1. Le régime de la résiliation du bail commercial pour loyers impayés avant l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire à l’encontre du locataire.
Lorsqu’un locataire commercial ne s’acquitte pas régulièrement des loyers et des charges, le bailleur peut souhaiter résilier le bail commercial.
Il faut distinguer la situation dans laquelle le bail commercial prévoit, ou pas, une « clause résolutoire ».
En premier lieu, lorsque le bail commercial ne contient pas de « clause résolutoire » (ce qui est extrêmement rare en pratique), alors le bailleur doit engager une action en justice devant le tribunal judiciaire afin d’obtenir la « résolution judiciaire » du bail.
Pour cela, il devra démontrer au tribunal que le défaut de paiement des loyers et des charges revêt une gravité suffisante pour justifier la résiliation du bail.
Cette voie est moins rapide et plus aléatoire que si le bail commercial contient une « clause résolutoire », dès lors que l’appréciation du manquement invoqué doit revêtir une gravité suffisante qui est souverainement appréciée par les juges du fond.
Le juge peut ainsi refuser de prononcer la résolution du bail commercial en tenant compte par exemple de la bonne foi ou de la situation du locataire, mais il doit dans ce cas prévoir des mesures pour mettre fins auxdits manquements, en accordant des délais de paiement au locataire ou des dommages et intérêts au bailleur.
Plus classiquement, le bail commercial contient presque toujours une « clause résolutoire », qui est une clause usuelle bien que nullement obligatoire.
Dans ce cas, en principe, le bailleur peut demander l’acquisition de la clause résolutoire dès lors qu’a été constaté le défaut de paiement d’un seul terme de loyer. Ainsi, le juge saisi d’une demande d’acquisition de la clause résolutoire (en principe en référé), n’a pas la possibilité d’apprécier la gravité du manquement ou de tenir compte de la bonne foi du locataire : il doit en principe se contenter de constater l’acquisition de la clause résolutoire, en application des dispositions du bail commercial et ce en application du principe de force obligatoire du contrat.
Le législateur est cependant venu accorder des protections au locataire commercial, afin d’éviter que celui-ci voit son bail résilié en raison d’un seul impayé.
En premier lieu, aux termes de l’article L145-41 du Code de commerce, la clause résolutoire ne produit ses effets qu’un mois après la délivrance par un commissaire de justice (anciennement huissier de justice) d’un commandement de paiement resté infructueux. En d’autres termes, le bailleur qui souhaite mettre en œuvre la clause résolutoire doit faire délivrer par un commissaire de justice un commandement de payer visant la clause résolutoire (dont les formes et les mentions sont prévues par la loi), lui enjoignant de procéder au paiement des loyers et des charges dans le délai d’un mois. Ce n’est qu’à défaut de paiement de l’arriéré de loyer et de charges locatives dans le délai d’un mois à compter de la délivrance du commandement de payer que la résiliation du bail est encourue. En outre, le bailleur doit également saisir le juge des référés, soit le président du tribunal judiciaire, afin que soit constatée l’acquisition de la clause résolutoire et que soit prononcée en conséquence l’expulsion du locataire.
Or, à ce stade, le juge des référés peut accorder des délais de paiement rétroactifs au locataire qui n’aurait pas payé ses loyers dans le délai d’un mois à compter de la délivrance du commandement. Dans cette hypothèse, si le locataire s’acquitte de l’arriéré de loyer et de charges selon les délais qui lui ont été accordés, tout en payant à bonne date les loyers courants, alors la clause résolutoire est réputée ne pas avoir joué et le bail n’est pas résilié.
En revanche, si le locataire à qui des délais ont été accordés ne s’acquitte pas à bonne date des échéances de paiement de l’arriéré locatif et/ou du loyer courant, alors le bailleur n’a pas à saisir à nouveau le juge des référés et peut simplement demander à son commissaire de justice de poursuivre l’exécution de la décision de référé ordonnant l’expulsion du locataire.
En pratique, lorsqu’un locataire - qui s’est vu accorder des délais de paiement - ne dispose pas de la trésorerie suffisante pour payer à l’échéance l’arriéré locatif et le loyer courant, il peut avoir intérêt, s’il veut éviter la résiliation de son bail, à se placer sous le régime du redressement judiciaire par le dépôt d’une déclaration de cessation de paiement, qui devra être reçu par le greffe du tribunal de commerce avant que soit constaté le défaut de paiement de l’échéance de l’arriéré locatif.
