Rupture brutale d’une convention d’apport d’affaires : la Cour de cassation affirme la protection des courtiers face aux établissements bancaires.

Par Dorian-Jacob Le Bay, Juriste.

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Explorer : # rupture brutale de relation commerciale # relation commerciale établie # préavis # responsabilité contractuelle

Ce que vous allez lire ici :

Une banque a mis fin à une relation d'apport d'affaires avec un courtier sans préavis suffisant. La Cour de cassation a confirmé que même sans contrat formel, une relation commerciale établie existe si le flux d'affaires est régulier. Cette décision protège les partenaires économiques vulnérables.
Description rédigée par l'IA du Village

Par un arrêt inédit du 14 mai 2025 (Cass. com., n° 24-10.836), la Cour de cassation rappelle que la rupture unilatérale d’une relation commerciale établie engage la responsabilité de son auteur, même en l’absence de contrat-cadre ou d’exclusivité.

L’arrêt porte sur la rupture d’une convention d’apport d’affaires entre une entreprise exerçant une activité d’intermédiation en crédit immobilier, et un établissement de crédit partenaire. Cette décision réaffirme l’importance de l’article L442-1, II, du Code de commerce dans la régulation des relations d’affaires, y compris dans le secteur du courtage bancaire.

Cette affaire s’inscrit dans une série de trois arrêts inédits rendus le même jour par la chambre commerciale, tous relatifs à la rupture brutale de relations commerciales dans le secteur de l’intermédiation financière (Cass. com., n° 24-10.834, n° 24-10.835 et n° 24-10.836), confirmant la même ligne protectrice au profit des intermédiaires évincés sans préavis suffisant.

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1. Un apporteur d’affaires évincé sans préavis suffisant.

Une société exerçant une activité de courtier en crédit immobilier reprochait à une banque d’avoir mis fin, sans préavis suffisant, à une relation d’apport d’affaires engagée depuis plusieurs années. La collaboration, bien qu’exempte de contrat-cadre ou de clause d’exclusivité, avait généré un chiffre d’affaires significatif et régulier.

La banque opposait le caractère précautionneux, précaire et non contractuel de la relation pour exclure toute indemnisation, contestant qu’il puisse exister une « relation commerciale établie » au sens de l’article L442-1, II, du Code de commerce [1], dès lors qu’elle reposait sur un flux d’affaires instable, sans exclusivité ni garantie de volume.

Article L442-1, II du Code de commerce :

« Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie […], sans préavis écrit tenant compte notamment de la durée de la relation commerciale […]. »

En appel, les juges ont retenu que la régularité du volume d’affaires traité constituait bien une relation commerciale au sens du Code de commerce, et condamné l’établissement de crédit au paiement de dommages-intérêts. Celui-ci a formé un pourvoi en cassation.

2. La Cour de cassation retient une appréciation pragmatique des relations d’affaires.

Dans son arrêt inédit du 14 mai 2025 [2], la chambre commerciale de la Cour de cassation rejette le pourvoi et confirme la décision de la cour d’appel [3].

Elle énonce notamment que :

  • Une relation commerciale établie peut résulter d’une collaboration durable, même en l’absence de contrat formel, de mandat ou de clause d’exclusivité ;
  • L’analyse doit porter sur la régularité, la stabilité et la prévisibilité du flux d’affaires, non sur la qualification juridique ou contractuelle du lien entre les parties ;
  • Le fait que l’apporteur d’affaires n’agisse pas pour le compte de la banque, ni avec un engagement contractuel de volume, n’exclut pas la qualification de relation commerciale établie.

La cour distingue ainsi la relation entre les partenaires commerciaux de celle existant entre l’apporteur et les clients finaux. Cette différenciation est essentielle pour évaluer la continuité de la collaboration et l’existence d’une dépendance économique justifiant un préavis adapté.

Les arrêts n° 24-10.834 et 24-10.835, rendus le même jour, confirment cette analyse en consacrant l’importance des flux économiques réguliers entre établissements bancaires et professionnels de l’intermédiation, même en l’absence d’un engagement formalisé.

3. Une décision structurante pour les courtiers et partenaires non exclusifs.

Cette jurisprudence est particulièrement significative dans le contexte des relations entre apporteurs d’affaires indépendants (comme les courtiers en crédit) et grands donneurs d’ordre (tels que les établissements bancaires ou assurantiels). Elle consacre l’idée que, même sans lien contractuel rigide, une pratique économique stable et suivie est de nature à créer une relation commerciale établie ouvrant droit à indemnisation en cas de rupture brutale.

