(Découvrir/ Exposition) : Robert Badinter au Panthéon : la justice comme héritage républicain.
Cette panthéonisation n’est pas seulement l’hommage à une personnalité, mais à une conception du droit et de la justice qui, depuis plus de quarante ans, irrigue l’État de droit français et influence les débats contemporains.

- Robert Badinter pose dans son bureau pendant une session photo à Paris le 19 avril, 2018 ©️Joël Saget- AFP
La justice comme horizon.
Né en 1928 dans une famille juive immigrée de Bessarabie (aujourd’hui la Moldavie) marqué par la guerre et la déportation de son père, Robert Badinter fit très tôt l’expérience de l’arbitraire. Devenu avocat, il s’illustra dans des procès emblématiques où il défendit des condamnés à mort, convaincu que le droit ne pouvait s’accommoder de l’irréversibilité de la peine capitale.
Son engagement trouva son point culminant en 1981, lorsqu’il devint garde des Sceaux dans le gouvernement de Pierre Mauroy. Devant l’Assemblée nationale, il prononça un discours qui demeure l’un des plus marquants de la Ve République :
« Demain, grâce à vous, la justice française ne sera plus une justice qui tue. »
Quelques semaines plus tard, le 9 octobre 1981, la loi abolissant la peine de mort était promulguée. Mais limiter son héritage à ce seul texte serait réducteur. Badinter participa à la suppression des juridictions d’exception et du délit d’homosexualité, à la modernisation de la procédure pénale, à l’affermissement des droits des détenus, et à la reconnaissance constitutionnelle de principes fondamentaux, en particulier au Conseil constitutionnel dont il fut président de 1986 à 1995. Il a mis fin à la soumission des avocats au respect des autorités publiques et bien d’autres avancées, toujours dans un souci de protection des droits fondamentaux.
Il n’a cessé de rappeler que le droit n’est jamais figé : il est le produit de la société, de ses fractures et de ses élans, et il exige une vigilance permanente.
Le Panthéon, un lieu pour le droit.
L’entrée au Panthéon a souvent été réservée aux grands hommes de guerre, aux écrivains ou aux scientifiques. Plus rares sont les juristes et les hommes de loi. L’hommage rendu à Badinter place ainsi la justice au cœur de la mémoire nationale.
Cette décision marque la reconnaissance d’un rôle essentiel : celui du droit comme garant de la liberté et de la dignité humaine. En inscrivant Badinter dans la mémoire collective, la République choisit de mettre en avant une figure qui incarne la primauté de la règle de droit sur la violence et l’arbitraire.
Elle rappelle aussi que la justice est une construction lente, parfois fragile, toujours perfectible. À travers ce geste, la République rend hommage à l’idée qu’une loi, lorsqu’elle abolit une pratique séculaire, peut changer durablement le regard d’une société sur elle-même.

- Le Panthéon de Paris, ancienne église Sainte-Geneviève © photo JLRF
Une exposition pour comprendre : « Robert Badinter, la justice au cœur ».
Pour accompagner cette panthéonisation, le Centre des Monuments Nationaux propose, du 11 octobre 2025 au 8 mars 2026, une exposition inédite placée sous le commissariat d’Eric Fottorino, écrivain et journaliste : « Robert Badinter, la justice au cœur ».
Installée dans la crypte du Panthéon, elle retrace les grands combats de sa vie et donne à voir ce que signifie, concrètement, « mettre la justice au cœur » d’une action publique.
Conçue comme un parcours immersif, l’exposition présente les procès qui ont façonné son engagement, ses interventions parlementaires, ses écrits, ainsi que des archives audiovisuelles. On y découvre les moments où le droit s’incarne dans une parole, un geste, une plaidoirie. Trois volets structurent la visite, chacun placé sous l’égide d’une personnalité qui a nourri la pensée de Robert Badinter : Émile Zola, Victor Hugo et Condorcet. Ces trois grands hommes sont déjà ensevelis sous le dôme de l’ancienne église Sainte-Geneviève.
Le visiteur est invité à saisir la densité de l’engagement de Badinter : une lutte contre la peine capitale, mais aussi un plaidoyer plus large pour une justice respectueuse des droits fondamentaux. On comprend que, pour lui, la justice n’était pas seulement une institution mais un combat éthique, qui exigeait de convaincre, d’argumenter, parfois contre une opinion publique hostile.
Les 11 et 12 octobre 2025, l’exposition sera ouverte gratuitement au public, traduisant la volonté d’offrir à tous, étudiants, juristes ou simples citoyens, un accès direct à cet héritage.
La revue Légende (dirigée par Eric Fottorino) réalise son numéro 20 consacrée à Robert Badinter en partenariat avec le CNM (et France Inter), pour accompagner l’exposition. Esthétiquement très recherchée, on y retrouve des photos de Robert Badinter avocat, mais aussi de l’homme dans son intimité.
La parole y est notamment donnée à Elisabeth Badinter, pour évoquer la « jeunesse meurtrie » de son époux. La revue fait aussi le lien avec trois « grandes figures » que Robert Badinter rejoindra au Panthéon : Zola, Condorcet (à qui les époux Badinter avaient consacré ensemble un ouvrage) et, évidemment, Victor Hugo, l’autre grande figure française engagée contre la peine de mort. Un très beau numéro à découvrir en kiosque à partir du 1ᵉʳ octobre [1].

