Réussir la négociation de vos contrats IT face aux grands comptes.

Par Mustapha Barry, Avocat.

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Explorer : # contrat it # négociation contractuelle # protection de la propriété intellectuelle # responsabilité contractuelle

Ce que vous allez lire ici :

La sélection du droit applicable dans un contrat IT est cruciale. Opter pour le droit français permet de bénéficier de protections contre les clauses abusives et des règles d'ordre public. Négocier le préambule, la responsabilité et la propriété intellectuelle est essentiel pour équilibrer les intérêts et sécuriser le contrat.
Description rédigée par l'IA du Village

Dans vos négociations habituelles, c’est généralement vous qui définissez les termes du contrat, sur la base de vos conditions générales adaptées à vos services. Cependant, face à un grand compte, le rapport de force est souvent déséquilibré : on vous impose les conditions de l’autre partie et vous ne pouvez pas dérouler vos propres CGV. Deux cas de figure fréquents :
1. Prestataire (ESN, éditeur de logiciel) négociant un contrat sur la base des conditions générales d’achat du client (grand compte).
2. Client utilisateur d’un service SaaS, d’un ERP ou d’une solution Cloud, négociant le contrat de fourniture de ce service proposé par un grand fournisseur.
Dans ces situations, vous ne pourrez pas renégocier chaque clause à votre avantage. En revanche, il est crucial d’identifier rapidement les clauses stratégiques ayant l’impact le plus important, pour concentrer vos efforts de négociation sur ces points clés.

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En pratique, les documents contractuels volumineux et leurs nombreux renvois (parfois vers des politiques en ligne modifiables unilatéralement) rendent cet exercice délicat. Pour vous guider, nous passerons en revue les principales clauses sur lesquelles vous avez généralement une marge de manœuvre et un intérêt à négocier :

En axant votre stratégie de négociation sur ces clauses, vous pourrez préserver au mieux vos intérêts, même face à un partenaire plus puissant.

Le choix du droit applicable (et tribunal compétent).

La loi applicable est la première chose à repérer dans tout projet de contrat qui vous est soumis. C’est la loi nationale qui régira le contrat et déterminera, en cas de litige, quelles règles juridiques s’appliqueront et quel tribunal sera compétent. C’est en quelque sorte la clé de voûte du contrat, car tout ce qui n’est pas explicitement prévu dans l’accord sera régi par cette loi par défaut.

Dans le domaine des contrats informatiques, une dimension internationale est fréquente. Par exemple, de nombreux éditeurs de logiciels majeurs sont américains et stipulent que leurs contrats sont soumis au droit de l’État de Californie (lieu de leur siège), avec compétence exclusive des tribunaux de San Francisco. Voici un exemple typique que l’on peut trouver dans des conditions générales d’un SaaS américain : « Le présent Contrat et tout litige en découlant seront régis par les lois de l’État de Californie, sans égard aux principes de conflit de lois, et tout litige sera soumis à la compétence exclusive des Tribunaux de San Francisco (Californie) ».

Que faire face à une telle clause imposant le droit californien (ou autre droit étranger) ? Idéalement, vous avez intérêt à négocier l’application du droit français et de la juridiction française. Dans notre expérience, certains fournisseurs étrangers finissent par l’accepter lorsque l’enjeu financier le justifie. Bien sûr, ce ne sera pas toujours possible, mais cela vaut la peine d’être tenté compte tenu des avantages stratégiques qu’offre le droit français.

Pourquoi c’est stratégique ?

