie et collaborait avec d’autres journaux concurrents [4].
Néanmoins, la qualification exacte du contrat relève de l’office du juge qui doit rechercher si les conditions du contrat de travail sont réunies, et ce, indépendamment de la dénomination donnée par les parties.
2- La présomption de salariat peut être renversée par l’employeur pour faire échouer la requalification en contrat de travail.
L’arrêt de la cour d’appel de Paris du 12 juin 2024 est intéressant en soi, en ce qu’il illustre parfaitement la problématique de la requalification sollicitée par le journaliste de ses contrats d’auteur en contrat de travail à durée indéterminée et, l’échec par l’employeur de renverser la présomption de salariat [5].
Dans cet arrêt, un salarié travaillait en qualité de chroniqueur et journaliste pigiste pour la société nationale de radiodiffusion Radio France à compter de décembre 1996.
Il a travaillé dans un premier temps, de 1996 à 2006, en qualité de salarié aux termes de contrats à durée déterminée. Puis, à partir de 2006, son statut a changé, en ce qu’il est intervenu auprès de la radio d’une part, très ponctuellement en qualité de salarié sous contrat à durée déterminée. Et d’autre part, aux termes de plusieurs contrats d’auteur.
La société Radio france a mis fin à la collaboration avec ledit salarié.
Après avoir saisi le conseil de prud’hommes de Paris qui a débouté sa demande de requalification de ses contrats à durée déterminée et ses contrats d’auteur successifs en contrat de travail à durée indéterminée, il a interjeté appel. Et par un arrêt du 28 janvier 2021, la Cour d’appel de Paris a rejeté en autre sa demande de requalification des contrats d’auteur en contrat de travail.
Le salarié a formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cet arrêt. Et par une décision du 26 octobre 2022, la chambre sociale de la cour de cassation a cassé, partiellement, l’arrêt rendu le 28 janvier 2021 par la cour d’appel de Paris, mais seulement en ce qu’il a rejeté la demande de requalification des contrats d’auteur et la demande au titre du travail dissimulé [6].
La Cour de cassation a retenu au visa de l’article L7112-1 du Code du travail, au sujet de la requalification des contrats d’auteur que :
« Pour débouter M. [T] de sa demande en requalification des contrats d’auteur en contrat de travail à durée indéterminée, l’arrêt retient que ces contrats, qui mentionnaient l’objet de la commande "documentaire radiophonique" sur un artiste ou un thème et le format (nombre d’épisodes, leur durée) précisaient seulement la date limite de remise du texte et ne peuvent être assimilés à un contrat de travail, "l’auteur" restant libre dans la réalisation de la commande et non soumis à un lien de subordination vis à vis de la société.
En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser en quoi, M. [T], à qui elle avait reconnu la qualité de journaliste professionnel, en sorte qu’il incombait à la société à laquelle il apportait sa collaboration de renverser la présomption de salariat qui s’y attachait, jouissait d’une totale liberté et indépendance dans la réalisation des documentaires radiophoniques dont elle avait relevé qu’il n’avait pas pris l’initiative et n’avait choisi ni le thème ni le format ni la date de remise, n’a pas donné de base légale à sa décision ».
Suite à la cassation partielle, le journaliste a de nouveau saisi la Cour d’appel de Paris.
Ainsi, sur la demande de requalification des contrats d’auteur en contrat de travail salarié à durée indéterminée, les juges du fond rappellent à juste titre les dispositions de l’article L7112-1 du Code de travail. A savoir que toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail.
Et que cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties.
S’agissant des contrats d’auteur signés entre le journaliste et la société Radio France pour une certaine période, celui-ci bénéficiait d’une présomption de salariat en application de l’article L7112-1 du Code de travail dans la mesure où ces contrats lui procuraient une rémunération, étaient établis avec une entreprise de presse, et où l’arrêt du 28 janvier 2021 lui a déjà reconnu par ailleurs la qualité de journaliste sur cette période, en vertu des contrats à durée déterminée conclus parallèlement.
Pour renverser cette présomption de salariat, la société Radio France fait valoir qu’il résulte des contrats d’auteur, que le journaliste « n’a pas effectué un travail de journaliste salarié mais qu’il a répondu à la commande d’œuvres qu’il avait toute liberté de créer. Il concevait et écrivait des documentaires radiophoniques, sans directives, instructions ou ordre, et sans aucune surveillance, demande de rendre des comptes ou possibilité de sanction ».
