La Cour de cassation considère désormais que la rente majorée servie à la victime à la suite de la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur ne répare pas le déficit fonctionnel permanent. En conséquence, les juridictions pourront accorder aux victimes de percevoir, en complément de leur rente, une indemnité distincte, correspondant aux souffrances physiques et morales endurées après consolidation.
Rappelons les principes.
Lorsqu’il est jugé que l’accident ou la maladie professionnelle résulte de la faute inexcusable de l’employeur ou de ses préposés, la victime ou ses ayants droit peuvent prétendre à une majoration de rente qui s’ajoute à la rente forfaitaire versée par la sécurité sociale.
La Cour de cassation considère que dès lors que l’existence d’une faute inexcusable est retenue, la majoration de la rente doit être fixée au maximum. Concrètement hormis le cas particulier où le taux d’incapacité est inférieur à 10%, la rente annuelle majorée est alors calculée en multipliant le salaire annuel de la victime par son taux d’incapacité technique.
Par exemple : pour une victime dont le taux d’incapacité brut est de 20% :
La rente forfaitaire serait égale à 20% / 2 x salaire moyen.
La rente majorée sera calculée en prenant en compte le taux d’incapacité brut c’est-à-dire : 20% x salaire moyen.
Selon le Code de la sécurité sociale, la rente assure l’indemnisation forfaitaire des préjudices suivants :
les dépenses de santé actuelles et futures [2],
les frais de déplacement [3],
les dépenses d’expertise technique [4],
les dépenses d’appareillage actuelles et futures [5],
les incapacités temporaire et permanente [6], la rente versée par la caisse indemnisant les pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité,
les pertes de gains professionnels actuelles et futures [7],
l’assistance d’une tierce personne après la consolidation [8].
Selon l’article L452-3 du Code de la sécurité sociale, indépendamment de la majoration de rente évoquée précédemment, la victime a le droit de demander à l’employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales endurées, de ses préjudices esthétiques et d’agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.
La jurisprudence jusqu’en 2023.
Depuis 2009 [9], la Cour de cassation juge que la rente versée à la victime d’un accident du travail indemnise, d’une part, les pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité, d’autre part, le déficit fonctionnel permanent qui est un poste de préjudice personnel.
Ce poste de préjudice correspond à
« la réduction définitive du potentiel physique, psycho-sensoriel ou intellectuel résultant de l’atteinte à l’intégrité anatomo-physiologique médicalement constatable à laquelle s’ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques liées à l’atteinte séquellaire ainsi que les conséquences liées à cette atteinte dans la vie quotidienne ».
Les raisons du revirement.
Depuis 2012, la Cour de cassation avait admis que le préjudice fonctionnel temporaire (c’est-à-dire avant consolidation) soit indemnisé en tant que tel de manière indépendante [10]. Mais, à compter du versement de la rente, moment qui correspond à la consolidation, la haute juridiction n’admettait que la victime percevant une rente d’accident du travail puisse obtenir une réparation distincte des souffrances physiques et morales qu’à la condition de démontrer que celles-ci n’aient pas été indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent [11], démonstration particulièrement difficile à apporter en pratique.
A l’opposé, le Conseil d’Etat juge de façon constante qu’eu égard à sa finalité de réparation d’une incapacité permanente de travail et à son mode de calcul, la rente doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle, c’est-à-dire ses pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle, à l’exclusion du déficit fonctionnel permanent [12].
De surcroit, la France s’est vue condamnée par la Cour européenne des Droits de l’Homme qui a considéré que l’indemnité forfaitaire versée à la victime ne couvre pas les préjudices extra-patrimoniaux [13].
Devant cette diversité de solutions, la jurisprudence de la Cour de cassation n’était plus tenable.
La haute juridiction y a mis fin par deux arrêts de l’assemblée plénière qui proclament désormais que : « L’ensemble de ces considérations conduit la Cour à juger désormais que la rente ne répare pas le déficit fonctionnel permanent ».
De la sorte, l’indemnisation du préjudice résultant d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle tend à se rapprocher de celle du préjudice corporel subi à la suite d’un accident de la vie courante. Ce rapprochement n’est toutefois pas complet, le Conseil constitutionnel ayant admis en 2010 [14] que le système de réparation forfaitaire institué par la loi ne porte pas une atteinte disproportionnée au principe de responsabilité.