En effet, dès lors qu’une procédure de redressement judiciaire est ouverte à l’encontre du locataire avant la résiliation définitive du bail, alors les règles du Code de commerce en matière de protection des sociétés en difficulté trouvent application (notamment les articles L621-22 et L622-7 du Code de commerce relatifs à l’interdiction des poursuites individuelles et l’interdiction du paiement des dettes antérieures à l’ouverture de la procédure collective du locataire).
Ainsi, l’action en constatation de la clause résolutoire, considérée comme une action tendant à la résiliation d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent, est, à ce titre, interrompue par l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire.
L’action en acquisition de la clause résolutoire en cours au jour de l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire du locataire est donc « caduque » et ne peut plus produire d’effet.
Aussi, dès lors que le bail n’est pas définitivement résilié au jour de l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire, alors la procédure initiée par le bailleur ne peut ensuite que tendre à la fixation de sa créance dont le montant sera ultérieurement inscrit au passif de la société locataire.
En d’autres termes, le bailleur ne pourra plus solliciter la résiliation du bail commercial en raison de loyers impayés antérieurs à l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire, et ne pourra d’ailleurs pas non plus obtenir le paiement desdits loyers impayés en dehors de la procédure collective.
Il ne reste ainsi au bailleur, qui souhaiterait obtenir la résiliation du bail, qu’à surveiller scrupuleusement le paiement régulier des loyers et charges locatives postérieurs à l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire, étant entendu qu’ici encore la procédure de résiliation du bail commercial suit un régime particulier protecteur du locataire.
2. Le régime de la résiliation du bail commercial pour loyers impayés après l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire.
Aux termes de l’article L622- 13 du Code de commerce,
« le cocontractant doit remplir ses obligations malgré le défaut d’exécution par le débiteur d’engagements antérieurs au jugement d’ouverture ».
Ainsi, le bail commercial doit se poursuivre malgré les impayés antérieurs à l’ouverture de la procédure de redressement, aux clauses et conditions initialement prévues sans aucune modification.
Cependant, le mandataire judiciaire doit veiller au paiement des loyers et des charges locatives afférentes à une période d’occupation des locaux postérieure au jugement d’ouverture du redressement judiciaire. Le mandataire judiciaire doit ainsi s’assurer de disposer des fonds nécessaires à la poursuite du contrat de bail commercial.
En effet, aux termes de l’article 622-17 du Code de commerce,
« les créances nées régulièrement après le jugement d’ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d’observation, ou en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant cette période, sont payées à leur échéance ».
Ainsi, en principe, les loyers et charges locatives postérieurs à l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire doivent être payées à leur échéance exacte, sous peine de résiliation du bail.
Cependant, à nouveau, afin de protéger le locataire commercial en difficulté, le législateur a prévu une exception en matière de résiliation du bail commercial, en prévoyant une procédure spécifique à l’article L622-14 du Code de commerce, qui dispose :
« la résiliation du bail des immeubles donnés à bail au débiteur et utilisés pour l’activité de l’entreprise intervient dans les conditions suivantes :
1° Au jour où le bailleur est informé de la décision de l’administrateur de ne pas continuer le bail. Dans ce cas, l’inexécution peut donner lieu à des dommages et intérêts au profit du cocontractant, dont le montant doit être déclaré au passif. Le cocontractant peut néanmoins différer la restitution des sommes versées en excédent par le débiteur en exécution du contrat jusqu’à ce qu’il ait été statué sur les dommages et intérêts.
2° Lorsque le bailleur demande la résiliation ou fait constater la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture, le bailleur ne pouvant agir qu’au terme d’un délai de trois mois à compter dudit jugement.
Si le paiement des sommes dues intervient avant l’expiration de ce délai, il n’y a pas lieu à résiliation ».
Le bail peut ainsi être résilié par le locataire, après avis du mandataire judiciaire, qui déciderait de ne pas poursuivre le bail commercial à défaut de fonds suffisants pour payer la prochaine échéance du loyer. Dans ce cas, le locataire n’est pas tenu de respecter un quelconque délai et/ou des formalités spécifiques. Le bail commercial est alors résilié immédiatement.
