L’article L113-3, alinéa 2 du Code des assurances (dans sa rédaction en vigueur depuis le 22 mai 2019 encore en vigueur à ce jour) dispose que :
« à défaut de paiement d’une prime, ou d’une fraction de prime, dans les dix jours de son échéance, et indépendamment du droit pour l’assureur de poursuivre l’exécution du contrat en justice, la garantie ne peut être suspendue que trente jours après la mise en demeure de l’assuré Au cas où la prime annuelle a été fractionnée, la suspension de la garantie, intervenue en cas de non-paiement d’une des fractions de prime, produit ses effets jusqu’à l’expiration de la période annuelle considérée. La prime ou fraction de prime est portable dans tous les cas, après la mise en demeure de l’assuré ».
Aux termes de l’article R113-1 du même code :
« La mise en demeure prévue au deuxième alinéa de l’article L113-3 résulte de l’envoi d’une lettre recommandée, adressée à l’assuré, ou à la personne chargée du paiement des primes, à leur dernier domicile connu de l’assureur. Si ce domicile est situé hors de la France métropolitaine, la lettre recommandée est accompagnée d’une demande d’avis de réception. Cette lettre, dont les frais d’établissement et d’envoi incombent à l’assureur, doit indiquer expressément qu’elle est envoyée à titre de mise en demeure, rappeler le montant et la date d’échéance de la prime et reproduire l’article L113-3 ».
Concernant les conditions purement formelles de l’envoi, le législateur n’exige pas que la lettre recommandée soit accompagnée d’un accusé de réception.
Un courrier recommandé envoyé au dernier domicile connu de l’assuré est suffisant, la preuve de l’envoi étant apportée par la production du récépissé de La Poste [2].
Cependant, il appartient à l’assureur de rapporter la preuve de l’expédition du courrier de mise en demeure dont il se prévaut.
C’est là que la situation se complique pour l’assureur en cas de litige.
S’il est établi que la mise en demeure a été adressée au dernier domicile connu de l’assuré, il importe peu qu’elle n’ait pas touché son destinataire et que la lettre ait été renvoyée à la compagnie avec la mention que l’assuré n’habitait pas à l’adresse indiquée [3].
Aussi, la jurisprudence a pu considérer que la preuve de l’envoi de la mise en demeure est rapportée dès lors que, si l’agent des postes n’a pas visé chaque numéro de recommandation, compte tenu de l’envoi en nombre effectué par la compagnie, il a visé en fin de bordereau la totalité des envois dans lesquels figure le numéro de la lettre litigieuse [4].
La jurisprudence a eu l’occasion de préciser que :
« L’assureur produit les première et dernière pages d’un bordereau d’envoi, comportant quatre cent quatorze pages, de sept mille courriers recommandés portant le cachet de La Poste au 18 septembre 2008, ainsi qu’un extrait d’une des pages de ce document qui fait mention, en particulier, du pli recommandé n° 2D 007 066 3398 4 adressé par l’assureur à Mme X.. ; qu’il est indiqué sur la première page de ce bordereau que La Poste réceptionne les recommandés du n° 2DOO7O6571668 au n° 2DOO7O6641651, ce qui est attesté par le tampon postal daté du 18 septembre 2008, tampon qui figure également sur la dernière page, avec la mention « visa après contrôle des quantités », le nombre de plis déclarés pour ce dépôt étant de sept mille comme indiqué sur cette dernière page ; que recevant sept mille courriers recommandés le même jour, La Poste ne saurait apposer son cachet sur chaque page, voire chaque adresse de destinataire ; que la production conjointe de la première page faisant état des numéros des plis, de la page du bordereau où l’expédition de la lettre est mentionnée (dont le numéro est bien compris entre celui du premier pli et celui du dernier), et de sa dernière page, qui précise le nombre total des envois et porte le timbre à date de La Poste, permet en conséquence de considérer comme établi que le 18 septembre 2008, l’assureur a bien expédié à Mme X.. la lettre de mise en demeure ; que l’assureur a enregistré comme date de suspension le 21 octobre 2008 ; que la prime n’a été payée que le 24 novembre 2008 ; Qu’en l’état de ces constatations et énonciations procédant de son pouvoir souverain d’appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, la cour d’appel a relevé que l’assureur, justifiait de l’envoi de la mise en demeure par lettre recommandée prévue aux articles L113-3 et R113-1 du Code des assurances et en a exactement déduit qu’à la date de l’accident la garantie de l’assureur était suspendue » [5].
Par un jugement du 6 avril 2017, le Tribunal Judiciaire de Paris [6] a estimé que : « la compagnie d’assurance qui verse aux débats un bordereau d’envoi de plis postaux portant en première page le timbre des services de La Poste daté du 20 août 2012, aux termes duquel sont listés un certain nombre de lettres recommandées identifiées par une référence, ne justifie pas d’une mise en demeure conforme aux exigences formelles des articles L113-3 et R113-1 du Code des assurances ».
En effet, le tribunal fait remarquer qu’il n’est pas précisé sur le feuillet « combien de pages comportait le bordereau ni combien d’envoi y ont été visés ».