  • Les protections du droit français contre les clauses abusives en B2B : Le droit français offre un garde-fou important avec la notion de contrat d’adhésion déséquilibré. En effet, depuis la réforme du droit des obligations de 2016, le Code civil permet de neutraliser une clause imposée par l’une des parties qui créerait un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des contractants. Autrement dit, dans un contrat non négocié de gré à gré, une clause « léonine » (excessivement à l’avantage d’une partie) peut être déclarée réputée non écrite par un juge. Cette règle s’applique aux relations entre professionnels (B2B), ce qui signifie que même sans être un consommateur, une PME fournisseur ou cliente peut invoquer cette protection. Les conditions pour en bénéficier sont : (1) une clause non négociable prédéterminée par l’autre partie, et (2) un déséquilibre significatif créé par cette clause dans le contrat. Attention : le juge n’appréciera pas le déséquilibre sur « l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix », ces aspects étant exclus de ce contrôle. En revanche, toute autre clause potentiellement abusive peut tomber sous le coup de cette sanction. Par exemple, une clause limitant extrêmement la responsabilité d’une partie ou lui accordant un droit de modification unilatérale pourrait être frappée de nullité. Cette possibilité offerte par le Code civil n’existe pas dans le droit californien ou la plupart des droits étrangers : un contrat strictement interprété par la loi choisie pourrait vous lier à toutes les clauses, même déséquilibrées, sans recours. En choisissant le droit français, vous conservez cette « bouée de secours » juridique importante pour le cas où le contrat contiendrait des dispositions abusives.
  • Les lois de police et l’ordre public français : indépendamment même du Code civil, la France tient à faire respecter sur son sol certaines règles impératives de son ordre public économique. Par exemple, les règles sur les délais de paiement interentreprises, issues de la loi de Modernisation de l’Économie (LME), s’appliquent à tout donneur d’ordre en France. Ainsi, un grand compte étranger ne peut pas, en France, imposer contractuellement des délais de paiement supérieurs aux plafonds légaux (30 jours ou 60 jours selon les cas) sous prétexte que son contrat est régi par une loi étrangère. Ces règles étant d’ordre public (lois de police), elles « rattraperont » le contrat quelles que soient les stipulations contraires ou le droit applicable choisi. Là encore, cela rééquilibre quelque peu les choses en faveur de la partie faible, à condition que le contentieux puisse être porté devant l’autorité française (administration ou juge) compétente.
  • Montant des dommages-intérêts : Le choix de la loi influe directement sur les risques financiers en cas de litige. Le droit américain, par exemple, permet l’octroi de dommages-intérêts punitifs (punitive damages) par les jurys, c’est-à-dire des sommes qui dépassent la simple réparation du préjudice et visent à punir le responsable et dissuader les conduites fautives. Ces dommages punitifs peuvent atteindre des montants colossaux, bien supérieurs aux pertes réellement subies. En droit français (et plus généralement en droit civil européen), de tels dommages punitifs n’existent pas : la victime n’a droit qu’à l’indemnisation intégrale de son préjudice, sans excédent. Concrètement, cela signifie qu’un même litige aboutirait à une condamnation potentiellement bien plus élevée aux États-Unis qu’en France. Quelques exemples emblématiques illustrent l’énorme écart entre les deux systèmes : un jury californien a déjà accordé 1,3 milliard de dollars à Oracle dans un litige pour violation de droits (un record historique dans le domaine logiciel), et un jury fédéral en Caroline du Nord a condamné un éditeur britannique à plus de 79 millions de dollars (après triplement automatique) au profit de SAS Institute dans un litige pour concurrence déloyale et violation de licence. De telles sommes seraient impensables devant un tribunal français dans des affaires similaires. En optant pour le droit français, vous savez que d’éventuels dommages-intérêts resteront purement compensatoires et proportionnés au préjudice subi, sans risque de condamnation « astronomique » pour l’exemple.

