Effet d’aubaine, l’assuré Euroformula a vu son affaire traiter par la Cour d’appel de Bourges. Quand la Cour de cassation se tait [1], c’est la décision de Bourges qui tranche. Or, dans son arrêt du 2 mai 2024 [2], Bourges reproche au tribunal d’avoir « interprété de manière restrictive les conditions de garantie », alors que « sauf à dénaturer la substance contractuelle », « n’était pas expressément exclue […] la survenance d’une perte d’exploitation comme étant la conséquence de faits immatériels au titre desquels doit être rangé le confinement ».
L’assuré Lacme avait le premier réussi l’examen. Quand le 9 novembre 2023 [3], la cour avait jugé « c’est par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, que l’ambiguïté des termes des clauses litigieuses rendait nécessaire, que la cour d’appel a jugé que sont garanties les pertes d’exploitation non consécutives à des dommages subis par les biens de l’entreprise », la garantie des immatériels non consécutifs semblait acquise sur ce contrat. Se trouvait approuvé l’heureux arrêt de la formation civile de la Cour d’appel d’Angers [4] qui ajoutait que « les biens, au sens de l’article 7, comprennent tous les éléments mobiliers et immobiliers qui composent le patrimoine, en ce compris les biens incorporels tels que les droits, les brevets, les licences, la clientèle, et il n’y a pas lieu d’interpréter cette clause comme se limitant aux biens énumérés à l’article 3 ».
Manque de chance, entre deux décisions favorables, il peut y avoir un fossé où abandonner les autres assurés à un sort diamétralement opposé.
Quand ce même 18 septembre 2025, la Cour de cassation se tait pour Satim [5] ou Plastyl [6], la Cour d’appel de Poitiers se voit autoriser à juger à l’inverse : « l’article 7 […] exprime que le contrat garantit les dommages aux biens » [7].
Pour Plein Air [8], soumis à la formation commerciale et de la Cour d’appel d’Angers, on retiendra que certes « contrairement à ce que soutient Axa, il ne résulte pas de l’article 7 qui n’y renvoie pas […], que ne seraient garanties que les pertes d’exploitation liées à un dommage affectant exclusivement les biens énoncés aux articles 1er ou 3 », certes, sont garanties « les pertes consécutives ou non ayant pour origine un évènement non exclu ce qui doit s’entendre comme pouvant être non consécutives à des dommages aux biens matériels assurés », néanmoins, « le contrat ne couvre les dommages que s’ils sont subis par l’ensemble et la généralité des biens étant rappelé que la perte d’exploitation est un dommage or l’activité n’est pas un bien » [9].
Il y a 9 mois, la Cour de cassation s’était pareillement tue pour Virages Automobiles [10], consacrant un revirement par le silence au regard de l’arrêt Lacme, puisque Versailles jugeait que « il ne résultait pas du contrat qu’il tendrait à proposer une garantie autonome pour les pertes d’exploitation, indépendamment des biens assurés » listés dans l’article 3 du contrat [11].
Dénonçant une différence de traitement inacceptable en France entre des assurés soumis à une même loi, celle des parties mais contenue dans un contrat générique, Virages automobiles a déposé une requête devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Si la Cour de cassation a repris sa copie, le 3 avril 2025 [12], dans une affaire où « la société GP Info finances faisait chagrin à l’arrêt de la cour d’appel de la débouter », ce ne fut que pour faire mine de motiver. « C’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation […] que la cour d’appel, procédant à une interprétation du sens et de la portée des articles 4 et 7 des seules conditions particulières que l’ambiguïté de leurs termes rendait nécessaire, […] a retenu que le contrat ne prévoyait pas une garantie autonome des pertes d’exploitation sans lien avec les biens assurés ». La Cour d’appel d’Orléans, si peu convaincue par la Cour de cassation, a préféré revenir d’autorité sur sa propre jurisprudence, et elle juge désormais par revirement du 16 octobre 2025 [13]. que : « les parties n’ont pas entendu subordonner la garantie du risque pertes d’exploitation à la réalisation d’un dommage préalable et que l’expression “l’ensemble et la généralité des biens” — qui exclut toute limitation — doit s’entendre comme dépassant les seuls biens matériels pour recouvrir le champ plus large de l’entité entreprise assurée ».
Se cacher derrière le pouvoir souverain des juges du fond sans écrire qu’ils jugent que des pertes consécutives « ou non » doivent être consécutives, quelle prouesse !