De plus, il précise que la seconde page versée aux débats par la compagnie d’assurance, numérotée 120/153 : « n’a pas été visée par l’agent postal, de sorte qu’il n’est pas possible de déterminer combien d’envois, outre ceux répertoriés en première page du bordereau, ont effectivement été réalisés par la compagnie d’assurance, ni si la lettre adressée à l’assuré, qui a certes été numérotée mais dont le numéro n’est pas visé sur l’unique page portant le timbre des services de La Poste, a réellement été expédiée dans le cadre de cet envoi en nombre du 20 août 2012 ».
Le tribunal conclut alors que : « la compagnie d’assurance n’établit dans ces conditions pas l’envoi d’une mise en demeure conforme aux exigences formelles des articles L113-3 et R113-1 du Code des assurances, de sorte qu’en l’absence de suspension valable des garanties du contrat d’assurance multirisque habitation l’assuré se trouve bien fondé à demander la condamnation de cette dernière à exécuter ledit contrat ».
La compagnie d’assurance a fait appel.
Par un arrêt du 18 septembre 2018, la cour d’appel de Paris a infirmé le jugement. [7].
Elle considère en effet que l’assuré ne peut sérieusement contester « que la première (1/153) et la dernière page (153/153) se rapportent à un même document dès lors qu’il apparait que le premier pli est numéroté n°2D 0172121829 et le dernier n°2D0172126076 ce qui correspond aux 4248 courriers, dont les numéros se suivent et sont déclarés lors du dépôt, le pli litigieux numéroté n°2D0172125165B constituant bien, ainsi qu’il est indiqué à la page 123/153, le 3337ème courrier de cet envoi ».
Ainsi, la cour d’appel conclut que la compagnie d’assurance « rapporte la preuve qui lui incombe de l’envoi d’une mise en demeure emportant, faute de régularisation, suspension des garanties […] ».
Cette décision s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence antérieure.
En effet, la Cour de cassation avait jugé que la preuve de l’envoi de la mise en demeure est rapportée dès lors que, si l’agent des postes n’a pas visé chaque numéro de recommandation, compte tenu de l’envoi en nombre effectué par la compagnie, il a visé en fin de bordereau la totalité des envois dans lesquels figure le numéro de la lettre litigieuse [8].
En outre, il a été précisé que la production conjointe de la première page faisant état des numéros des plis, de la page du bordereau où l’expédition de la lettre est mentionnée (dont le numéro est bien compris entre celui du premier pli et celui du dernier), et de sa dernière page, qui précise le nombre total des envois et porte le timbre à date de La Poste, permet en conséquence de « considérer comme établi que l’assureur a bien expédié la lettre de mise en demeure » [9].
La Cour de cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Toulouse [10] qui avait estimé que l’assureur n’avait pas valablement procédé à la suspension de la garantie, a retenu que celui-ci ne rapportait pas la preuve de l’envoi de la lettre recommandée de mise en demeure dès lors, d’une part, qu’il ne « produisait des pièces qu’en copie et ne produisait pas davantage de constat d’huissier permettant de vérifier que le bordereau d’envoi groupé comprenait la lettre litigieuse, laquelle ne portait pas elle-même le tampon de la poste ».
La Cour de cassation indique que la cour d’appel aurait dû chercher à savoir si les copies produites n’étaient pas conformes aux documents originaux.
Elle a également relevé que « sur la copie du bordereau d’envoi groupé, l’assuré figurait, en page 2, en qualité de destinataire avec sa dernière adresse connue non contestée, que la première et la dernière page du bordereau comportaient le tampon de la poste au 21 juin 2010 et que, sur la copie de la lettre de l’assureur imprimée sur papier, était porté le numéro de lettre recommandée compris dans les numéros des lettres objets du bordereau d’envoi groupé ».
Ainsi, la Cour de cassation confirme la pleine validité de la mise en demeure adressée par l’assureur à son assuré.
De même, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence [11] qui, pour rejeter la demande de mise hors de cause de l’assureur a retenu que si l’assureur produisait « un bordereau récapitulatif de courrier sécurisé du 28 décembre 2012 attestant de divers envois recommandés et comportant le tampon de la Poste, le bordereau où figurait le nom de M. V n’en comportait pas, qu’il existait donc une contestation sérieuse sur le fait que le contrat ait été effectivement résilié [..] ».
La Cour de cassation a en effet estimé que la cour d’appel aurait dû expliquer « en quoi la production conjointe de la page numérotée du bordereau où l’expédition de la lettre de mise en demeure adressée à M. V était mentionnée et de sa première page qui précisait le nombre total des envois et portait le cachet de la Poste, n’établissait pas l’expédition de la lettre recommandée comprise dans l’envoi en nombre effectué par l’assureur [..] ».
Il faut saluer cet arrêt du 18 septembre 2018 [12] dans la mesure où il sauvegarde l’équité et l’équilibre des droits entre les parties dans la charge de la preuve.
L’assureur ne garde pas systématiquement tous les bordereaux de chaque pli adressé aux assurés, ceux-ci étant envoyés en très grand nombre chaque jour.
La certitude de la date de résiliation a un impact considérable pour les compagnies d’assurances, notamment en matière de prévoyance lorsque l’assuré rapporte la preuve des premières manifestations cliniques de son incapacité de travail [13].
Sera bien avisé, l’assureur qui aura soigneusement conservé pendant un temps suffisant ces éléments de preuve essentiels (1ʳᵉ page du bordereau portant cachet de la poste, page du pli concerné et dernière page du bordereau portant le même cachet de la poste) !