En somme, négocier la loi applicable n’est pas un détail : c’est un point structurant de votre contrat IT international. Si vous parvenez à obtenir le droit français (ou a minima un droit européen proche), vous bénéficiez d’un environnement juridique plus prévisible et protecteur pour la partie la plus faible. Si cela est refusé, tentez au moins de négocier un for (tribunal compétent) neutre ou favorable (par exemple, la juridiction française appliquant même le droit étranger, ce qui est complexe mais envisageable). Quoi qu’il en soit, soyez conscient des risques accrus qu’implique l’acceptation d’un droit étranger peu favorable et compensez-les dans d’autres clauses (responsabilité, assurances, etc.). N’hésitez pas à vous faire conseiller, car des arguments juridiques bien présentés peuvent parfois faire plier l’autre partie sur ce choix stratégique – nous constatons que certains éditeurs américains acceptent le droit français pour remporter un gros contrat, surtout si leur service doit de toute façon se conformer à des réglementations locales (RGPD, etc.).

L’importance du préambule du contrat.

Le préambule (ou les considérants en début de contrat) peut sembler anodin par rapport aux clauses opérationnelles, mais il joue en réalité un rôle fondamental. Il pose le contexte et l’historique des relations ayant conduit au contrat : rappel des besoins du client, des discussions et étapes préalables (appels d’offres, propositions commerciales, cahier des charges, etc.), et parfois des engagements généraux des parties. Les grands comptes, dans leurs contrats ou conditions générales, incluent souvent un préambule qui comporte des déclarations de principe assez contraignantes pour le prestataire. Par exemple, le fournisseur y « reconnaît » généralement être parfaitement compétent, conscient des enjeux stratégiques du projet et s’engage sur des objectifs larges. Difficile de négocier ces formulations quand on est en position de faiblesse, mais il est crucial de s’y attarder.

Pourquoi c’est stratégique ?

  • Orienter l’interprétation du contrat : en cas de litige, le juge lira avec attention le préambule pour comprendre les intentions initiales des parties, le but poursuivi par le client et les enjeux du projet. Ce contexte l’aidera à interpréter la portée des obligations de chacun. Un préambule bien rédigé permet de cadrer dès le départ ce que chacun attend du contrat et les limites de l’engagement. Par exemple, si le préambule insiste sur les objectifs métier critiques du client, un manquement du prestataire pourra être jugé à l’aune de ces objectifs déclarés. À l’inverse, si le périmètre exact de la mission du prestataire est bien délimité dès l’introduction, le juge verra plus facilement ce qui dépasse le cadre convenu.
  • Délimiter le périmètre et les responsabilités : le préambule est l’occasion de rappeler les objectifs du client tout en précisant les limites de l’intervention du prestataire. En pratique, cela complète la clause d’objet du contrat en explicitant pourquoi le client recourt à ce service et ce qui est attendu en termes de résultats. C’est le moment d’indiquer, par exemple, que le client recherche une solution standard du marché et non un développement spécifique, ou qu’il s’appuie sur l’expertise du prestataire pour atteindre tel but. Dans le même temps, le prestataire doit veiller à formuler clairement ce qu’il prend en charge et ce qui reste hors scope. Toutes ces précisions structurent l’accord et serviront à évaluer la responsabilité en cas d’échec (un préambule bien construit permet de dire « tel aspect n’était pas dans nos engagements » en cas de litige).
  • Niveau d’expertise et obligation de conseil : le préambule peut intégrer des déclarations sur l’expertise des parties. Ces mentions, souvent négligées, ont pourtant un impact juridique. Par exemple, si le client se présente comme un expert du domaine ou comme ayant pleinement défini ses besoins en amont, cela pourra limiter l’obligation de conseil du prestataire (puisque le client est averti et autonome dans ses choix). Au contraire, les grands comptes préfèrent généralement faire déclarer au prestataire qu’il est spécialiste de haut niveau, qu’il connaît parfaitement le secteur du client et ses enjeux stratégiques. Une telle mention pourra être utilisée contre le prestataire pour dire qu’il aurait dû anticiper certains risques ou conseiller davantage le client, étant donné sa « conscience des enjeux ». Il est donc stratégique de négocier ces déclarations. Vous pouvez essayer de nuancer les phrases trop engageantes.

