Au secours ! L’exploitation agricole voisine fait trop de bruit !

Par Christophe Sanson, Avocat.

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Explorer : # nuisances sonores # trouble anormal de voisinage # équilibre vie professionnelle et personnelle # résistance abusive

Ce que vous allez lire ici :

Un couple a porté plainte contre une exploitation agricole voisine à cause de nuisances sonores persistantes dues à des ventilateurs. Le tribunal a ordonné des travaux pour réduire les nuisances et a accordé une indemnisation. Le jugement interroge l'équilibre entre l'activité agricole et la qualité de vie des riverains.
Description rédigée par l'IA du Village

Cette affaire illustre la complexité à laquelle les juridictions sont confrontées : la recherche d’un équilibre entre le nécessaire respect du droit des riverains au calme et l’indispensable développement d’activités agricoles, pour certaines, particulièrement bruyantes. Elle offre une nouvelle illustration de la jurisprudence équilibrée relative au trouble anormal de voisinage que le juge civil, rappelons le, doit faire cesser et faire indemniser.
Retour sur le jugement du Tribunal judiciaire de Carcassonne du 29 août 2024 (RG n° 23/00778).

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Chaque été, de juin à août, un couple de riverains voyait sa tranquillité perturbée par le bruit continu des ventilateurs et extracteurs d’air d’une exploitation agricole voisine, spécialisée dans la culture de céréales, de légumineuses et de graines oléagineuses.

Ces nuisances sonores répétées et intenses ayant profondément dégradé la qualité de vie de ce couple, celui-ci a décidé de porter l’affaire en justice, dénonçant un trouble anormal de voisinage.

Le Tribunal judiciaire de Carcassonne a condamné l’exploitant à réaliser des travaux pour mettre fin à ces nuisances et à indemniser le couple pour les préjudices subis. Le jugement soulève la délicate question de l’équilibre entre les impératifs économiques d’une activité agricole et le respect de la qualité de vie des riverains.

I. Présentation de l’affaire.

1° Les faits.

Monsieur et Madame X., propriétaires et occupants d’un château situé en milieu rural, se plaignaient de nuisances sonores en provenance de l’exploitation agricole voisine, spécialisée dans la culture de céréales, de légumineuses et de graines oléagineuses.

Ces nuisances étaient causées par le fonctionnement des ventilateurs et extracteurs d’air utilisés pour sécher l’ail et les oignons récoltés dans le cadre de cette activité, exploitée par le Groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC) Z. sur un terrain et dans des locaux appartement à Monsieur Y, agriculteur de profession.

Chaque année, de juin à août, pendant une période de 5 à 6 semaines, des bruits de moteurs, de compresseurs, de ronronnements et de souffles d’air se faisaient entendre de jour comme de nuit, affectant considérablement la qualité de vie du couple.

La réalité et l’intensité de ces nuisances avaient été confirmées par une attestation de témoin, plusieurs procès-verbaux de constats d’huissier, ainsi qu’un rapport de mesures acoustiques établi par un Bureau d’Etudes Techniques (BET) en acoustique.
L’intensité des nuisances était telle qu’elle empêchait les riverains de jouir sereinement de leur bien immobilier et dégradait leur santé, notamment par des troubles du sommeil.

2° La procédure.

Afin de faire établir la réalité des nuisances dont ils se disaient victimes, Monsieur et Madame X. avaient, en première instance, sollicité une expertise en référé au visa de l’article 145 du Code de procédure civile devant le Président du Tribunal judiciaire de Carcassonne.

Par ordonnance de référé du 7 avril 2022, le Président du Tribunal judiciaire de Carcassonne avait fait droit à leur demande.

A l’issue des opérations d’expertise, l’Expert judiciaire avait rendu, le 24 janvier 2023, son rapport définitif d’expertise.

