I. Présentation de l’affaire.
1. Faits.
Un couple de copropriétaires, avaient constaté, des nuisances sonores récurrentes générées par le fonctionnement du système collectif de chauffage et climatisation (Centrale de Traitement de l’Air (CTA) de l’immeuble situé au-dessus leur logement.
2. Procédure.
Face à cette situation, le couple avait assigné en référé le syndicat des copropriétaires de l’immeuble devant le Président du Tribunal judiciaire de Marseille, sollicitant la réalisation d’une expertise judiciaire.
Le juge des référés avait fait droit à cette demande.
Une fois le rapport d’expertise judiciaire déposé, le couple propriétaire avait assigné au fond le syndicat des copropriétaires dans le but d’obtenir la réalisation d’une étude réparatoire par un Bureau d’Etudes Techniques (BET) spécialisé en acoustique, la réalisation des travaux préconisés par ce BET sur la base des préconisations de l’expert judiciaire, la réalisation d’une étude acoustique de réception et la condamnation du syndicat des copropriétaires au dédommagement des préjudices subis.
3. Décision du juge.
Le juge a condamné le syndicat des copropriétaires de l’immeuble à :
- la réalisation de l’intégralité des travaux préconisés par l’expert judiciaire dans son rapport, ou à justifier de leur réalisation depuis le dépôt du rapport, à savoir :
- le remplacement des deux pompes de circulation de l’installation de chauffage/climatisation de l’immeuble et des quatre ventilateurs défectueux ;
- la mise en œuvre de supports acoustiques de type « Bigfoot » ;
- un diagnostic, par un spécialiste, des boîtes à ressort placées sous les pieds de la batterie des aéroréfrigérants, et le cas échéant leur remplacement ;
et ce sous astreinte provisoire de 150 euros par jour de retard qui commencera à courir passé un délai de deux mois à compter de la signification du jugement, et pendant un délai de trois mois ;
- la réalisation par un acousticien de nouvelles mesures du niveau de pression acoustique dans les chambres de l’appartement des demandeurs postérieurement à la réalisation des travaux précités, afin d’objectiver la persistance ou la cessation des nuisances sonores précédemment constatées par l’expert judiciaire ;
et ce sous astreinte provisoire de 150 euros par jour de retard qui commencera à courir passé un délai d’un mois à compter de la réception des travaux précédemment rappelés, et pendant un délai de trois mois.
S’agissant des préjudices, le juge a condamné le syndicat des copropriétaires à payer aux demandeurs :
24 840 euros au titre de leur préjudice de jouissance, cette somme étant assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de l’assignation ;
2 000 euros au titre de leur préjudice moral.
II. Observations.
Cette décision soulève la question de la responsabilité du syndicat des copropriétaires d’un immeuble collectif face à des nuisances sonores persistantes émanant d’une installation collective située sur les parties communes, source d’un trouble anormal de voisinage pour les copropriétaires.
Il s’agira d’analyser, d’une part, le rôle du rapport d’expertise dans la reconnaissance par le tribunal du trouble anormal de voisinage et dans la mise en œuvre de la responsabilité du syndicat de copropriété (1), et d’autre part, son rôle dans la détermination de l’étendue des obligations du syndicat, tant en matière de réalisation des travaux correctifs que d’indemnisation des préjudices subis par les copropriétaires à la suite des conclusions de l’expertise judiciaire (2).
1. La responsabilité du syndicat des copropriétaires pour un trouble anormal du voisinage provenant d’une installation collective, démontrée par le rapport d’expertise judiciaire.
Le tribunal judiciaire de Marseille a rappelé le principe fondamental du trouble anormal de voisinage, issu initialement de l’article 544 du Code civil.
Cet article dispose que
« la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ».
Le tribunal a réaffirmé par ailleurs le principe jurisprudentiel selon lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble de voisinage ».
Il s’agit la d’un cas de responsabilité sans faute, c’est-à-dire indépendante de toute intention ou négligence de l’auteur du trouble, contrairement à la responsabilité délictuelle fondée sur les articles 1240 et suivants du Code civil.
Pour qu’un trouble anormal de voisinage soit reconnu, il suffit que soit prouvés un rapport de voisinage, un trouble anormal, un préjudice et un lien de causalité entre le trouble et le préjudice trouvant son origine dans le fonds voisin.