Exemple : le contrat du grand compte stipule dans son préambule : « Le Prestataire reconnaît avoir une expérience et un savoir-faire particuliers pour fournir les Services, et déclare avoir pleinement conscience des enjeux stratégiques du projet pour le Client » - Une telle clause place la barre très haut pour le prestataire.

Contre-proposition possible : « Le Prestataire, en qualité de professionnel de l’informatique, s’engage à mettre en œuvre tous les moyens humains, techniques et organisationnels raisonnables pour réaliser les prestations décrites. Il est convenu que l’atteinte des objectifs définis dépend également de la collaboration active du Client et de la fourniture par celui-ci de toutes les informations nécessaires, le Prestataire n’ayant pas connaissance de facteurs autres que ceux communiqués par le Client ».

Ce type de rédaction plus équilibrée rappelle que le succès du projet n’est pas garanti unilatéralement par le prestataire, et qu’il repose aussi sur les épaules du client (expression des besoins complets, collaboration, fourniture des ressources, etc.).

En pratique, vous ne pourrez peut-être pas réécrire entièrement le préambule imposé par un grand compte, mais toute modification obtenue à ce stade sera précieuse. Même une simple phrase ajoutée sur la nécessité de la coopération du client, ou sur la dépendance aux informations fournies par le client, pourra servir de bouclier en cas d’accusation de manquement. Ne négligez donc pas cette partie du contrat : elle peut sembler déclarative, mais elle conditionne souvent l’interprétation des obligations techniques et juridiques plus loin dans le texte.

Encadrement de la responsabilité contractuelle.

Les clauses de responsabilité sont parmi les plus critiques dans un contrat IT, et certainement les plus âprement discutées lors des négociations avec un grand compte. Elles déterminent qui supportera les conséquences en cas de problème, et dans quelle mesure. En situation de déséquilibre, ces clauses sont souvent à l’avantage du plus puissant : soit en limitant drastiquement la responsabilité du grand fournisseur (si vous êtes le client utilisateur), soit au contraire en imposant au petit prestataire une responsabilité étendue et peu plafonnée (si votre client grand compte vous fait signer son contrat). Dans les deux cas, une chose est sûre : ne signez jamais sans avoir examiné et négocié cette clause autant que possible, car c’est elle qui peut faire la différence entre un incident gérable et une catastrophe pour votre entreprise.

Pourquoi c’est stratégique ?

