I. La possibilité de licencier en temps de COVID-19.
Initialement évoquée, l’interdiction générale de licencier par temps de pandémie de COVID-19 n’a jamais été mise en œuvre en France [1]. Une telle mesure serait en outre probablement entrée en contradiction avec le principe de la liberté d’entreprendre que le Conseil constitutionnel protège de longue date (Décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982 Loi de nationalisation) et n’hésite pas à invoquer dans ses décisions récentes.
En lieu et place de cette interdiction et pour éviter tout de même une vague de licenciements, il a été décidé de nombreuses mesures d’accompagnement telles la facilitation de l’activité partielle, la généralisation du télétravail, l’arrêt de travail pour garde d’enfant ou encore la possibilité d’un prêt garanti par l’état.
Mesure phare de ce dispositif, l’activité partielle concernerait plus de neuf millions de salariés en avril 2020 [2].
Cependant, malgré l’absence de licenciements de masse comme aux États-Unis, de nombreux contrats de travail ont d’ores et déjà été rompus notamment par rupture de périodes d’essai ou encore par non-renouvellement de contrats précaires. S’agissant des périodes d’essai, nombreux seront les contentieux -dès réouverture des conseils de prud’hommes, actuellement fermés- pour déterminer si leur rupture a été décidée en raison des compétences professionnelles du salarié ou pour un motif non inhérent à sa personne, notamment économique - ce dernier motif ouvrant droit à des indemnités-.
De même, les procédures de licenciement pour motif disciplinaire ont pu continuer à être initiées pendant cette période de COVID-19 et ce pour éviter de laisser se prescrire les faits que l’employeur pouvait estimer comme fautifs ou alors pour sanctionner des télétravailleurs – le pouvoir disciplinaire de l’employeur ne s’évaporant pas avec la distance géographique.
S’est alors posée la question de la procédure de licenciement en période de service postal perturbé et de confinement strict : comment convoquer un salarié à un entretien préalable alors que la sacrosainte lettre recommandée avec accusé de réception subissait les affres de la lenteur postale ? Comment organiser un entretien préalable alors que le salarié peut être dans l’impossibilité de s’y rendre ou même porteur du virus ?
La première question a pu être dans la majorité des cas résolue par l’envoi par e-mail avec accusé de réception et les conseils de prud’hommes intégreront très probablement les difficultés d’envoi dans leur analyse, s’assurant que le salarié avait été effectivement informé d’un tel entretien.
La seconde est plus délicate, de nombreuses entreprises ont proposé la visioconférence ou l’échange par téléphone pour organiser l’entretien préalable aux salariés ne pouvant se déplacer.
Les décisions de justice sont en la matière rares et émanent de Cours d’appel qui ne se sont évidemment pas prononcées dans des contextes de pandémie mondiale et de confinement strict [3]. Toutefois, les droits de la défense dans une pareille configuration ont pu être bafoués notamment dans l’hypothèse où le salarié a participé à un entretien préalable sans avoir pu s’arroger les conseils et le soutien d’un conseiller du salarié lors de cette visioconférence. L’employeur doit donc s’assurer que l’entretien préalable « virtuel » soit le plus proche possible de l’entretien préalable physique, en temps normal.
Ainsi, le salarié qui fait l’objet d’une procédure de licenciement en période de confinement jouit des mêmes droits qu’en temps déconfiné.
Ce rapide tour d’horizon du licenciement en temps de COVID-19 omet le motif qui va probablement être le plus fréquemment utilisé à la fin du confinement, celui du licenciement pour motif économique.
II. Les circonstances justifiant le recours à un licenciement économique.
La loi travail du 8 août 2016 a précisé le cadre dans lequel un licenciement pour motif économique peut intervenir (article 67 de la Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels).
Désormais, quatre situations peuvent justifier un licenciement pour motif économique (article L. 1233-3 du Code du travail) :
les difficultés économiques,
les mutations technologiques,
la réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité,
la cessation d’activité de l’entreprise.