Sur le fondement de ce rapport d’expertise, Monsieur et Madame X. avaient alors assigné le GAEC Z. et Monsieur Y. devant le Tribunal judiciaire de Carcassonne et sollicitaient leur condamnation, in solidum, à :

  • faire réaliser, à leurs frais, par un Bureau d’Études Techniques (BET) en acoustique compétent, une étude réparatoire complète et détaillée aux fins de déterminer les travaux nécessaires pour mettre fin aux nuisances sonores subies par eux ;
  • faire réaliser cette étude dans un délai d’un mois à compter de la signification du jugement à intervenir et ce sous astreinte de 300 euros par jour de retard, le juge se réservant le droit de liquider cette astreinte ;
  • faire réaliser, à leurs frais et sous le contrôle d’un acousticien, dans un délai de deux mois à compter de la finalisation de l’étude ci-dessus mentionnée et ce sous astreinte de 300 euros par jour de retard, le juge se réservant le droit de liquider cette astreinte ;
  • faire réaliser, à leurs frais par un BET en acoustique, une mesure acoustique de réception pour s’assurer que les objectifs prévus, à savoir l’absence de nuisances sonores pour eux ont bien été atteints et ce dans un délai de 15 jours à l’issue des travaux ci-dessus mentionnés et ce sous astreinte de 300 euros par jour de retard, le juge se réservant le droit de liquider cette astreinte ;
  • les indemniser au titre de leur préjudice de santé, de leur préjudice moral et de leur préjudice de jouissance ;
  • les indemniser, au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, comprenant les frais et honoraires d’avocat, les frais d’huissier de justice et ceux liés à l’intervention du BET, ainsi qu’aux entiers dépens, comprenant les frais d’expertise et les frais d’huissier de justice pour la signification de l’assignation en référé-expertise et de l’assignation au fond.

3° La décision du juge.

Par son jugement rendu le 29 août 2024, le Tribunal judiciaire de Carcassonne a fait partiellement droit aux demandes de Monsieur et Madame X., et a condamné le GAEC Z. et Monsieur Y. « à faire procéder, aux travaux suivants, tels que préconisés par le rapport d’expertise […], à savoir :

  • faire réaliser, à leurs frais, par un bureau d’études techniques en acoustique une étude réparatoire complète et détaillée aux fins de déterminer les travaux nécessaires pour mettre fin aux nuisances sonores subies par les demandeurs, tenant compte des préconisations figurant dans le rapport d’expertise judiciaire, cette étude devant débuter dans un délai de trois mois à compter de la signification de la présente décision, et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard, passé ce délai, dans la limite de 30 jours,
  • faire réaliser, à leurs frais et sous le contrôle d’un acousticien, les travaux mis en évidence par cette étude, dans un délai de six mois à compter de la finalisation de l’étude, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, passé ce délai, dans la limite de 30 jours,
  • faire réaliser, à leurs frais par un bureau d’études techniques en acoustique, une mesure acoustique de réception sur la propriété [de Monsieur et Madame X.] pour s’assurer que les bruits émis par les ventilateurs n’excèdent pas les normes réglementaires, dans un délai de deux mois suivant la fin des travaux ci-dessus mentionnés, et ce sous astreinte de 50 euros par jour de retard, passé ce délai, dans la limite de 30 jours ».

En outre, si la juridiction de première instance a débouté Monsieur et Madame X. de leur demande tendant à ce que soit réparé leur préjudice de santé, elle a condamné, in solidum, le GAEC Z. et Monsieur Y. à payer à Monsieur et Madame X. « ensemble la somme de 3 000 euros en réparation de leur préjudice de jouissance, et à chacun la somme de 800 en réparation de leur préjudice moral ».

Monsieur Y. a également été condamné, seul, à payer à Monsieur et Madame X. 1 000 euros pour résistance abusive.

Enfin, le GAEC Z. et Monsieur Y ont été condamnés, in solidum, « aux dépens, en ce compris le coût de l’expertise judiciaire » ainsi qu’à leur payer « la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ».

A la date de cette publication, les parties défenderesses n’avaient pas encore fait appel du jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Carcassonne rendu.

II. Observations.

La décision rendue par le Tribunal judiciaire de Carcassonne est intéressante à trois égards notamment.