  • Préserver la viabilité financière de votre entreprise : si vous êtes prestataire face à un grand compte client, celui-ci pourrait chercher à vous imposer des obligations lourdes (indemnisation de tous les dommages subis par le client, incluant par exemple les pertes d’exploitation, pénalités, etc.) éventuellement sans plafond d’indemnisation. Or, une entreprise de taille modeste ne peut pas se permettre d’endosser le rôle d’« assureur » de son client. Vous devez impérativement limiter votre exposition par un plafond de responsabilité raisonnable et une exclusion des dommages indirects. À défaut, un seul incident majeur pourrait vous mettre en danger (imaginez un bug qui cause une journée d’arrêt de production chez un grand compte industriel : sans limitation, la facture pourrait atteindre des millions d’euros de manque à gagner à votre charge). Inversement, si vous êtes client d’un SaaS ou d’un logiciel critique, la responsabilité standard du fournisseur est souvent extrêmement limitée (parfois elle se borne à rembourser un mois d’abonnement, ou à fournir un crédit de service insignifiant en cas d’interruption). Une telle clause ne vous offre aucun réel recours en cas de préjudice sérieux (perte de données clients, indisponibilité prolongée, etc.). Vous avez alors intérêt à négocier une extension de la responsabilité du fournisseur, au moins sur les dommages directs, pour qu’il ait un minimum de « peau en jeu » sur la réussite du service.
  • Trouver un équilibre acceptable pour les deux parties : l’objectif d’une négociation réussie sur la responsabilité est de trouver un point d’équilibre entre indemnisation des dommages légitimes du client et protection du prestataire pour lui permettre de poursuivre son activité. Ni l’un ni l’autre ne devrait être ruiné par le contrat : le client doit être protégé contre les manquements graves du prestataire, et le prestataire doit pouvoir se tromper (dans une certaine mesure) sans mettre la clé sous la porte. C’est pourquoi on introduit généralement un plafond d’indemnisation, souvent calculé en fonction de la valeur du contrat (par exemple, total des redevances sur 12 mois, ou x fois le montant annuel). Ce plafond peut parfois être modulé selon la gravité de la faute : un plafond plus élevé (voire exclusion de plafond) en cas de faute lourde ou intentionnelle, et un plafond standard pour la simple négligence. De même, on distingue souvent différents types de dommages : dommages directs (immédiatement liés au manquement, que le prestataire indemnise dans la limite du plafond) et dommages indirects (consécutifs ou difficilement prévisibles, par ex. perte de chiffre d’affaires, perte de clientèle, atteinte à l’image, etc.), qui eux sont généralement exclus de toute indemnisation. Cette distinction doit figurer noir sur blanc dans le contrat - sinon, un juge pourrait très bien accorder au client des indemnités pour des pertes indirectes si rien ne l’exclut explicitement. Assurez-vous donc de négocier une clause du type : « Le Prestataire ne sera en aucun cas responsable des dommages indirects, tels que perte de profit, perte de données, atteinte à l’image ou perte de revenus... », ce qui est une pratique admise entre professionnels.
  • Exceptions aux limitations : attention toutefois aux exceptions légales. En droit français, il est acquis qu’on ne peut limiter sa responsabilité pour les dommages corporels causés à autrui, ni en cas de faute lourde ou dolosive (intentionnelle). Même si ce n’est pas écrit, une clause limitative n’aurait pas d’effet pour couvrir une faute grave assimilable à du dol. Par ailleurs, certains grands comptes exigent que certaines garanties échappent au plafond : typiquement, l’atteinte aux droits de propriété intellectuelle (ex. si votre logiciel contrefait un brevet et que le client est attaqué, vous devez le garantir sans plafond) ou encore les manquements à la confidentialité ou aux données personnelles. Il faut être très vigilant sur ces exclusions de l’exclusion : si vous concédez une responsabilité illimitée sur un terrain, assurez-vous de circonscrire précisément ce terrain (par ex. “violation intentionnelle des droits de PI de tiers” plutôt que “violation de la PI” tout court).
  • Conséquences juridiques en cas de clause abusive : si le contrat est soumis au droit français (comme nous l’espérons), souvenez-vous que des clause léonines pourraient être invalidées par le juge. Une clause de responsabilité vraiment déséquilibrée (par ex. qui exonère totalement le prestataire de toute responsabilité ou, à l’inverse, qui impose au petit fournisseur toutes les charges sans aucune limitation) pourrait être jugée « non écrite » sur le fondement de l’article 1171 du Code civil vu plus haut. De plus, une clause limitative ne doit pas vider de sa substance l’obligation essentielle du contrat, sinon elle est nullissime d’emblée (principe Chronopost, désormais consacré à l’article 1170 du Code civil). Par exemple, si un prestataire s’engage à fournir un service dans des délais précis, mais qu’une clause stipule qu’il n’encourt aucune responsabilité en cas de retard, cette clause pourrait être annulée comme privant l’engagement de délai de sa substance. Cette perspective peut servir d’argument de négociation : au besoin, rappelez à votre interlocuteur qu’une clause manifestement déséquilibrée ne tiendra pas en justice. Il vaut mieux pour les deux parties prévoir contractuellement un niveau de responsabilité acceptable plutôt que de risquer un vide juridique et une incertitude totale si la clause saute.