Le 18 septembre 2025, la vanne aux Rejets Non Spécialement Motivés (RNSM) est rouverte. Frais et pertes consécutifs ou non - immatériels purs - immatériels consécutifs à un dommage matériel non garanti, ensemble et généralité des biens – garantis - assurés - de l’assuré. Chacun pioche ce qui l’arrange pour choisir le sens d’une même juxtaposition de mots.
Comme il est plus simple de débouter au premier mot(if) que de condamner en motivant, le calcul est vite fait pour une justice aux moyens sacrifiés. Assurément, ça valait le coup d’attendre que le hasard se charge de décider.
L’aléa ne régit plus seulement le contrat d’assurance, il régit aussi l’application du droit des assurances sous les auspices de la 2e chambre civile.
Faut-il craindre que la carte de France des affinités de nos juridictions, que certains avaient commencé de dessiner en 2021, ou pire, la facilité d’un rejet, devienne le critère déterminant l’issue d’un litige contre un assureur ?
I. La crise sanitaire : une occasion manquée de faire du droit en assurance.
Le droit des assurances a connu ses plus nettes évolutions au gré des grandes catastrophes naturelles et humaines de l’histoire moderne.
Dans une matière où la liberté contractuelle pourrait en théorie générer autant de cas particuliers qu’il y a d’assurés sinistrés, la multiplication de dossiers similaires conduit à affiner les analyses juridiques. Tout devient plus clair, pour traiter le présent et régir l’avenir.
Le tremblement de terre de San Francisco du 18 avril 1906 et les incendies qui ont suivi, marquent encore aujourd’hui l’architecture des contrats d’assurance de choses et leur interprétation [14].
Il aurait pu en aller de même après la crise sanitaire de la covid-19.
L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution s’était mobilisée en urgence pour un état des lieux le 23 juin 2020, certes frileux puisque n’identifiant pas les contrats sous-jacents et donc les assurés concernés, mais qui avait au moins le mérite d’acter qu’au-delà de la variété de situations, « près de 3% des assurés couverts par les contrats analysés peuvent prétendre à une indemnisation. Tel est notamment le cas lorsque le contrat garantit les pertes d’exploitation quelle qu’en soit la cause et ne comporte aucune exclusion du risque pandémique », semblant désigner l’assurance « tous risques sauf ».
Dans certains pays, les juridictions supérieures ont repris les dossiers afin d’épargner aux justiciables comme aux juges, une multiplication de procédures coûteuses et chronophages [15].
Mais, un tel pragmatisme était-il possible en France, quand le ministre de l’Économie craignait que les pertes d’exploitation liées à la pandémie ne mettent en « péril l’équilibre économique d’un régime déjà fortement mobilisé ces dernières années par les sinistres naturels » [16] ; « péril » vite relativisé par les résultats exceptionnels des compagnies malgré le provisionnement obligatoire de tous les sinistres ouverts.
Pour sûr, en 2021, le « timing » était tendu. On se demande quelle aurait été la réaction de l’opinion publique et des juges du fond, si la Cour de cassation avait tranché comme aujourd’hui, avant la médiatique 2ᵉ vague transactionnelle d’Axa, avant que France Assureur ne loue les contributions de ses adhérents au fonds de solidarité, et avant que le Français ne soit de nouveau libre de se ruer sur les terrasses pour tout oublier.
Les juges du fond ont donc dû se positionner, seuls pendant plus de deux années, sur un enjeu médiatique exaltant les plus vives passions [17].
Puis la Cour de cassation a « sévèrement douché les espoirs des commerçants ayant souscrit le contrat multirisque professionnelle Axa » [18].
Lorsqu’elle a enfin accepté de s’exprimer, la Cour de cassation devait apprécier une exclusion des « pertes d’exploitation, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelles que soient sa nature et son activité, fait l’objet, sur le même territoire départemental que celui de l’établissement assuré, d’une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique », formulant valablement selon Axa une exclusion des fermetures collectives.
Rappelons qu’en 2009, « la fermeture des établissements scolaires était l’une des premières mesures à envisager en cas de pandémie grippale » [19].
Pourtant, en 2022, plutôt que de voir une exclusion ambigüe surtout quand le contrat garantit expressément les épidémies, la Cour de cassation a jugé que cette clause, décrivant à demi-mot la préconisation de l’OMS de fermer les écoles en cas de pandémie, emportait exclusion des fermetures collectives [20].
