Ce qu’il faut savoir et comprendre avant de céder une filiale déficitaire.
- La société mère n’a aucune obligation légale de vérifier la viabilité économique du projet de reprise d’une filiale déficitaire [1].
- La responsabilité peut être engagée uniquement en cas de fraude ou de faute de gestion imputable à la société mère.
- Les salariés disposent d’une action individuelle possible, mais limitée, s’ils prouvent un préjudice personnel distinct et un lien direct avec la faute.
- Le monopole d’action du mandataire judiciaire reste la règle, mais il ne prive pas totalement les salariés d’un recours.
- La sécurisation de l’opération (documentation, transparence, justification du choix du repreneur) demeure essentielle pour limiter les risques contentieux.
Le principe dégagé par la Cour de cassation.
Une cession de titres, non une garantie économique.
La Cour de cassation rappelle que la cession d’une filiale déficitaire reste juridiquement une simple cession de titres sociaux :
- Le cédant (la société mère) transfère la propriété de ses actions ou parts sociales.
- L’acquéreur devient seul responsable de la gestion et de l’avenir de la filiale.
- Aucune garantie implicite de viabilité économique ne pèse sur le cédant.
En d’autres termes, la société mère n’est pas assimilée à un garant de la pérennité de l’activité. Elle ne supporte pas une obligation de diligence particulière à l’égard des salariés ou des créanciers de la filiale.
Cette analyse repose sur le principe de liberté contractuelle reconnu par le Code civil [2], qui autorise les parties à déterminer librement le contenu de leurs conventions.
La confirmation d’une jurisprudence récente.
La cour avait déjà adopté une position similaire en 2023 [3]. Dans cette affaire, la filiale était en cessation des paiements et les salariés tentaient de mettre en cause la responsabilité de la société mère. La Haute juridiction avait jugé qu’aucune obligation de vérification du projet du repreneur ne pouvait être imposée au cédant.
L’arrêt du 7 mai 2025 s’inscrit donc dans la continuité : l’absence de viabilité du projet du repreneur n’est pas, en soi, constitutive d’une faute de la société mère.
Les limites de ce principe.
La faute de gestion imputable à la société mère.
Même si la société mère n’a pas à vérifier la solidité de l’acquéreur, elle peut engager sa responsabilité lorsqu’elle a commis une faute dans la gestion de sa filiale avant la cession.
Exemples fréquents :
- organisation de transferts financiers abusifs au profit du groupe ;
- décisions stratégiques contraires à l’intérêt social de la filiale ;
- politique commerciale imposée qui a conduit à l’échec de l’entité ;
- désengagement volontaire de toute mesure de soutien alors que la filiale était structurellement dépendante de la maison mère.
Dans un arrêt du 24 mai 2018 [4], la Cour de cassation a admis la possibilité pour les salariés de mettre en cause la société mère lorsque ses choix de gestion avaient directement contribué à la disparition des emplois.
En pratique, il ne s’agit pas d’une responsabilité automatique mais d’une responsabilité pour faute, qui suppose la démonstration d’un comportement actif ou d’une abstention fautive.
La fraude comme limite incontournable.
La seconde limite est la fraude.
Une cession réalisée dans des conditions suspectes peut être requalifiée en manœuvre frauduleuse.
Exemples de comportements constitutifs de fraude :
- collusion entre la société mère et le repreneur pour organiser la liquidation ;
- cession volontaire à un acquéreur notoirement défaillant dans le seul but de transférer les difficultés ;
- appauvrissement organisé de la filiale avant sa cession, pour en aggraver les pertes et justifier le transfert.
En cas de fraude, la responsabilité de la société mère peut être engagée, y compris vis-à-vis des salariés.
La place des salariés dans ce contentieux.
Le monopole du mandataire judiciaire.
En droit des procédures collectives, la règle est claire :
- Le mandataire ou le liquidateur judiciaire est seul compétent pour agir dans l’intérêt collectif des créanciers [5].
- Cette règle vise à éviter la multiplication d’actions concurrentes et à garantir l’égalité des créanciers.
L’exception du préjudice personnel.
La Cour de cassation admet toutefois qu’un créancier peut agir individuellement s’il démontre un préjudice personnel et distinct de celui des autres.
Pour les salariés, cette voie reste ouverte. Ils peuvent engager la responsabilité de la société mère en réparation de la perte de leur emploi [6].
Conditions à remplir :
- existence d’une faute caractérisée de la société mère ;
- préjudice distinct (perte d’emploi, perte de droits spécifiques) ;
- lien de causalité direct entre la faute et le préjudice.
Une action difficile mais pas impossible.
Dans la pratique, les salariés se heurtent à plusieurs obstacles :
- la preuve de la faute de la société mère est souvent complexe ;
- le lien direct entre les choix de la maison mère et la disparition des emplois doit être démontré ;
- les juridictions adoptent une approche restrictive pour ne pas décourager les cessions de filiales déficitaires.
Résultat : la plupart des actions engagées échouent, sauf en cas de comportements manifestement abusifs.
Enjeux pratiques pour les groupes de sociétés.
Sécuriser les opérations de cession.
Même si la société mère n’a pas d’obligation de vérifier le repreneur, elle doit adopter une démarche prudente.