Conseils pratiques : menez la discussion sur la responsabilité en vous appuyant sur des chiffres et des garanties concrètes. Par exemple, indiquez que votre assurance professionnelle couvre les sinistres jusqu’à X euros - cela légitime le plafond que vous proposez (au-delà, vous ne seriez pas couvert). Vous pouvez aussi suggérer une double limite : un montant par an et par type de dommages, et/ou un montant global cumulé sur la durée du contrat. Pensez aux différents scénarios de risques : incluez éventuellement une clause de pénalités (SLA, retards) qui viennent en déduction d’éventuels dommages-intérêts, pour éviter de payer deux fois. Si vous êtes côté client, assurez-vous que la clause de responsabilité du fournisseur ne le dégage pas de toute obligation : négociez au moins un plancher d’indemnisation (par ex. équivalent aux sommes payées sur les 6 ou 12 derniers mois) afin qu’il ait un minimum d’intérêt à corriger les problèmes. Enfin, formalisez par écrit toutes les hypothèses prises en compte (par ex. le client déclare avoir effectué une sauvegarde de ses données en amont du projet ; le prestataire ne sera pas responsable de la perte de données si le client n’a pas suivi les procédures de sauvegarde convenues, etc.). Ces précisions peuvent se mettre dans le corps du contrat ou en annexe, et limiteront les conflits sur la portée de la responsabilité de chacun.

En résumé, l’encadrement de la responsabilité est la clause à ne pas bâcler : c’est souvent là que se joue le véritable niveau de risque contractuel. Une négociation réussie doit aboutir à un partage des risques équilibré, garantissant au client une réparation en cas de vrai problème, tout en protégeant le prestataire d’exigences démesurées.

La protection de la propriété intellectuelle.

Dernier pilier stratégique de vos contrats IT : les clauses de propriété intellectuelle (PI). Elles déterminent qui possède les droits sur les logiciels, développements ou données, et qui peut en faire quoi. Dans la précipitation, on a parfois tendance à accepter les clauses « standard » d’un grand compte sans mesurer leurs conséquences sur le long terme. Grave erreur : la PI est souvent le cœur de la valeur d’une société technologique, ou inversement un élément vital pour le client utilisateur. Il est donc essentiel de verrouiller ces clauses pour ne pas céder plus de droits que voulu, ou pour s’assurer d’obtenir ceux qui sont nécessaires.

Pourquoi c’est stratégique ?