Néanmoins, la cour d’appel relève que les contrats d’auteur mentionnaient l’objet de la commande "documentaire radiophonique" sur un thème, le format (nombre d’épisodes, leur durée) et précisaient la date limite de remise du texte.
Selon les juges du fond, si le journaliste avait dans le cadre de l’exercice de ces contrats une liberté créative quant au contenu des épisodes, lequel n’était pas défini, que force est de constater que, selon la cour :
- le thème était défini,
- le format des épisodes était défini, d’une durée de deux minutes, ce qui s’apparentait à une chronique telle que pratiquée auparavant par le journaliste en question, en qualité de salarié sous contrat à durée déterminée,
- la date limite de remise était définie,
- le contenu des documentaires pouvait être refusé par la société RADIO France, ce qui suppose un contrôle de sa part, dans la mesure où il était précisé au contrat qu’au cas où son texte ne serait pas accepté, les sommes versées resteraient acquises.
Aussi, les juges soulèvent à juste titre que, parallèlement aux contrats d’auteur, étaient conclus des contrats à durée déterminée de salarié pour l’enregistrement des épisodes écrits en qualité d’auteur. Ainsi, pour la série " ces années là", le journaliste écrivait le texte en qualité d’auteur et l’enregistrait en vue de sa diffusion en qualité de salarié.
Au vu de ces différents éléments, il ne fait pas de doute que le journaliste a en réalité continué d’exercer la même activité que celle exercée auparavant en qualité de journaliste chroniqueur salarié, sous le contrôle de son employeur qui en supervisait l’enregistrement et pouvait en contrôler le contenu.
Et que selon les Juges du fond, la société Radio France échoue ainsi à renverser la présomption de salariat du journaliste en question, et l’ensemble des contrats d’auteur conclus par celui-ci seront donc requalifiés en contrat de travail à durée indéterminée.
Ainsi, la requalification des contrats d’auteur en contrat de travail à durée indéterminée, a pour corollaire, que la fin de la relation contractuelle, s’assimile à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec toutes les conséquences indemnitaires que la requalification des contrats d’auteur engendre, et notamment la condamnation à une indemnité pour travail dissimulé [7], sur laquelle on s’attardera.
En effet, en vertu de l’article L8221-5 du Code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :
« 1° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ;
2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d’un bulletin de paie ou d’un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des
dispositions légales ».
Selon les juges du fond, la société Radio France a artificiellement modifié le cadre contractuel dans lequel le journaliste en cause,
« exerçait son activité de journaliste salarié depuis 1996, en lui faisant signer d’une part des contrats d’auteur portant sur le contenu de ses chroniques, et d’autre part des contrats de salarié pour l’enregistrement de celles-ci, alors que ses fonctions s’exerçaient en réalité en continuité sur l’ensemble de sa période d’emploi ».
Par une telle pratique, la société s’est soustraite à ses obligations d’employeur concernant la rémunération accordée au titre des contrats d’auteur, qui ont été requalifiés par l’arrêt en contrat de travail.
Selon les juges, le travail dissimulé est caractérisé, en l’espèce par « la modification artificielle de cadre contractuel, (qui) a nécessairement été opérée de façon intentionnelle au regard de son contexte ».
De telle manière, que la société Radio France a été condamnée à verser la somme de 11.489,22 € au journaliste à titre d’indemnité pour travail dissimulé, soit une indemnité équivalent à 6 mois de salaire, en vertu de l’article L8223-1 du Code du travail.
En conclusions : la requalification des contrats d’auteur en contrat de travail peut être lourde de conséquences aussi bien juridiques que financières pour une société (rappels de salaires, de cotisations, indemnités pour travail dissimulé, dommages et intérêts, indemnités pour licenciement etc). Il apparaît dès lors plus prudent que les parties définissent dès l’origine de leur collaboration, le cadre contractuel adéquat. La conclusion du contrat approprié au statut réel du journaliste constitue la meilleur garantie de sécurité juridique, tant pour l’entreprise de presse, préservant à la fois ses intérêts économiques et sa crédibilité professionnelle, que pour le professionnel concerné.