La première catégorie est celle la plus facilement mobilisable pour les entreprises qui souhaiteraient prononcer un licenciement pour motif économique.
En effet, la loi prévoit que celles-ci peuvent être caractérisées par une baisse de commandes ou de chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.
Il est donc clair que les dernières réformes concernant le droit du travail ont libéralisé et élargi les cas de recours à un tel motif de licenciement, le législateur précisant des exemples de licenciement économique mais laissant à l’employeur le soin de les expliquer « par tout autre élément ».
Allant encore plus loin, il a explicité la notion de « baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires ».
Une telle baisse est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à :
un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;
deux trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;
trois trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;
quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus.
A titre d’exemple, une boulangerie comptant 5 salariés pourra initier une procédure de licenciement économique en juin 2020 si elle démontre l’existence d’une baisse de chiffre d’affaires sur la période de mars à mai 2020 en comparaison avec la même période en 2019.
Par conséquent, en raison de la croissance négative prévue pour cette année [4], il est très probable que de nombreuses entreprises prononcent des licenciements pour motif économique.
Cependant, si la démonstration des difficultés économiques pourrait, en ces périodes de récession et après un mouvement de libéralisation des règles en la matière, être chose relativement aisée, les entreprises y recourant devront porter une attention très particulière à la procédure d’information du salarié.
III. La procédure d’information du salarié licencié pour motif économique.
Le salarié dont le poste est supprimé et dont le reclassement est impossible pourra être licencié pour motif économique à la suite d’une procédure de licenciement dont la Cour de cassation a apporté des précisions spécifiques à ce type de rupture de contrat de travail.
En effet, l’employeur qui décide de licencier un salarié pour motif économique lui notifie sa décision par lettre recommandée avec accusé de réception qui comporte l’énoncé des motifs économiques invoqués par l’employeur (article L. 1233-16 du Code du travail).
Doivent être précisés au salarié deux éléments, sous peine de voir le licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse.
La cause du licenciement -difficultés économiques, réorganisation de l’entreprise…- doit évidemment lui être communiquée mais aussi son effet, sa conséquence sur le poste, c’est-à-dire la modification ou la suppression de celui-ci (Cass. Soc., 24 mars 2010, n° 08-44646).
Les motifs énoncés doivent être objectifs, précis et matériellement vérifiables (Cass. Soc., 4 mai 2011, n° 09-42148).
Toutefois, spécificité du licenciement économique, l’employeur est tenu de proposer au salarié dont le licenciement pour motif économique est envisagé un contrat de sécurisation professionnelle (CSP) si l’entreprise dénombre moins de 1000 salariés (article L. 1233-66 du Code du travail) et un congé dit de reclassement pour les entreprises de plus de 1000 salariés (article L. 1233-71 du Code du travail).
Proposé lors de l’entretien préalable -ou, cas plus rare, à l’issue de la dernière réunion des représentants du personnel- (article L. 1233-6 du Code du travail), le salarié peut y adhérer et ainsi l’accepter avant même que toute lettre de licenciement lui soit notifiée ; c’est d’ailleurs souvent le cas puisque les salariés choisissent majoritairement ces dispositifs leur offrant un meilleur accompagnement et une meilleure prise en charge [5].
Dès lors, l’employeur qui comptait énoncer les motifs économiques au sein de la lettre de licenciement peut se trouver devancé par l’acceptation par le salarié de ce congé et par la rupture immédiate du contrat de travail qu’elle entraine (article L. 1233-67 du Code du travail).
Ainsi, la Cour de cassation (Cass. Soc., 22 septembre 2015, n° 14-16218) pose comme principe que le salarié qui adhère au contrat de sécurisation professionnelle doit se voir notifier le motif économique de la rupture et ce au plus tard au moment de son acceptation de la proposition du CSP.
Cette absence d’information en temps voulu rend sans cause réelle et sérieuse le licenciement.
En effet, l’adhésion du salarié au CSP n’emporte pas acceptation irrévocable du motif économique à l’origine de celui-ci et le salarié peut tout de même contester le bien-fondé de son licenciement (Cass. Soc., 5 mars 2008, n° 07-41964).