  • Conserver vos actifs incorporels : si vous êtes éditeur de logiciel ou prestataire, votre code, vos outils, vos méthodes constituent votre fonds de commerce. En principe, le droit français prévoit que, sans clause contraire, vous restez propriétaire des créations que vous réalisez pour un client, celui-ci n’obtenant qu’un droit d’usage. Cela vaut particulièrement pour les logiciels : le développeur/prestataire demeure titulaire des droits d’auteur par défaut, et le client n’a qu’une licence d’utilisation, même s’il a financé le développement. Il est donc crucial de vérifier toute clause de cession de droits que le grand compte pourrait insérer. Parfois, dans les contrats d’intégration ou de développement spécifique, le client exige la cession de l’intégralité des droits de propriété intellectuelle sur les livrables. Or, céder tous les droits peut vous priver de la possibilité de réutiliser des briques techniques ou des modules similaires pour d’autres clients, ou même pour faire évoluer votre propre produit. Cette demande de cession totale est souvent négociable : expliquez au client qu’il est dans son intérêt que vous conserviez certains éléments standard, car vous serez ainsi en mesure d’assurer la maintenance et les évolutions sur le long terme (et possiblement de lui faire bénéficier de coûts moindres). Une solution équilibrée consiste à distinguer : ce qui est spécifique au client (par ex. un module développé sur mesure pour lui) pourrait faire l’objet d’une cession ou d’une licence exclusive en sa faveur, tandis que vos éléments génériques ou préexistants restent votre propriété, avec simplement un droit d’usage pour le client. Vous pouvez aussi proposer une licence large plutôt qu’une cession : le client aura tous les droits utiles pour exploiter et faire évoluer la solution en interne, sans pour autant que vous perdiez la propriété des briques technologiques sous-jacentes. Cette approche peut rassurer le client (il n’est pas « prisonnier » de vous, car il a les droits d’usage nécessaires) tout en préservant vos intérêts (vous ne bradez pas votre savoir-faire).
  • Assurer au client les droits dont il a besoin : si vous êtes côté utilisateur, votre préoccupation sera inverse : vous devez vous assurer d’obtenir tous les droits pour utiliser le logiciel ou le service comme vous l’entendez, sans dépendances cachées. Lisez attentivement les clauses de licence : sont-elles suffisantes en termes de périmètre (nombre d’utilisateurs, sites, filiales couverts, durée, territoire…) ? Si le service est critique, qu’advient-il en cas de fin de contrat - avez-vous un droit d’usage perpétuel sur ce qui a été livré ou devez-vous cesser toute utilisation ? Parfois, négocier une licence perpétuelle de secours sur le dernier état du logiciel peut être judicieux (notamment si le prestataire est une startup dont l’avenir est incertain). Pour les logiciels SaaS, insistez pour une clause garantissant la récupération de vos données dans un format exploitable en fin de contrat, et la suppression des données chez le prestataire. Du point de vue propriété intellectuelle, vos données restent vos données - faites-le préciser : « Le Client demeure propriétaire de l’ensemble des données qu’il stocke ou traite dans le cadre du Service… ». Quant aux éventuels développements spécifiques effectués dans votre instance SaaS (paramétrages, connecteurs, etc.), assurez-vous d’un droit d’accès ou de portabilité de ceux-ci.
  • Garantie d’éviction et contrefaçon : un aspect souvent négligé, surtout par les fournisseurs étrangers, est la garantie de non-contrefaçon. En droit français, le vendeur ou prestataire est légalement tenu de garantir son client contre toute éviction des tiers, c’est-à-dire que le produit ou service fourni n’enfreint pas de droits de propriété intellectuelle de tiers (garantie légale d’éviction, issue du Code civil). Certains éditeurs anglo-saxons cherchent à limiter ou exclure cette garantie dans leurs conditions, ce qui est problématique. Ne l’acceptez pas tel quel. Si vous êtes prestataire, il est normal de garantir que vous n’avez pas plagié un autre logiciel et que le client pourra utiliser la solution en toute tranquillité. Si vous êtes client, exigez une clause de garantie et indemnisation : « Le Fournisseur garantit que les services et logiciels fournis sont originaux et n’enfreignent aucun droit de propriété intellectuelle d’un tiers. Il indemnisera le Client de tout préjudice ou frais résultant d’une réclamation pour contrefaçon… ». Ce genre de clause doit figurer noir sur blanc. À défaut, vous pourriez vous retrouver au milieu d’une bataille juridique si, par exemple, un concurrent du prestataire revendique un brevet sur la technologie que vous utilisez. Vérifiez aussi les modalités : le fournisseur doit prendre à sa charge la défense en justice et éventuellement remplacer ou modifier la solution si un problème de PI survient.

En synthèse, la clause de propriété intellectuelle doit protéger vos acquis : pour le prestataire, ne pas perdre la main sur son savoir-faire ni risquer une violation involontaire des droits d’un tiers ; pour le client, pouvoir exploiter sereinement la solution et ce qui en découle, sans dépendance ni menace juridique. C’est un domaine complexe, où chaque mot compte (distinction entre propriété, licence, sous-licence, droit d’usage interne, etc.), donc prenez le temps de la déchiffrer et de la discuter. Un compromis intelligent peut souvent être trouvé, par exemple en jouant sur la durée ou l’étendue de la licence plutôt que sur la cession pure et simple. Là encore, évitez les pièges des contrats standards : ce n’est pas parce qu’une clause figure dans le contrat-type du géant du cloud qu’elle est gravée dans le marbre. Vous avez le droit de demander des aménagements (et beaucoup de grands comptes ont des exceptions dans leurs contrats pour accommoder tel ou tel client important, ou tel prestataire stratégique – essayez de devenir l’une de ces exceptions quand c’est crucial pour vous).