Gageons que si ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, sauf à ne pas vouloir le dire aisément, le rédacteur du contrat eût été mieux avisé d’employer des mots simples : « exclusion des fermetures collectives », voire « exclusion des pandémies ». C’est même ceux qu’il emploiera lors des renouvellements de janvier 2021.
Par-delà les subtilités sémantiques sur les épidémies de gastroentérites auxquels les assurés devaient comprendre que leur garantie était limitée (défense d’Axa qui l’avait tout de même conduite par sécurité à ouvrir des fenêtres transactionnelles avec l’aval d’une réassurance visiblement pas si convaincue que cela de pouvoir échapper à sa garantie), il n’y avait rien d’invraisemblable à ce qu’un assureur qui s’était engagé à couvrir les fermetures pour maladies contagieuses et épidémies, soit condamné à indemniser ces fermetures en cas de pandémie, évènement non expressément exclu. Mais, la Cour de cassation a jugé le contraire.
En forçant aussi ostensiblement la justice à fermer les yeux sur les termes exacts du contrat, le juge de l’« harmonisation de la jurisprudence et de la pratique judiciaire » a donné le ton pour la suite.
Les quelques juges du fond qui avaient eu le courage de donner raison aux assurés ont tourné la page.
Et la Cour de cassation se satisfait de cette orientation générale en faveur des assureurs, ponctuée parfois d’exceptions.
Après l’arrêt Lacme contrebalancé le même jour par l’arrêt Martineau [21], il a fallu attendre l’arrêt Helen Traiteur du 25 janvier 2024 [22] pour que la Cour de cassation daigne motiver, en faveur des assurés, une première décision covid-19 sur une problématique de droit des assurances qu’elle ne pouvait à l’évidence pas trancher différemment.
Si certains auteurs réduisent les failles rédactionnelles de l’exclusion écartée, à l’usage de la conjonction de coordination « lorsque », rappelons que, même en faisant fi des règles de grammaire, de conjugaison et de syntaxe, si les mots ont un sens, « la fermeture consécutive à une fermeture collective […] lorsque la fermeture est la conséquence d’une violation à la règlementation […] » décrit le cas des restaurants enfreignant les règles d’interdiction d’accueil du public (en servant un café pendant l’activité partielle de vente à emporter), sanctionnés par une fermeture totale, laquelle était alors exclue. Rien à voir avec une « exclusion des fermetures collectives ».
Récemment enfin, la Cour de cassation avait analysé le contrat Acm [23], jugeant que l’interdiction d’accueil du public caractérisait l’évènement garanti « mesure d’interdiction d’accès émanant des autorités ».
Lacme, Helen, Murphy, ces exceptions n’auront pas inversé la tendance sur les "tous risques sauf".
L’arrêt de cassation de décembre 2022 a fait l’effet d’un pavé dans la mare, marquant un tournant devant les juges du fond, soit qu’ils prennent pour un dogme régissant tous les sinistres covid le premier positionnement pro-assureur du juge du droit, soit qu’ils aspirent à ce que leurs juridictions, débordées, puissent reprendre le cours normal des autres dossiers.
Les décisions favorables aux restaurateurs assurés Axa [24] d’autant plus louables qu’elles affrontaient l’ire d’une doctrine consultée à titre onéreux par les plus grosses compagnies, se sont progressivement taries sur tous les sinistres covid.
Le caractère inassurable du risque pandémique, « allégation fantaisiste » d’Axa [25] contredite par l’ACPR en juin 2020, s’est alors offert une nouvelle jeunesse.
C’est l’inassurabilité des immatériels non consécutifs qui a pris le relais, à travers une acception stricte des évènements garantis dans les contrats à périls nommés (en pratique toujours mis en lien avec un dommage matériel préalable), complétée d’un refus implacable de voir une fermeture partielle chez les hôteliers étoilés dont étaient interdits aux clients tous les espaces communs (pourtant indispensables aux standards contractualisés de l’hébergement garanti), outre en « tous risques sauf » une condition nouvelle exigée ex nihilo de preuve d’une atteinte palpable avant tout dommage économique (aboutissant à soustraire les immatériels purs des immatériels non consécutifs garantis).
En fin de chaîne, ont commencé de fleurir les rejets non spécialement motivés, ou si peu motivés.
II. Les Rejets Non Spécialement Motivés (RNSM) : l’oraison funèbre low cost des derniers dossiers covid.
Dans un éditorial, le professeur Kullmann relevait que « la proportion des Rnsm tend à augmenter constamment » [26].