Le bailleur quant à lui peut demander la résiliation du bail si des loyers et/ou des charges locatives sont demeurées et impayées après le jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire. Cependant, il ne peut demander la résiliation du bail qu’après l’expiration d’un délai de trois mois après la date du jugement d’ouverture.
En d’autres termes, le locataire commercial n’est pas tenu de respecter scrupuleusement les échéances de paiement du loyer et des charges au cours des trois mois suivants le jugement d’ouverture du redressement judiciaire. Cependant, l’intégralité des loyers et des charges doivent avoir été payées au plus tard au dernier jour de cette période de trois mois.
En absence de paiement, le bailleur pourra déposer une requête devant le juge commissaire. La Cour de cassation a précisé que le juge commissaire ne disposait, dans cette hypothèse, d’aucun pouvoir d’accorder des délais de paiement au débiteur.
En effet, dès lors que le juge commissaire constate l’absence de paiement des loyers et des charges après un délai de trois mois à compter du jugement d’ouverture, il doit alors se borner à constater la résiliation du bail et ne peut accorder aucun délai de paiement, rétroactif ou non. Le seul délai opposable au bailleur et le délai de trois mois pendant lequel il ne peut pas agir. Il doit être précisé que le bailleur ne peut saisir le juge commissaire que par voie de requête, et qu’à l’issue du délai de trois mois. Le respect du délai précité s’apprécie à la date de la requête, de sorte qu’une demande prématurée de résiliation ne peut pas être régularisée par voie écrite ou orale lors de l’audience devant le juge commissaire. Le bailleur doit donc présenter une nouvelle requête si la première est irrégulière.
Cette disposition législative a pour objet de protéger le locataire commercial et surtout de préserver le contrat de bail commercial indispensable à la poursuite de l’exploitation de l’entreprise redressement judiciaire. Ainsi, le locataire commercial bénéficie d’un délai de paiement pour les premiers loyers après l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire sans que le bailleur ne puisse s’y opposer et sans intervention du juge.
En cas de défaut de paiement des loyers et charges correspondant à une occupation postérieure au jugement de redressement judiciaire, après le délai de trois mois précité, le bailleur a alors la possibilité d’engager une action en résiliation de plein droit du bail commercial. Cette action est distincte de celle qui tend à faire constater l’acquisition de la clause résolutoire stipulée au bail : ainsi, le bailleur qui agit devant le juge commissaire n’est pas tenu de faire délivrer un commandement de payer. D’ailleurs, le bailleur peut demander la résolution de plein droit même s’il a parallèlement saisie le juge des référés d’une demande tendant à faire constater l’acquisition de la clause résolutoire. Il peut même avoir intérêt à cumuler les deux actions.
En principe, à la lecture des dispositions de l’article L622-14 du Code de commerce, la résiliation du bail ne serait pas encourue seulement si le paiement des trois mois de loyers et charges locatives « intervient avant l’expiration » dudit délai de trois mois.
Ainsi, une lecture littérale de ce texte pourrait laisser penser que le défaut de paiement des loyers et charges locatives dans le délai de trois mois suffit à entraîner la résiliation du bail commercial, sans aucun pouvoir d’appréciation du juge commissaire.
En d’autres termes, une lecture littérale de la loi pourrait laisser penser qu’il suffirait au bailleur de démontrer que les loyers et charges correspondant à l’occupation des trois premiers mois suivants l’ouverture du redressement judiciaire n’ont pas été payés dans les délais pour qu’il soit fondé à obtenir la résiliation de plein droit du bail commercial.
Cependant, s’inscrivant dans une politique de protection à l’égard du locataire commercial, la jurisprudence est venue apporter une condition supplémentaire qui n’était pas prévue par le texte du Code de commerce.
En effet, selon la jurisprudence, le défaut de paiement des loyers et de charges doit se poursuivre jusqu’au jour du dépôt de la requête par le bailleur, ce qui conduit en pratique accorder un délai supplémentaire d’un minimum de quelques jours au locataire.
