L’avocat comme interlocuteur des enjeux sociétaux auprès des jeunes.
« À l’initiative du Conseil National des Barreaux (CNB), les avocats ont encore répondu présents cette année pour se déplacer dans les collèges ; comme les éditions précédentes, ces moments d’échange sur des thèmes majeurs qui questionnent les jeunes sont de véritables instants privilégiés.
Le 5 septembre 2023, Nicolas, un adolescent de 15 ans, se suicidait dans un contexte de harcèlement scolaire.
Quinze jours après, un adolescent de 14 ans était interpellé en plein cours pour être placé en garde à vue, sur fond d’enquête liée à un cyberharcèlement, avec incitation au suicide.
Autant dire que le 4 octobre 2023, nouvelle édition de la journée du droit dans les collèges, l’actualité était omniprésente dans les échanges, d’autant plus que la disparition tragique de Nicolas avait fait l’objet d’une très forte médiatisation, en raison des courriers polémiques que le rectorat avait adressés à la famille.
Chaque année, 20 jeunes se donnent la mort, et leur destin tragique nous interpelle d’autant plus, que ces gestes désespérés interviennent souvent, sans que la famille ou les proches n’aient été informés des causes de ce mal-être, souvent par honte, d’être la risée d’un groupe ou la cible d’un harceleur.
Comme à chaque édition de la journée du droit, les collégiens questionnent, expriment leur ressenti, et la richesse de leurs interventions fait que le monologue de l’intervenant reste définitivement impossible, pour son plus grand plaisir.
Le cyberharcèlement ? Bien sûr, tout le monde l’évoque et il m’a semblé important de ne pas stigmatiser ce jeune auditoire, en lui rappelant que les adultes, eux aussi, sont concernés par ce délit, leur parlant de l’actualité d’un célèbre rappeur convoqué au tribunal correctionnel, suite à des démarches identifiées comme étant un cyberharcèlement contre des influenceurs
"Est-ce que traiter quelqu’un sur son physique, sur les réseaux, c’est du cyberharcèlement ?" : les questions sont très nombreuses sur cette thématique ; l’auditoire est en effet une génération "deux pouces", qui passe quelquefois plus de temps à s’exprimer via un smartphone qu’en présentiel.
On évoque le revenge porn et autres photos compromettantes diffusées sur les réseaux, et ici bonne nouvelle : les jeunes connaissent le numéro d’urgence qui leur permet de contacter des experts afin que les photos litigieuses soient supprimées très rapidement des réseaux sociaux. C’est le 3018, numéro gratuit et accessible 7/7j de 9h à 23h.
Les formes du harcèlement ? Des brimades physiques, des violences verbales que ce soit dans la cour de récréation ou sur les réseaux… les jeunes qui s’expriment disent avoir eu connaissance d’une situation de harcèlement, qu’il soit moral ou sexuel, pour l’avoir constaté ou l’avoir vécu ; d’ailleurs et parmi le public, deux collégiens m’avoueront qu’ils sont élèves dans ce collège, après avoir vécu une situation de harcèlement dans un autre.
L’auteur du harcèlement ? On m’évoque des caïds qui imposent quelquefois à leurs victimes des jeux dangereux qui peuvent conduire à son hospitalisation : on parle de ce jeu stupide de "la virgule", à la mode dans les cours de récréation depuis septembre 2023 et qui consiste à frapper violemment la nuque, par derrière et par surprise, avec les conséquences traumatiques évidentes qui s’ensuivent.
Autre jeu à la mode, tout aussi dangereux : "l’été indien", un mélange de trois bouffées d’oxygène suivi d’un arrêt de la respiration, jusqu’à l’asphyxie et le malaise.
Mais d’où viennent ces jeux ? Tiktok, bien évidemment ; quand on sait que le temps journalier moyen passé par les utilisateurs de ce réseau en 2022 était de 95 minutes…
Au travers des échanges, j’ai pu constater que ces jeunes collégiens avaient déjà bénéficié d’actions de sensibilisation en matière de discrimination : ils en connaissaient les thèmes et la répression, et beaucoup ont évoqué la discrimination raciale et la discrimination fondée sur le physique, avec un certain nombre de questions sur ces thématiques : "Est-ce que si je dis que cette personne est vraiment trop grosse ou moche, je peux aller au tribunal ?"
Ce que l’avocate a appris à ces jeunes, c’est l’apport de la loi du 2 mars 2022, qui a fait du harcèlement scolaire un délit, portant les peines à 10 ans d’emprisonnement, en cas de suicide ou tentative de suicide ; j’ai vu des regards étonnés, avec un certain brouhaha dans la salle... il est vrai qu’évoquer ces peines maximales encourues aussi lourdes devant un auditoire jeune fait nécessairement causer.
En parallèle, cette même loi du 2 mars 2022 impose aux établissements scolaires la mise en place d’une politique de prévention, induisant notamment la mise en place d’ambassadeurs au sein de tous les établissements scolaires, ambassadeurs qui sont en poste ou en cours de l’être.
Évoquant cette mission d’ambassadeurs, j’ai suggéré aux jeunes qu’ils pouvaient être eux-mêmes l’ambassadeur d’un copain, voire d’une relation même non proche, victime contre son gré aide d’un harcèlement qu’elle est dans l’incapacité de dénoncer.
En fin d’intervention, un « ambassadeur » s’est présenté : il m’a expliqué la situation de l’un de ses amis sur un tout autre sujet et a sollicité l’aide de sa principale à mes côtés… je l’ai vivement remercié, en lui disant qu’en définitive, nous étions aujourd’hui deux ambassadeurs, lui pour son ami, moi pour ma profession.
Le rendez-vous est d’ores et déjà pris l’année prochaine, évidemment. »
Discussion en cours :
Bravo Consoeur, j’ai lu avec grand intérêt votre témoignage et tenais à vous féliciter en général mais aussi pour être venue en témoigner avec enthousiasme !