Elle impose ainsi aux donneurs d’ordre de :

  • respecter un préavis raisonnable avant de rompre une relation économique stable ;
  • anticiper le risque de contentieux en formalisant davantage leurs partenariats commerciaux.

4. Une jurisprudence qui renforce la régulation des rapports économiques déséquilibrés.

En adoptant une approche fondée sur la réalité économique des relations d’affaires, la Cour de cassation poursuit son œuvre de régulation des pratiques unilatérales, souvent défavorables aux partenaires les plus vulnérables. L’arrêt aligne la situation de l’apporteur d’affaires sur celle d’autres acteurs protégés comme les distributeurs ou agents commerciaux.

Il s’agit là d’un signal clair adressé aux professionnels : l’absence de contrat ne saurait servir d’échappatoire à l’obligation de loyauté dans la rupture des relations commerciales. La sanction de la rupture brutale repose sur un critère économique : celui de la prévisibilité du flux d’affaires, et non sur une analyse formaliste du contrat.

5. Complément doctrinal : perspectives et portée de l’arrêt.

Au-delà du cas d’espèce, cette décision revêt une portée structurelle pour les relations entre établissements financiers et apporteurs d’affaires indépendants, souvent considérés comme des partenaires commerciaux périphériques.

L’arrêt illustre l’approche constante de la Cour de cassation qui entend protéger l’équilibre économique des relations d’affaires, même lorsqu’elles reposent sur des conventions souples et informelles. Le critère décisif demeure celui de la régularité du flux d’affaires et de l’attente légitime de sa continuité.

Il appartient donc à tout professionnel du financement travaillant avec un réseau d’intermédiaires de :

  • Formaliser clairement les contours de la collaboration ;
  • Prévoir des clauses de sortie et des préavis compatibles avec la jurisprudence ;
  • Éviter les dénonciations unilatérales brutales sans justification documentée.

La Cour poursuit ici une construction jurisprudentielle constante fondée sur la réalité économique des échanges, au détriment d’une approche formelle ou contractuelle :

  • Cass. com., 15 septembre 2009, n° 08-19.200 [4] : la relation commerciale établie peut naître en l’absence de contrat formel si un courant d’affaires significatif est établi.
  • Cass. com., 21 mars 2018, n° 16-17.146 [5] : la fixation d’un préavis de deux ans en cas de rupture d’une relation commerciale établie de 50 ans entre un fabricant et un distributeur.

Les trois arrêts du 14 mai 2025 (n° 24-10.834 [6], 24-10.835 [7] et n° 24-10.836) confirment donc cette logique protectrice, en rappelant que le juge doit s’attacher aux faits économiques, notamment la régularité, la durée et le volume d’activité généré entre les parties.

L’arrêt du 14 mai 2025 vient donc confirmer cette logique protectrice, en rappelant que le juge doit s’attacher aux faits économiques, notamment la régularité, la durée et le volume d’activité généré entre les parties.

A retenir.

  • Une relation commerciale établie peut exister même en l’absence de contrat-cadre ou d’exclusivité.
  • Le critère principal : un flux d’affaires régulier, stable et prévisible.
  • Une rupture unilatérale sans préavis suffisant engage la responsabilité de l’auteur sur le fondement de l’article L442-1, II du Code de commerce.
  • Cette décision renforce la sécurité juridique des courtiers et autres intermédiaires face aux donneurs d’ordre puissants, en particulier dans le secteur bancaire.

Cette trilogie jurisprudentielle du 14 mai 2025 renforce la sécurité juridique des courtiers et autres intermédiaires, face aux donneurs d’ordre puissants, en particulier dans le secteur bancaire.

Dorian-Jacob Le Bay
Juriste - Legal Designer
Doctorant en droit bancaire et financier
Droit des affaires : droit de la distribution bancaire, droit des assurances, droit du numérique et droit des entreprises en difficulté
dorian-jacob.lebay chez objectifprojet.fr

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Notes de l'article:

[1Art. L442-1, II, C. com.

[2Cass. com., 14 mai 2025, n° 24-10.836.

[3CA Paris, pôle 5, ch. 4, 27 sept. 2023, n° 22/10859.

[4Cass. com., 15 septembre 2009, n° 08-19.200.

[5Cass. com., 21 mars 2018, n° 16-17.146.

[6Cass. com., 14 mai 2025, n° 24-10.834.

[7Cass. com., 14 mai 2025, n° 24-10.835.

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