- Couverture de la revue Légende
Héritage et vigilance.
L’entrée de Robert Badinter au Panthéon ne clôt pas une histoire : elle en ouvre une autre. Car la mémoire du droit ne vaut que si elle éclaire les combats d’aujourd’hui.
Dans un monde où la tentation sécuritaire conduit parfois à rogner les libertés, où certains partis politiques de pays européens réclament la peine capitale, la présence de Badinter au Panthéon rappelle que la justice est un équilibre fragile entre protection collective et droits individuels.
Elle souligne aussi que la fonction du juriste — avocat, magistrat, législateur — n’est pas seulement d’appliquer la règle, mais parfois de la contester pour l’améliorer. Badinter n’a cessé de rappeler que la justice ne pouvait être
réduite à une mécanique : elle devait rester une exigence de dignité.
Le droit en héritage.
Le Panthéon, par sa devise « Aux grands hommes, la patrie reconnaissante », devient avec Badinter le lieu où la justice est inscrite dans la mémoire nationale. Cet acte dépasse l’hommage : il signifie que la République considère désormais le combat pour le droit comme une œuvre fondatrice, au même titre que la littérature ou la science.
En 1981, Robert Badinter avait affirmé que la justice ne devait pas tuer. En 2025, son entrée au Panthéon rappelle que la justice doit continuer à protéger, à éclairer et à guider.
À noter que l’historien et résistant juif Marc Bloch sera, lui aussi, panthéonisé, quelques mois plus tard, le 16 juin 2026, quatre-vingt-deux ans après son exécution par la Gestapo.

- Le dôme du Panthéon de Paris vu du dessous © photo JLRF
Exposition « Robert Badinter, la justice au cœur »
Du 11 octobre 2025 au 8 mars 2026
Place du Panthéon, Paris 5e
Informations générales : https://www.paris-pantheon.fr
A lire aussi : notre hommage à Robert Badinter
Quelques dates chronologiques : Robert Badinter, une vie pour la justice.
1928 : Naissance à Paris, dans une famille juive originaire de Bessarabie.
1943 : Son père est arrêté et déporté à Sobibor, où il est assassiné. Cette expérience marque durablement son rapport à la justice et à l’arbitraire.
1951 : Devient avocat au barreau de Paris.
1965 : S’associe avec Jean-Denis Bredin et fonde le cabinet Badinter, Bredin et partenaires.
1972 : Défend Roger Bontems, condamné à mort et exécuté malgré ses plaidoiries. Ce procès devient un tournant dans son combat contre la peine capitale.
1977 : Plaide avec succès pour l’écrivain Patrick Henry, évitant la condamnation à mort de son client.
1981 (juin) : Nommé garde des Sceaux, ministre de la Justice, dans le gouvernement de François Mitterrand.
1981 (17 septembre) : Défend le projet de loi d’abolition de la peine de mort à l’Assemblée nationale.
1981 (9 octobre) : Promulgation de la loi abolissant la peine capitale en - 1983-1986 : Ministre de la Justice, il conduit d’importantes réformes pénales et judiciaires.
1986-1995 : Président du Conseil constitutionnel. Il contribue à renforcer le rôle de l’institution et à consacrer des principes fondamentaux à valeur constitutionnelle.
2005 : Participe activement à la campagne pour l’abolition universelle de la peine de mort.
2007 : Devient membre de la Commission pour la réforme du Conseil de sécurité de l’ONU.
2011 : Plaide pour l’abolition de la peine capitale à l’échelle mondiale, en particulier lors du 30e anniversaire de la loi française.
2024 (9 février) : Décès à l’âge de 95 ans.
2025 (9 octobre) : Entrée au Panthéon, jour anniversaire de la loi de 1981.
Photo en logo : Affiche Robert Badinter, la justice au coeur ©️ CMN