Avec le rejet non spécialement motivé, l’affaire est « balayée par une formule plus que sibylline ».
Si l’auteur « comprend le souhait de la Cour de cassation de ne pas perdre de temps à s’occuper de pourvois indéniablement stériles », les choses ne sont pas toujours aussi simples, ce qu’illustrent cette année les dossiers covid « tous risques sauf ».
Tous les assurés ont en commun d’avoir subi d’importantes pertes à cause de l’impact de la crise sanitaire sur leur exploitation, portant atteinte à leur organisation interne, à la masse salariale, aux performances, aux états financiers, à la trésorerie, à la réputation auprès des organismes financiers et à tous ces actifs immatériels indispensables au maintien de la marge brute et de l’activité garanties.
Tous ces assurés ont souscrit par l’intermédiaire d’un courtier un contrat « tous risques sauf », dont la particularité est de couvrir tout ce qui n’est pas expressément exclu.
Tous ces assurés disposent d’une garantie « fourre-tout » des pertes d’exploitation non-consécutives à des évènements expressément identifiés par ailleurs, plafonnée au sein d’un article 4 E à un montant inférieur à celui prévu pour les autres garanties, mais néanmoins non négligeable.
C’est la mise en œuvre de cette garantie très particulière, limitée dans son montant mais en contrepartie illimitée dans son périmètre, en accord avec la catégorie d’assurance « tous sauf », que sollicitaient mesurément les assurés.
En 2025, tous les assurés sauf un se voient débouter, quand en 2023, l’assuré était indemnisé.
La Cour de cassation ferme les yeux sur les arrêts d’appel refusant la garantie des pertes non consécutives, quand en 2023, la Cour de cassation approuvait la cour d’appel de retenir la garantie des « perte d’exploitation non consécutive à des dommages subis par les biens de l’entreprise ».
Les revirements s’opèrent par le silence, et une vérité en deçà des Pyrénées peut être une erreur au-delà.
La plus haute juridiction de l’ordre judiciaire français ne remplit pas son rôle. Après avoir attendu avec indifférence que chaque assuré atteigne péniblement sa hauteur, elle ne permet pas une unification du droit, elle ne veille pas à l’égal accès de tous à la justice, et elle préfère laisser les assurés, leurs avocats et les juges du fond dans l’incompréhension.
Il n’est pas acceptable que le système judiciaire d’un État de droit autorise une telle insécurité juridique.
À moins que la démarche ne soit plus proactive qu’elle n’y paraît … que la Cour de cassation ne se soit décidée à suivre furtivement, mais scrupuleusement les recommandations de son avocat Général qui, la veille de l’audience opposant Lacme aux MMA, s’était littéralement ému de l’enjeu pour Axa et Allianz : « on peut néanmoins observer que, comme les précédentes affaires qui concernaient la société Axa, le présent pourvoi représente un enjeu important puisqu’on peut supposer que de nombreux contrats ont été souscrits (il semblerait que la police soit commune à d’autres assureurs tels que la société Allianz ou la société Axa) ».
Serait-ce l’avenir de la Justice ? Lenteur, lobbying, puis équité toute relative, quand on accède enfin aux sphères suprêmes que les PME ne parviennent que très péniblement à rejoindre ?
Car paradoxalement, le même 18 septembre 2025, tout en procédant aux RNSM sur les contrats "tous risques sauf", la Cour de cassation procède à l’interprétation in favorem de l’interdiction d’accès initiée sur le contrat ACM en avril 2025 dans le cadre des contrats AXERIA et AREAS [27].
III. Les « frais et pertes consécutifs ou non » ne sont pas des immatériels consécutifs à l’atteinte d’un bien.
Reprenons les stipulations qui méritaient d’être débattues.
En droit, rien n’interdit la garantie des immatériels purs. La couverture des pertes d’exploitation après fermeture administrative le prouve. Si les auteurs n’ont pas été scandalisés d’une confusion entre dommage et garantie pour les contrats à périls nommés, on ne voit pas pourquoi deviendrait scandaleuse la garantie des pertes sans atteinte à un bien dans un contrat « tous risques sauf ».
Le cœur du débat est donc d’apprécier si le contrat couvre les pertes d’exploitation covid, eu égard à son objet défini dans un article 7 garantissant :
« les dommages, les recours, les responsabilités, les frais et pertes consécutifs ou non, subis par l’ensemble et la généralité des biens ayant pour origine un évènement non exclu ».
