1) Faits et procédure.
Un salarié a été engagé par la société Serviclean en qualité d’agent qualifié propreté. Le contrat prévoyait un salaire mensuel auquel s’ajoutait une prime mensuelle de forfait vitrerie. Le salarié était titulaire d’un mandat de délégué du personnel.
Le 21 novembre 2011, l’employeur a notifié au salarié une mutation disciplinaire.
Le 14 novembre 2014, l’employeur l’a convoqué à un entretien préalable en vue de son licenciement et lui a notifié une mise à pied à titre conservatoire.
Le 10 décembre 2014, après avoir consulté à deux reprises le comité d’entreprise en réunion extraordinaire, l’employeur a demandé à l’inspecteur du travail l’autorisation de le licencier. Le 19 janvier 2015, l’inspecteur du travail a refusé d’autoriser ce licenciement. Par lettre du 26 janvier 2015, l’employeur a demandé au salarié de reprendre son poste et a précisé qu’il lui notifiait un avertissement.
La Cour d’appel de Versailles, dans un arrêt du 26 novembre 2020 :
Déboute le salarié de sa demande de dommages-intérêts au titre d’un harcèlement moral ;
Déboute le salarié de sa demande d’annulation de la mutation disciplinaire du 21 novembre 2011 et de sa demande de dommages-intérêts pour mutation disciplinaire imposée et injustifiée ;
Condamne le salarié à rembourser à la société Serviclean la somme de 15.194,64 euros avec intérêts au taux légal à compter des conclusions demandant le remboursement.
Le salarié forme alors un pourvoi en cassation.
2) Moyens.
Le salarié expose plusieurs moyens, au soutien de son pourvoi.
Dans un premier moyen, le salarié fait grief à l’arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts au titre d’un harcèlement moral, alors que :
Le juge ne peut débouter le salarié de ses demandes au titre du harcèlement moral au seul motif qu’il ne donne aucun élément sur le préjudice qui en aurait résulté sans s’être prononcé au préalable sur l’existence d’un harcèlement moral ;
Pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L1152-1 du Code du travail ; que dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Dans un troisième moyen, le salarié fait grief à l’arrêt de le débouter de sa demande d’annulation de la mutation disciplinaire du 21 novembre 2011 et de sa demande de dommages-intérêts pour mutation disciplinaire imposée et injustifiée, alors que :
Aucune modification de son contrat de travail ou changement de ses conditions de travail ne peut être imposé à un salarié protégé et que l’acceptation par un salarié protégé d’une modification de son contrat de travail ou d’un changement des conditions de travail ne peut résulter ni de l’absence de protestation de celui-ci, ni de la poursuite par l’intéressé de son travail ; qu’il en résulte qu’un salarié protégé ne peut se voir imposer, sans son accord, une mutation disciplinaire sur un autre site ;
Qu’en refusant d’annuler la mutation disciplinaire imposée le 21 novembre 2011 au salarié sans rechercher, ainsi qu’elle était invitée à le faire, si cette mutation n’était pas constitutive d’une violation du statut protecteur attaché à son mandat de membre élu de la délégation unique du personnel, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.
Dans un sixième moyen, le salarié fait grief à l’arrêt de le condamner à rembourser à la société Serviclean la somme de 15 194,64 euros avec intérêts au taux légal à compter des conclusions demandant le remboursement.
3) Solution.
La chambre sociale casse et annule l’arrêt d’appel.
En réponse au premier moyen, la chambre sociale répond qu’au titre des articles L1152-1 et L1154-1 du Code du travail, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :
« Pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L1152-1 du Code du travail, et, dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ».
Ainsi en l’espèce :
« Pour débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts au titre d’un harcèlement moral, l’arrêt retient que celui-ci ne donne aucun élément sur le préjudice qui en serait résulté, alors qu’aucun préjudice n’est automatique.
En statuant ainsi, alors qu’il lui appartenait préalablement de rechercher si les faits présentés par le salarié ne laissaient pas présumer l’existence d’un harcèlement moral et si, dans l’affirmative, l’employeur prouvait que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, la cour d’appel a violé les textes susvisés) ».
En réponse au troisième moyen, la chambre sociale expose que :
« Aucune modification de son contrat de travail ou changement de ses conditions de travail ne peut être imposé à un salarié protégé et il appartient à l’employeur d’engager la procédure de licenciement en cas de refus du salarié de cette modification en demandant l’autorisation de l’inspecteur du travail.
L’acceptation par un salarié protégé d’une modification du contrat de travail ou d’un changement des conditions de travail ne peut résulter ni de l’absence de protestation de celui-ci, ni de la poursuite par l’intéressé de son travail ».
Ainsi en l’espèce :
« Pour débouter le salarié de sa demande d’annulation de la mutation disciplinaire, l’arrêt retient que cette mutation a été mise en œuvre le 4 janvier 2012 suivant la lettre de l’employeur du 20 décembre 2011, après entretien préalable au cours duquel le salarié a été entendu assisté d’un salarié de l’entreprise, que le salarié a rejoint son nouveau lieu de travail à la date indiquée et ne justifie nullement les éléments de nullité qui entacheraient cette décision ainsi que l’existence d’un préjudice en résultant, n’explicitant pas la communauté de travail à laquelle il aurait été éloigné de ce fait alors qu’il travaillait auprès de clients et pas dans le cadre d’un emploi sédentaire avec d’autres salariés de l’entreprise.
En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».
En réponse au sixième moyen, la Cour de cassation expose que l’obligation de restitution résulte de plein droit de l’annulation de l’ordonnance assortie de l’exécution provisoire. Par conséquent, la cour d’appel, qui n’avait pas à statuer sur cette demande, a violé l’article 561 du Code de procédure civile.
4) Analyse.
Deux points majeurs sont abordés dans l’arrêt.
a) L’office du juge à propos du harcèlement moral.
La chambre sociale de la Cour de cassation rappelle l’office du juge concernant la caractérisation du harcèlement moral.
Ainsi, l’appréciation du préjudice subi par la victime ne doit intervenir que dans un second temps. Le juge doit d’abord se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral. Pour cela, il convient de suivre les dispositions de l’article L1154-1 du Code du travail : le juge doit préalablement rechercher si les faits présentés par le salarié ne laissent pas présumer l’existence d’un harcèlement moral et si, dans l’affirmative, l’employeur prouve que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
b) La modification contrat de travail et le changement des conditions de travail des salariés protégés.
Pour rappel, aucun changement des conditions de travail ni aucune modification d’un élément essentiel du contrat de travail ne peut être imposé à un salarié protégé.
Cela permet de s’assurer que la modification envisagée n’est pas en lien avec son mandat.
Lorsque le salarié protégé refuse la modification proposée, l’employeur peut soit maintenir le salarié dans les conditions des travail actuelles, soit demander à l’inspecteur du travail l’autorisation de procéder à son licenciement.
Au contraire, lorsque le salarié protégé accepte la modification proposée, cette modification s’applique sans besoin de saisir l’inspecteur du travail.
La chambre sociale de la Cour de cassation, dans cet arrêt du 15 février 2023, précise que l’acceptation du salarié ne peut être constituée ni par l’absence de contestation du salarié protégé, ni par la poursuite par l’intéressé de son travail.
La Cour de cassation renforce donc le statut protecteur des salariés protégés.
Sources.
Cass. soc., 15 février 2023, n°21-20.572
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