Bonnes pratiques :
- documenter le processus de recherche d’un repreneur ;
- mettre en concurrence plusieurs candidats et conserver les preuves ;
- justifier objectivement le choix de l’acquéreur ;
- conserver les procès-verbaux des organes sociaux validant l’opération.
Ces précautions permettront, en cas de contentieux, de démontrer l’absence de fraude ou de faute.
Anticiper le risque contentieux des salariés.
L’action des salariés, bien que limitée, n’est jamais exclue.
Pour réduire les risques :
- analyser la gestion passée de la filiale et corriger les décisions contestables ;
- envisager des mesures d’accompagnement social en amont de la cession ;
- impliquer les instances représentatives du personnel pour éviter des contestations ultérieures.
L’équilibre à trouver.
La décision de la Cour de cassation illustre un équilibre délicat :
- préserver la liberté des groupes de se restructurer,
- tout en garantissant aux salariés et aux créanciers une protection minimale contre les abus.
L’arrêt du 7 mai 2025 confirme que la société mère n’est pas tenue de vérifier la viabilité du projet de reprise d’une filiale déficitaire.
Ce principe est désormais bien établi. Mais deux garde-fous subsistent :
- la faute de gestion antérieure,
- et la fraude.
Les salariés disposent encore d’une possibilité d’action individuelle, mais celle-ci reste étroite et exige une démonstration rigoureuse.
Pour les groupes, l’enseignement est clair : la cession d’une filiale déficitaire n’est pas risquée en soi, mais elle doit être préparée et documentée avec prudence.
Questions complémentaires.
La société mère doit-elle vérifier la solidité financière du repreneur ?
Non. La Cour de cassation a rappelé que la cession d’une filiale déficitaire s’analyse comme une cession de titres, et non comme une opération impliquant une obligation de garantie économique.
La société mère n’a donc pas à s’assurer que le repreneur dispose de fonds suffisants ou d’un plan de reprise crédible [7].
Cette absence d’obligation découle du principe de liberté contractuelle [8].
Toutefois, en cas de fraude avérée (cession à un acquéreur notoirement défaillant dans le seul but de transférer les difficultés), la responsabilité du cédant peut être engagée.
Dans quelles hypothèses la responsabilité de la société mère peut-elle être retenue ?
La responsabilité n’est pas exclue de manière absolue.
Elle peut être engagée dans deux cas principaux :
- La faute de gestion : si la maison mère a pris des décisions contraires à l’intérêt social de la filiale, par exemple en procédant à des transferts financiers injustifiés, en imposant une politique ruineuse ou en privant la filiale de ses moyens. Dans ce cas, les salariés peuvent invoquer que cette gestion fautive a directement conduit à la liquidation [9].
- La fraude : lorsqu’il est démontré que la cession a été organisée dans le seul but de contourner les droits des créanciers et des salariés, ou de précipiter la faillite.
En pratique, ces hypothèses sont difficiles à prouver mais elles constituent de véritables leviers de responsabilité.
Les salariés peuvent-ils agir directement contre la société mère ?
Oui, mais sous conditions.
En procédure collective, seul le liquidateur judiciaire est compétent pour agir dans l’intérêt collectif des créanciers [10].
Cependant, les salariés conservent la possibilité d’engager une action individuelle s’ils démontrent un préjudice personnel et distinct.
C’est le cas notamment lorsqu’ils invoquent la perte de leur emploi et cherchent à obtenir réparation sur ce fondement [11].
Les conditions de succès sont néanmoins strictes : il faut prouver une faute caractérisée de la société mère et établir un lien direct entre cette faute et le licenciement.
La société mère peut-elle limiter sa responsabilité dans le contrat de cession ?
Oui, mais avec des limites.
Dans la pratique, les cessions de filiales sont souvent assorties de clauses de garantie, par lesquelles la société mère encadre ses obligations.
Elle peut ainsi prévoir qu’aucune responsabilité ne sera retenue à son encontre du fait de l’échec ultérieur du repreneur.
Toutefois :
- une telle clause ne saurait couvrir une fraude : la fraude corrompt tout, même les stipulations contractuelles ;
- elle ne peut pas non plus exonérer la société mère de sa propre faute de gestion commise avant la cession.
Autrement dit, ces clauses protègent la société mère contre des recours ordinaires, mais elles ne font pas obstacle à des actions fondées sur des comportements fautifs ou frauduleux.
Quelles précautions une société mère doit-elle prendre avant de céder une filiale déficitaire ?
La jurisprudence exonère la société mère de l’obligation de vérifier le projet du repreneur. Mais cela ne signifie pas qu’elle doive agir à la légère.
Pour réduire le risque contentieux, il est recommandé de :
- documenter le processus de cession : conserver les éléments démontrant la recherche d’un repreneur ;
- justifier le choix de l’acquéreur : montrer que la décision repose sur des critères objectifs, même si le projet s’avère défaillant par la suite ;
- éviter toute collusion avec l’acquéreur qui pourrait être interprétée comme une manœuvre frauduleuse ;
- analyser la gestion passée de la filiale : identifier les décisions contestables qui pourraient servir de fondement à une action des salariés.



Discussion en cours :
cet article est un cours mais très Magistral, clair et facile à comprendre.