En l’espèce, le syndicat des copropriétaires a été jugé responsable de plein droit s’agissant d’une installation collective, partie commune.et notamment d’une installation collective de chauffage et de climatisation implantée sur la terrasse technique de l’immeuble.
Il a donc été déclaré responsable des désordres acoustiques immobiliers subis par les demandeurs, occupants du logement situé immédiatement en dessous de l’installation collective.
Par ailleurs, la preuve du trouble avait été rapportée par les demandeurs.
Le juge s’est appuyé principalement sur le rapport d’expertise judiciaire attestant de niveaux sonores proches ou au-delà des seuils de tolérance réglementaires lorsque les ventilateurs défectueux étaient en fonctionnement, ainsi que sur plusieurs courriels adressés au syndic en exercice dès 2020, et un constat d’huissier daté de décembre 2024 confirmant la persistance du bruit.
Il a constaté que le fonctionnement de cette installation, vétuste et partiellement défectueuse, générait un « ronronnement » perceptible dans les chambres des demandeurs, perturbant la jouissance paisible de leur bien.
Il a également rappelé que le respect des seuils réglementaires ne suffisait pas à exonérer l’auteur du trouble de sa responsabilité en matière de troubles anormaux du voisinage.
En effet, la conformité d’un équipement aux normes acoustiques ne fait pas obstacle à la qualification de trouble anormal de voisinage dès lors selon la jurisprudence que le bruit, par son intensité, sa répétition ou sa durée, excède la tolérance normale que chacun doit supporter.
Le tribunal a ainsi rappelé la jurisprudence constante selon laquelle le trouble anormal est apprécié in concreto, au regard des circonstances de temps, de lieu et de fréquence, indépendamment du respect formel de la réglementation technique.
Le rapport de l’expert judiciaire avait pu établir la répétition, la durée et la gravité des nuisances acoustiques, caractéristiques d’un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage.
Le tribunal a par ailleurs relevé que les nuisances sonores avaient débuté dès janvier 2020, date du premier signalement adressé au syndic, et qu’elles s’étaient prolongées jusqu’à la date du jugement, soit plus de quatre années consécutives malgré les multiples réclamations des demandeurs.
Cette durée prouvait un trouble d’une intensité anormale, dépassant largement les simples désagréments momentanés que suppose la vie en collectivité.
Le tribunal a souligné par ailleurs qu’une gêne aussi prolongée caractérisait un manquement durable du syndicat des copropriétaires à son obligation d’entretien des parties communes de l’immeuble.
L’expertise judiciaire et les autres preuves produites démontraient aussi que le bruit, décrit comme un « ronronnement de moteur » ou un « bourdonnement continu », se manifestait de manière régulière, notamment en période nocturne, période durant laquelle la sensibilité au bruit est accrue du fait de l’affaiblissement du bruit résiduel.
Le rapport d’expert précisait que le niveau sonore, bien que parfois proche des seuils réglementaires, restait perceptible à l’intérieur des chambres et susceptible d’occasionner des réveils nocturnes.
De plus, le dysfonctionnement de plusieurs ventilateurs et pompes du système collectif constaté lors de l’expertise n’avait pas permis de mesurer le niveau sonore maximal.
Il était donc probable que la pompe ou les ventilateurs aient, en fonctionnement normal, émis un niveau de bruit ou de vibrations plus élevé que celui enregistré.
Le juge a précisé également que les ventilateurs ou la pompe à chaleur, bien que momentanément hors service, pouvaient être remis en fonctionnement.
Le tribunal a donc déduit du rapport d’expertise l’existence d’un trouble grave, continu et objectivement anormal.
Ce trouble, excédant les inconvénients normaux de voisinage, justifiait la condamnation du syndicat des copropriétaires à réaliser les travaux correctifs préconisés par l’expert et à indemniser les demandeurs pour la privation prolongée de la jouissance paisible de leur logement.
2. La responsabilité du syndicat des copropriétaires, tant en matière de réalisation des travaux que d’indemnisation du préjudice subi en raison du trouble anormal provenant d’une installation commune.
En droit civil, la responsabilité en matière de nuisances sonores peut être engagée sur plusieurs fondements.
Elle peut être fondée sur l’article 1240 du Code civil (responsabilité pour faute) ou sur l’article 1253 qui mentionne le trouble anormal de voisinage (responsabilité sans faute), régime autonome ne nécessitant pas la preuve d’une faute mais seulement celle d’une nuisance excédant les inconvénients normaux du voisinage.