Par exemple, la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 22 février 2024 (n° 23/12488), a jugé que :
« La résiliation du bail lorsqu’elle est fondée sur une cause postérieure au jugement d’ouverture prend effet au jour de la demande du bailleur (…). Ainsi qu’il est admis en jurisprudence, les conditions de résiliation de plein droit du bail donc doivent être appréciées au jour de la requête.
S’il résulte de l’article L622-14,2° qu’il n’y a pas lieu à résolution du bail lorsque le paiement des sommes dues intervient dans le délai de trois mois, il ne peut en revanche en être déduit, en l’absence d’indication en ce sens dans le texte, que tout paiement intervenant après l’expiration de ce délai et avant la saisine du juge-commissaire est sans effet sur le constat de la résiliation du bail, alors qu’une telle interprétation aurait valeur de sanction. Il sera surabondamment relevé que la disposition sus visée présente l’intérêt pour la procédure collective de neutraliser la date d’échéance du loyer contractuellement fixée à l’intérieur de ce délai d’attente, puisqu’un paiement intervenant avant l’expiration du délai de trois mois suffit à faire obstacle à la résiliation du bail.
Il s’ensuit que doit être rejeté le moyen tiré du caractère inopérant d’un paiement des sommes dues au titre des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture intervenant après le délai d’attente de trois mois mais avant la saisine du juge-commissaire par le bailleur ».
Le bailleur donc intérêt à faire diligence sans délai après l’expiration du délai de trois mois pour déposer sa requête, puisque c’est à cette date que le défaut de paiement des trois mois de loyer sera constaté.
En pratique, le locataire commercial qui n’aurait pas procédé au paiement des trois mois de loyer et qui recevrait une copie de la requête par le greffe n’aurait aucun moyen de recours, puisque la requête étant déposée, le juge-commissaire ne peut que se borner à constater la résiliation du bail.
Il est rappelé à titre de précision que même si la requête était déposée, par exemple, cinq mois après le prononcé du jugement d’ouverture de redressement judiciaire, seule la preuve de l’absence de paiement de trois mois de loyer de charges locatives peut entraîner la résiliation du bail, et non pas l’absence de paiement de l’ensemble de la période postérieure à l’ouverture de la procédure de redressement jusqu’au dépôt de la requête.
Ainsi, selon cette jurisprudence, c’est à la date du dépôt de la requête qu’il faut se placer pour vérifier si les trois mois de loyer et charge ont été payés, et non pas à la date à laquelle le juge statue sur cette demande.
L’arrêt de la Cour de cassation du 12 juin 2024 (n°22-24177) publié au bulletin, au lieu de donner une nouvelle précision ou de confirmer cette position, vient, compte tenu de sa rédaction peut-être maladroite, au contraire laisser planer un doute sur la date à laquelle il faut se référer pour constater le défaut de paiement.
En effet, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 12 juin 2024, un jugement d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire avait été rendu le 28 avril 2020 par un tribunal de commerce à l’encontre d’une société titulaire d’un bail commercial.
La société locataire avait donc l’obligation de s’acquitter des trois mois de loyers et charges correspondant à la période postérieure au prononcé du jugement de redressement judiciaire au plus tard trois mois après le 28 avril 2020, soit le 28 juillet 2020.
Devant l’absence de paiement à cette date des loyers et charges, le bailleur avait saisi le juge-commissaire à d’une requête aux fins de voir constater la résiliation de plein droit d’un bail commercial, le 10 septembre 2020, soit bien après l’expiration du délai de trois mois.
Or, en l’espèce, la société locataire avait procédé au versement des loyers échus postérieurement au jugement d’ouverture de la procédure collective, le 9 septembre 2020, paiement qui a été reçu par le bailleur le 10 septembre 2020.
La requête du bailleur étant datée du 10 septembre 2020, le juge-commissaire avait justement considéré qu’à la date du dépôt de la demande du bailleur, les loyers échus postérieurement au jugement d’ouverture de la procédure collective étaient réglés, de telle sorte que la demande de constatation de la résiliation du bail devait être rejetée du fait du paiement intervenu.
Le bailleur, qui considérait quant à lui que le seul constat de l’existence de loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture demeurant à payer au-delà du délai de trois mois suffisait à fonder une action résiliation de plein droit, et qu’il importait peu que le preneur et payer les loyers antérieurement ou concomitamment au dépôt de la requête, a formé un recours d’abord devant le tribunal de commerce, puis devant la cour d’appel.