Les deux premiers relèvent de considérations juridiques : tout d’abord la compétence du juge de la mise en état en matière de prescription (1°), puis la condamnation de Monsieur Y. au titre de la résistance abusive (2°).

Le troisième point, quant à lui, aborde une question davantage d’ordre politique : l’équilibre entre les impératifs de l’activité agricole et la préservation de la qualité de vie des riverains, qui constitue l’enjeu majeur de ce litige (3°).

1° La compétence du juge de la mise en état en matière de prescription.

L’article 2224 du Code civil, dans la rédaction que lui a donné la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, dispose que

« les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

La jurisprudence a fait application de ce délai de prescription aux troubles anormaux de voisinage [1] :
« les actions pour troubles anormaux de voisinage ressortent d’une responsabilité extracontractuelle. Elles se prescrivaient par dix ans en application de l’article 2270-1 du Code civil dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 et désormais par cinq ans selon la loi n° 2008-561 du 17 juin 2208 et le nouvel article 2224 du Code civil, et ce, à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation ».

En vertu de l’article 789 du Code de procédure civile, dans sa version issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, applicable aux assignations délivrées après le 1ᵉʳ janvier 2020, « lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour : […] 6° Statuer sur les fins de non-recevoir ».

L’article 122 du Code de procédure civile précise, quant à lui, que

« constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ».

Ainsi, la prescription constitue bien une fin de non-recevoir, que seul le juge de la mise en état est habilité à examiner tant qu’il n’a pas été dessaisi.

Or, en l’espèce, le GAEC Z. et Monsieur Y. avaient demandé au Président du Tribunal judiciaire de Carcassonne de « dire et juger que la présente action mise en œuvre par Monsieur et Madame X. était irrecevable comme étant prescrite ».

Le GAEC Z. et Monsieur Y. n’avaient donc pas soumis au juge de la mise en état la fin de non-recevoir tirée de la prescription, contrairement aux exigences procédurales, et n’ont pas non plus démontré que cette fin de non-recevoir serait survenue après le dessaisissement du juge de la mise en état.

C’est la raison pour laquelle le Président du tribunal judiciaire a déclaré irrecevable l’exception de prescription soulevée par ces derniers, et, en conséquence, n’a pas étudié la question de la prescription des faits allégués par Monsieur et Madame X.

Il convient également de noter que cette solution demeure valable même après la modification de l’article 789 du Code de procédure civile par le décret n° 2024-673 du 3 juillet 2024.

2° La condamnation au titre de la résistance abusive.

Monsieur et Madame X. avaient sollicité la condamnation, in solidum, du GAEC Z. et de Monsieur Y. à leur verser la somme de 4 000 euros au titre de la résistance abusive.

Pour mémoire, la notion de résistance abusive renvoie au comportement d’une partie qui, par mauvaise foi ou en usant de manœuvres dilatoires, entrave le bon déroulement d’une procédure ou tente de retarder indûment l’issue d’un litige, excédant donc les limites légitimes de son droit à la défense.

En l’espèce, il était reproché au GAEC Z. et à Monsieur Y. d’avoir volontairement entravé le bon déroulement des opérations d’expertise judiciaire.

Durant les opérations d’expertise, Monsieur Y. avait réalisé, sans accord préalable de l’Expert et avant que les mesures acoustiques ne soient effectuées, plusieurs aménagements visant à réduire les nuisances sonores subies par Monsieur et Madame X.

Il avait, en effet, installé « des panneaux isolants ainsi que des murs/écrans de bottes de paille, et de la laine de verre autour des deux ventilateurs fixes ».

De plus, il avait « supprimé un des deux ventilateurs du hangar haut et posé « une cheminée en panneaux isolants » sur l’entrée d’air du ventilateur mobile restant ».

Or, ces modifications auraient eu pour effet de réduire la propagation du bruit vers la propriété de Monsieur et Madame X. en pleine expertise.

Malgré la demande expresse de l’Expert de retirer ces aménagements et de remettre en fonctionnement le deuxième ventilateur mobile, Monsieur Y. avait refusé de le faire.