Dans tous les cas, la victime doit établir un lien de causalité entre le comportement ou l’ouvrage incriminé et le préjudice sonore subi.
Dans le cas d’espèce, le défendeur avait produit quatre factures visant à démontrer qu’il avait effectué, au cours de l’année 2023, différents travaux.
Le juge reprenant le rapport d’expertise judiciaire a constaté que les travaux effectués par le syndicat des copropriétaires ne correspondaient que partiellement aux travaux préconisés par l’expert.
Ainsi, le juge a précisé que ces travaux incomplets ne permettaient pas au syndicat de démontrer que l’ensemble des travaux préconisés par l’expert auraient été réalisés comme il l’alléguait.
Les demandeurs avaient également a posteriori produit un constat d’huissier soulignant la persistance des nuisances malgré les travaux effectués par le syndicat.
Enfin, le juge a souligné l’absence de de nouvelles mesures acoustiques dans l’appartement des demandeurs postérieurement à ces travaux comme l’avait demandé l’expert judiciaire. Il a précisé que le syndicat ne pouvait valablement soutenir à cet égard qu’il appartenait aux demandeurs de réclamer la réalisation de celles-ci dès lors que l’expert judiciaire les avait expressément recommandées pour s’assurer de la cessation des nuisances.
Le syndicat de copropriétaires a donc été condamné à mettre en œuvre l’ensemble des préconisations formulées par l’expert judiciaire, ou à justifier de la réalisation de l’ensemble des préconisations et non uniquement des travaux partiels.
Il a en outre été condamné à procéder à des mesures acoustiques de réception afin de vérifier l’efficacité des interventions réalisées comme préconisé par l’expert judiciaire.
Le juge a également prévu que ces travaux et étude soient assortis d’une astreinte du fait de l’ancienneté du litige et de la nécessité de faire cesser au plus vite les troubles subis par les demandeurs.
Par ailleurs, le juge s’est fondé sur le rapport d’expertise judiciaire pour établir les différents préjudices subis par les demandeurs.
Le préjudice moral des parties a été reconnu et indemnisé à hauteur de 1 000 € pour chacun des demandeurs, en raison de leur exposition prolongée et répétée aux nuisances sonores, notamment dans leur chambre.
Le juge a précisé que ces derniers avaient subi depuis plus de quatre ans des nuisances de nature à troubler leur sommeil, situation que l’expert avait qualifiée de pénible.
En revanche, le préjudice lié à l’état de santé a été rejeté par le juge, faute d’éléments probants (absence de certificats médicaux).
Le préjudice de jouissance a quant à lui été évalué à 24 840 € et calculé sur la base de 15% de la valeur locative mensuelle sur une période de 69 mois.
En effet, le tribunal a relevé que, s’il était incontestable que les nuisances sonores subies avaient empêché les demandeurs de jouir paisiblement et pleinement de leur appartement, ces derniers ne rapportaient pas la preuve que les troubles, provenant de l’installation commune, avaient totalement empêché l’usage de leur bien.
Le juge a précisé également que l’expert judiciaire n’avait pas constaté que ces nuisances étaient continues.
Enfin, une somme de 6 000 € a été attribuée au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, et le syndicat a été condamné aux entiers dépens dont le remboursement des frais d’expertise judiciaire.
En application de l’article 10 1 de la loi du 10 juillet 1965, le juge a dispensé également les demandeurs de leur participation aux frais communs au titre de la procédure, incluant uniquement les dépens et la somme qui leur était allouée en vertu de l’article 700 du Code de procédure civile.
En revanche, cette dispense ne concernait pas les travaux que le syndicat des copropriétaires devait réaliser conformément aux préconisations de l’expert judiciaire.
Conclusion.
Ce jugement illustre l’articulation entre la réglementation acoustique et la théorie autonome du trouble anormal de voisinage, montrant que le respect strict des normes n’exonère pas de toute condamnation civile.
Il met également en évidence le rôle central de l’expertise judiciaire, ainsi que l’importance des préconisations émises par l’expert.
Il souligne enfin la rigueur imposée au syndicat des copropriétaires, qui doit suivre ses recommandations et veiller à la jouissance paisible des copropriétaires de l’immeuble, en lien avec le fonctionnement des installations communes de celui-ci.