Ces recours ayant été rejetés, la chambre commerciale de la Cour de cassation était donc amenée à venir confirmer la position de la jurisprudence antérieure.
Or, la Cour de cassation a rendu la décision suivante :
« Il résulte de l’article L622-14, 2o, du Code de commerce (…) que le juge-commissaire, saisi par le bailleur d’une demande de constat de la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture, doit s’assurer, au jour où il statue, que des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture demeurent impayés.
Ayant constaté que la société X avait payé, le 9 septembre 2020, les loyers échus postérieurement au jugement d’ouverture de la procédure collective, que ce paiement avait été reçu le 10 septembre 2020 par le bailleur, qui, le même jour, avait saisi le juge-commissaire d’une demande de constatation de la résiliation de plein droit, l’arrêt retient exactement que la créance de loyers postérieurs à l’ouverture de la procédure collective étant éteinte pour avoir été acquittée par le preneur, la requête du bailleur doit être rejetée ».
La Cour de cassation vient donc ainsi indiquer très clairement que le juge-commissaire doit s’assurer du paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture « au jour où il statue », sans aucune autre précision.
Il serait ainsi possible de penser que la date à laquelle les loyers et charges postérieurs doivent être payés n’est finalement pas la date du dépôt de la requête conformément à la jurisprudence antérieure, mais la date à laquelle le juge statue, c’est-à-dire la date de son audience.
Une telle évolution de la jurisprudence modifierait drastiquement le contentieux en la matière, car le dépôt de la requête et la convocation de la société locataire tiendrait lieu de mise en demeure permettant à la société locataire de régulariser sa situation au plus tard au jour de l’audience dans l’hypothèse où le défaut de paiement résulterait d’un oubli ou d’un défaut de trésorerie.
Cependant, cette décision est rendue dans une espèce dans laquelle les loyers avaient été payés antérieurement au dépôt de la requête, ce qui est relevé par la Cour de cassation au soutien de son argumentation.
Ainsi, il n’est pas possible de considérer irréfragablement que la Cour de cassation a modifié la jurisprudence en la matière, en considérant que le juge commissaire ne peut prononcer la résiliation du bail que s’il constate « au jour où il statue » l’absence de paiement des loyers et charges afférents à l’occupation des locaux après l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire, et non pas la date de la requête.
Ce manque de précision est regrettable, et ce d’autant plus que le juge-commissaire n’est pas un magistrat professionnel et que le manque de clarté de cette décision de Cour de cassation peut faire peser une certaine insécurité sur les éventuelles cessions d’actifs dans le cadre des procédures collectives.
Les prochaines jurisprudences rendues en la matière de cet abondant contentieux permettront sans doute y voir plus clair.
Une décision de la Cour d’appel de Rennes du 3 septembre 2024 (Cour d’appel de Rennes, 3ᵉ Chambre commerciale, Arrêt du 3 septembre 2024, Répertoire général nº 23/07201) s’inscrit quant à elle dans la jurisprudence antérieure, en visant la date de la requête, et non pas à la date à laquelle le juge statue :
« Selon requête portant cachet du greffe au 08 décembre 2023, M. [O] avait déposé devant le juge commissaire une requête fondée sur les dispositions de l’article L641-12 et L622-14 du Code de commerce, demandant que soit constatée la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture de la procédure collective.
La requête du 08 décembre ayant été déposée plus de trois mois après l’ouverture du redressement judiciaire de la société Ty Poul, le juge commissaire ne pouvait que constater la résiliation du bail et n’avait pas la possibilité d’accorder de délais au débiteur.
Il ne pouvait dès lors cinq jours plus tard, le 13 décembre, faire droit à une requête déposée le 12 décembre par le liquidateur judiciaire et autoriser la cession du fonds de commerce, le droit au bail ayant disparu et le fonds n’ayant plus de lieu d’exploitation.
La résiliation, qui devait simplement être constatée, préexistait en effet à la date de la requête du liquidateur judiciaire.
En conséquence de ce qui précède, l’ordonnance déférée est infirmée avec toutes conséquences de droit quant à la restitution des fonds versés par la société Atlas Conseils, ou du chèque de banque s’il n’a pas été encaissé ».