Cette situation avait eu pour effet d’empêcher l’Expert de mesurer l’impact réel des opérations de séchage, telles que dénoncées par Monsieur et Madame X. en août 2020, et de vérifier l’intensité des nuisances sonores dans leur état d’origine.

Au regard de ces éléments, le Président du Tribunal judiciaire de Carcassonne a estimé que ce comportement témoignait d’une mauvaise foi de la part de Monsieur Y., dépassant les limites de son droit à la défense, et a jugé cela constitutif de résistance abusive.

En conséquence, Monsieur Y. a été condamné à verser 1 000 euros à Monsieur et Madame X. au titre de la résistance abusive.

En revanche, il a considéré qu’aucun comportement fautif n’était imputable au GAEC Z., exploitant de l’activité agricole, ce dernier ne pouvant donc être condamné pour ce fait.

3° La délicate question de l’équilibre entre les impératifs de l’activité agricole et la préservation de la qualité de vie des riverains.

La question de l’équilibre entre les impératifs de l’activité agricole et la préservation de la qualité de vie des riverains s’avère être un enjeu particulièrement délicat, tant sur le plan juridique que politique.

En effet, si le GAEC Z. et Monsieur Y. ont effectivement été condamnés, in solidum, à indemniser Monsieur et Madame X. pour leurs préjudices subis, ainsi qu’au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et aux dépens, les sommes allouées restent relativement modestes.

Cela soulève donc des interrogations quant à la manière dont la justice parvient à concilier les droits des agriculteurs et ceux des riverains.

Il est probable que cette modération des indemnités ait un lien avec le contexte politique et social actuel, où la question du soutien à l’activité agricole est particulièrement sensible.

Les agriculteurs font, en effet, face à des contraintes économiques et environnementales croissantes, et les pouvoirs publics sont souvent réticents à imposer des sanctions financières lourdes qui pourraient affaiblir ce secteur essentiel.

Dans un contexte où les récents débats politiques ont mis en lumière la nécessité de protéger l’agriculture et de ne pas alourdir encore davantage ses charges, il est possible que la juridiction ait pris en compte cet équilibre fragile.

En effet, il ne s’agit pas seulement de préserver la qualité de vie des riverains, mais également de ne pas pénaliser excessivement une activité agricole déjà soumise à de fortes pressions.

A titre d’exemple, la loi du 15 avril 2024 visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels a introduit au sein du Code rural et de la pêche maritime un article L311-1-1qui pose un principe d’antériorité concernant précisément les exploitants d’activités agricoles.

Le principe d’antériorité a vocation à s’appliquer lorsque trois conditions cumulatives sont remplies [2] :

  • l’activité litigieuse doit être antérieure à l’installation des plaignants ;
  • elle doit respecter les dispositions législatives et réglementaires en vigueur ;
  • elle doit s’être poursuivie dans les mêmes conditions ou dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l’origine d’une aggravation du trouble.

En l’espèce, pour les activités agricoles, cette troisième condition a été assouplie.

En effet, afin que cette dernière condition soit remplie, il suffit que cette activité litigieuse soit exploitée dans l’une des quatre situations alternatives suivantes :

  • l’activité litigieuse doit s’être poursuivie dans les mêmes conditions ;
  • ou dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l’origine d’une aggravation du trouble anormal ;
  • ou dans des conditions qui résultent de la mise en conformité de l’exercice de ces activités aux lois et aux règlements ;
  • ou sans modification substantielle de leur nature ou de leur intensité.

L’objectif était alors de répondre aux difficultés rencontrées par certaines exploitations ayant modifié leur activité afin de se conformer à la réglementation agricole.

Ainsi, si les nuisances subies par Monsieur et Madame X. ont été reconnues et réparées, les indemnités relativement faibles pourraient refléter une volonté d’appliquer une sanction proportionnée, évitant d’envoyer un signal perçu comme trop hostile à l’égard du secteur agricole.

Christophe Sanson,
Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine

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Notes de l'article:

[1Cass., 2ème ch. civ., 13 septembre 2018, n° 17-22.474.

[2Article 1253, alinéa 2, du Code civil.

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