« Lorsque j’ai commencé mon métier, le recrutement juridique et fiscal, il y a 25 ans, je me souviens que tout était facile. Les métiers du droit avaient le vent en poupe. On assistait à une nouvelle “révolution industrielle” au niveau de la profession. Les entreprises, dans leur globalité, commençaient à réellement comprendre l’intérêt d’avoir une équipe juridique et fiscale internalisée. Les services juridiques sortaient de l’ombre et leur positionnement au sein des sociétés ne cessait de s’améliorer. Les juristes notamment, pouvaient avoir la satisfaction de voir leur métier enfin valorisé ou du moins considéré.
A l’époque, il y avait un grand volume de postes à pourvoir. L’intérim juridique était en plein développement (même si mal perçu et fortement dévalorisé) et nous n’avions aucune difficulté à trouver des candidats (en poste ou disponibles immédiatement) et à les positionner sur tous types d’offres (CDD, CDI, interim).
Tout était facile disais-je ? Presque, parce qu’en 1998, l’envoi de CV se faisait toujours grâce au fax et l’internet fonctionnait avec un modem 56K.
Ensuite quelques évènements se sont enchaînés, notamment l’explosion de la bulle internet, et la crise des subprimes.
Concomitamment, nous avons vécu l’émergence et le déploiement des programmes de compliance en France et les débuts du grand Paris (vers 2016).
Pendant des décennies, les publicistes ont toujours été les parents pauvres du monde juridique. Les profils étaient très nombreux, avec des rémunérations très en dessous du marché. Et tout d’un coup, la demande a explosé. Enormément d’entreprises privées et publiques, des collectivités, ont commencé à recruter massivement des juristes spécialisés dans la commande publique.
Aujourd’hui, il est extrêmement compliqué de trouver et de recruter un juriste (même de 2/3 ans d’expérience) disposant d’un minimum de compétences en matière de DSP. Ils sont sursollicités (quelle que soit la séniorité d’ailleurs) et ce n’est pas l’organisation des jeux olympiques d’été de Paris 2024 qui a amélioré les choses.
Depuis ces dernières années, les métiers juridiques et fiscaux montent en puissance du fait que TOUS les secteurs d’activités sont de plus en plus encadrés et réglementés.
Ajoutez à cela une pincée de Sapin II (2017), un zeste de RGPD (2018), vous saupoudrez le tout de Covid 19 et vous obtenez une pénurie majeure de candidats dans de nombreux domaines de compétences. Cette situation n’est arrivée que très rarement par le passé.
La crise sanitaire a généré tellement de problématiques entre les clients et les fournisseurs (rupture brutale, procédures collectives, renégociations contractuelles, contentieux, …) que même les entreprises qui continuaient de sous-traiter leurs dossiers juridiques à des cabinets d’avocats, ont été obligées de “se staffer” et de recruter un responsable/directeur juridique ou un juriste unique ou une équipe.
Le Covid 19, a certes fait changer les mentalités et a ouvert les chakras de certaines personnes mais il a aussi posé de nouveaux défis juridiques, fiscaux, technologiques, … : le télétravail (droit social/RH) et la mobilité géographique des salariés, le “full remote” dans certains secteurs comme la tech/apparition de nouveaux modes d’organisation interne, la digitalisation des services juridiques (signature électronique, dématérialisation, …), le legal ops,…
Comme le disait si justement Socrate “ce qui fait l’homme ou la femme, c’est sa grande faculté d’adaptation,” ou Sebastiao Salgado : “la vraie intelligence de l’être humain, c’est sa capacité d’adaptation. Les hommes et les femmes se font à tout, y compris au pire”.
Pourquoi les entreprises et les cabinets d’avocats n’arrivent-ils pas à recruter aujourd’hui ?
Parce qu’il y a encore beaucoup de structures en France qui ne savent pas, ne peuvent pas, ou ne veulent pas s’adapter (certaines pensent toujours qu’elles sont en position de force sur le marché de l’emploi). Beaucoup de sociétés ont encore du mal à gérer la conduite du changement, à remettre en question un modèle qui date d’une autre époque.
Et cela ne concerne pas que le télétravail. On parle de la capacité à proposer des rémunérations qui sont en phase avec le marché, des entreprises qui ont de vraies valeurs humaines et qui ne se servent pas de leur politique RSE comme d’une campagne marketing ou pour redorer leur marque employeur. Les candidats recherchent aussi une souplesse dans l’organisation de leur travail, la confiance de leur manager, la reconnaissance, du respect mutuel (exit les profils tyranniques, toxiques, …), la possibilité de se développer personnellement, avoir le droit d’être en désaccord avec sa direction sur certains sujets/certaines décisions liées au business.
Attention, il y a beaucoup d’entreprises qui ont compris qu’il fallait proposer quelque chose de nouveau aux candidats potentiels mais ce sont en général de grands groupes ou des sociétés qui ont accepté (ou qui ont la possibilité) d’allouer des moyens et des budgets pour le faire. Malheureusement, cela ne représente qu’une minorité.
J’en profite pour revenir sur le télétravail. A mon sens, le télétravail a été salutaire pendant la crise sanitaire mais aujourd’hui, certains le présente comme une forme d’aliénation. Certains proclament haut et fort, que les salariés n’en veulent plus et que les collaborateurs préfèrent venir travailler au bureau. C’est vrai mais pas pour tout le monde. Mesdames et Messieurs, ne soyez pas aussi catégoriques !
Adaptez-vous, laissez le choix (quand c’est possible). D’expérience, je peux vous affirmer que pour le commun des mortels (dont je fais partie), une seule journée de télétravail par semaine ne suffit pas et beaucoup de candidats se désistent d’un processus de recrutement pour cette raison.
Pour résumer, il est de plus en plus difficile de recruter. Il y a une réelle pénurie de candidats.
Il y a par contre beaucoup de profils seniors qui sont disponibles sur le marché. J’en profite pour ouvrir une parenthèse : lors de la crise sanitaire, les entreprises avaient compris, qu’en cas de coup dur ou autre, il était intéressant de recruter un profil senior pour que cette personne apporte son vécu professionnel et notamment dans la gestion de crise. Force est de constater que depuis “le retour à la normale”, la discrimination envers les seniors bat son plein et que le niveau post crise est de nouveau atteint.
Il y a de moins en moins de profils en recherche active (à l’exception, donc, des seniors), les candidats sont très sollicités alors si les entreprises et les cabinets d’avocats campent sur leur position et sur leur rigidité, cela ne fonctionnera pas.
S’adapter, être ouvert, proposer des solutions, des rémunérations justes, se remettre en question, voilà les clés de la réussite si vous ne souhaitez pas vous retrouver dans les “brassica”.
Finalement, ce n’est que de la logique et du bon sens ».