Par conséquent, le salarié ayant fait le choix du CSP doit être aussi bien informé du motif économique que celui-ci qui n’y a pas adhéré, les deux pouvant contester la rupture du contrat de travail.
La jurisprudence a ainsi précisé que cette information sur le motif économique devait intervenir :
soit dans le document d’information sur le CSP qui doit être obligatoirement remis au salarié ;
soit dans la lettre de licenciement que l’employeur est tenu d’adresser « à titre conservatoire », lorsque le délai dont dispose le salarié pour faire connaître sa réponse à la proposition de CSP expire après le délai d’envoi de la lettre de licenciement ;
soit, lorsqu’il n’est pas possible d’envoyer cette lettre avant l’acceptation par le salarié du CSP, dans tout autre document écrit, porté à sa connaissance au plus tard au moment de son acceptation.
Cette question, a priori très procédurale, est régulièrement l’objet de contentieux.
A titre d’exemple, le Conseil de prud’hommes de Bobigny (CPH Bobigny, 31 oct. 2019, n°18/00950) a eu l’occasion de se prononcer sur le licenciement pour motif économique d’un directeur de PME.
Celui-ci arguait que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse puisqu’il avait adhéré au CSP le lendemain de son entretien préalable sans avoir été informé, selon lui, du motif économique dans le document d’information sur le CSP.
En effet, la lettre de licenciement précisant formellement le motif économique n’avait été adressée que deux semaines plus tard.
Le Conseil de prud’hommes de Bobigny n’a pas suivi le salarié dans son argumentation en considérant que le degré de connaissance de la situation financière qu’il avait en sa qualité de directeur, la rédaction par ses soins d’une note économique sur les mauvais résultats de l’entreprise ainsi que la création d’une société dans le but de récupérer une partie de l’activité de l’entreprise en question et une partie des postes de cette dernière -dont le sien- permettaient de déduire que le motif économique était parfaitement connu du salarié -tant les difficultés économiques que leur impact sur le poste- de sorte que le licenciement était pourvu d’une cause réelle et sérieuse.
Cette décision des juges du fond s’inscrit dans une certaine souplesse permise par la Haute Cour s’agissant de la preuve de l’information du salarié quant au motif économique à l’origine de son licenciement.
Tel fut le cas dans une affaire où le salarié avait fait valoir que le motif économique ne figurait pas dans le document d’information sur le CSP qui lui avait été remis lors de l’entretien préalable au licenciement, ni dans aucun autre document spécifique remis lors de l’acceptation du CSP. La Cour de cassation a cependant fait remarquer que le motif économique avait été indiqué dans un courrier par lequel l’employeur avait proposé un poste de reclassement à l’intéressé. Ce courrier pouvait parfaitement tenir lieu de notification du motif économique. Il importe alors simplement que celui-ci ait été remis au salarié au plus tard lors de l’acceptation du CSP, ce qui était bien le cas en l’espèce puisque le courrier avait été remis le 17 novembre 2011 tandis que l’adhésion au CSP avait été acceptée le 1er février 2012 (Cass. Soc., 16 novembre 2016, n° 15-12293).
De même, un salarié qui a été destinataire, avant son adhésion au CSP, d’un courrier électronique comportant le compte-rendu d’une réunion avec le délégué du personnel énonçant les difficultés économiques invoquées ainsi que les postes supprimés, dont le sien, ne peut se prévaloir d’un licenciement injustifié (Cass. Soc., 13 juin 2018, n° 16-17865).
Ce rappel du droit et de la procédure applicables à tout salarié licencié pour motif économique, même en période de COVID-19, permet de constater que la partie faible au contrat a un droit à l’information qui peut certes varier dans sa forme mais jamais dans son fond.
L’employeur doit par conséquent être en mesure d’apporter la preuve, en cas de contentieux, de l’information du motif économique du salarié licencié pour motif économique quand bien même il pourrait sembler tomber sous le sens.