En conclusion : focus sur l’essentiel et négociation créative.

Négocier avec un grand compte quand on n’est pas en position de force est sans doute intimidant, mais ce n’est pas mission impossible. La clé du succès réside dans votre capacité à cerner rapidement les enjeux majeurs pour votre entreprise et à concentrer votre énergie de négociation dessus. Comme nous l’avons vu, le choix du droit applicable, le préambule, la responsabilité et la propriété intellectuelle sont quatre axes névralgiques où un ajustement peut faire une énorme différence dans l’équilibre final du contrat. D’autres clauses mériteraient aussi votre attention (par exemple les clauses de résiliation et de réversibilité, la protection des données personnelles si du RGPD dépend votre contrat, ou encore les clauses de SLA et pénalités de retard), mais il faut savoir hiérarchiser les priorités en fonction du contexte et de vos objectifs.

En arrivant à la table des négociations, ayez en tête votre « must-have » et votre « deal-breaker » : quelles clauses vous devez impérativement adapter pour vous protéger, et lesquelles (plus secondaires) vous êtes prêt à accepter telles quelles pour ne pas gripper la discussion. Montrez-vous ferme sur les points vitaux, tout en restant force de proposition : négocier, ce n’est pas dire non à tout, c’est apporter des solutions de rechange acceptables par l’autre partie. Par exemple, si le donneur d’ordre refuse la loi française, proposez un arbitrage international neutre ; s’il rechigne à augmenter le plafond d’indemnisation, proposez une révision du prix ou des garanties supplémentaires en échange d’un engagement plus fort de sa part. Documentez vos demandes en s’appuyant sur la pratique du marché ou des exigences légales (ce dossier que vous lisez est là pour ça !), ainsi votre interlocuteur comprendra que vous n’exigez pas des faveurs gratuites mais que vous cherchez à sécuriser le contrat pour les deux parties. Une clause équilibrée, c’est aussi l’intérêt du grand compte : un contrat trop unilatéral finit souvent mal, soit par un projet en échec, soit par un contentieux où la clause abusive sera écartée, soit par un prestataire défaillant car le risque s’est réalisé.

Enfin, n’hésitez pas à vous faire accompagner par un juriste/avocat spécialisé en contrats informatiques. Un conseil expérimenté connaît les parades pour rééquilibrer un contrat déséquilibré et pourra vous aider à formuler des arguments percutants et des amendements protecteurs sans faire capoter la négociation. Chez Aurele IT, nous avons l’habitude de ce jeu d’équilibriste : nous savons jusqu’où pousser sans rompre. L’objectif est que vous puissiez signer en toute conscience, avec un niveau de risque acceptable et maîtrisé. Une négociation bien menée est souvent gage de relation contractuelle saine et durable, car elle signifie que chacun a été entendu sur ses points cruciaux.

En conclusion, face à un grand compte, vous ne gagnerez pas tous les bras de fer, mais en ciblant les bonnes batailles à mener, vous augmenterez significativement vos chances de préserver vos intérêts essentiels dans le contrat. Et souvenez-vous qu’un contrat est le début d’une collaboration : mieux vaut quelques discussions serrées avant la signature, plutôt qu’un litige ruineux après coup. Anticipez, négociez, sécurisez ! Vos futurs projets IT n’en seront que plus sereins.

Mustapha Barry
Avocat associé au Barreau de Paris
Cabinet Barry Avocats
www.barryavocat.fr
contact chez barryavocat.fr
Droit des Affaires et Propriété Intellectuelle / Startups & Tech

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