La rédaction est maladroite, mais pas au point de lui faire dire le contraire de ce qui est écrit.
« L’ensemble et la généralité des biens » illustre le souci du rédacteur d’être le plus englobant possible, mais avec des termes aux contours juridiques incertains. Empêtré, il a toutefois pris soin de ne pas qualifier limitativement les biens. Ni matériels, ni garantis, ni assurés, ni de l’assuré, quoique systématiquement, les avocats des assureurs aient la langue qui fourche en plaidoirie et qualifient ainsi les biens.
Cette proposition est rattachée aux dommages, aux recours, aux responsabilités et aux frais et pertes. Heureux celui qui donnera un exemple de « recours » et de « responsabilité » « subis par l’ensemble et la généralité des biens ». Donner à des mots imprécis un sens strict, viderait le contrat de son objet pour au moins deux garanties.
Le même article 7 ajoute
« qu’en cas divergence entre les différents textes, il sera toujours fait application des dispositions les plus favorables à l’assuré ».
Pour y échapper, les conseillers rapporteurs expliquent qu’il n’y a pas de divergence entre l’article 7 et les autres articles du contrat, et donc pas matière à une application in favorem. Or, la divergence est dans l’article 7 lui-même : exiger un dommage préalable à un bien, c’est contraire au texte « consécutif ou non ».
Surinterpréter le second texte, impose de faire prévaloir « frais et pertes consécutifs ou non » (incluant clairement les immatériels non consécutifs) sur « subis par l’ensemble et la généralité des biens » (déformée en garantie consécutive à une atteinte à un bien), d’autant qu’à défaut, tout ceci deviendrait absurde pour les « recours » ou « responsabilités ».
À supposer néanmoins une application « in defavorem » de l’expression litigieuse, l’exigence d’atteinte préalable à un bien dénature forcément la garantie claire et insusceptible d’interprétation des « frais et pertes consécutifs ou non ».
Peu importe que la notion d’immatériels non consécutifs soit plus couramment
utilisée en assurance responsabilité : le rédacteur du contrat l’a employée ici pour qualifier les pertes d’exploitation, qu’il a encore pris soin ensuite de définir aux Conditions Spéciales, par dérogation aux Conditions Générales C8, en supprimant « qui sont la conséquence directe des dommages matériels causés par les évènements garantis dans les lieux désignés aux conditions particulières ». En effet, toujours dans la logique d’un périmètre large propre à la typologie de l’assurance "tous risques sauf", la définition de la garantie "pertes d’exploitation" a été élargie dans un titre "6-Dispositions relatives à la garantie pertes d’exploitation" stipulant "la compagnie d’assurance garantit le paiement d’une indemnité correspondant aux pertes d’exploitation résultant, pendant la période d’indemnisation prévue à l’article 6 des Conditions particulières :
- de la baisse du chiffre d’affaires causée par l’interruption et/ou la réduction d’activité de l’entreprise et/ou du groupe assuré,
- de l’engagement de frais supplémentaires d’exploitation" sans autre condition, c’est-à-dire en faisant le choix de supprimer la condition des CG FFSA C8 de lien avec des dommages matériels préalables.
La boucle est bouclée : le contrat avait bien une cohérence d’ensemble permettant l’assurance des pertes non consécutives c’est-à-dire des immatériels purs dès lors que l’événement à l’origine des dommages était bien aléatoire et non exclu (ici la pandémie et/ou les mesures sanitaires prises par les autorités) dans le respect de la notion d’intérêt à l’assurance permettant à "toute personne ayant intérêt à la conservation d’une chose de la faire assurer" (article L121-6 du Code des assurances), avec une volonté manifeste des parties de traiter
l’exploitation, la masse salariale, la productivité, la trésorerie, les activités (d’ailleurs reprises à l’article 2 des conditions particulières avec "toutes les activités annexes et/ou connexes nécessaires à l’exploitation de l’entreprise le tout sans exception ni réserve") et "l’intégralité de sa marge brute" (également déclarée garantie à l’article 2).
Alors, comment la Cour de cassation peut-elle ici se retrancher derrière le pouvoir souverain des juges du fond ?
Il en résulte :
- Non seulement une justice à géographie variable (pour le moment favorable aux assurés à Angers chambre civile et Bourges, favorable aux assureurs à Angers chambre commerciale, Poitiers, Orléans et Versailles),
- Mais aussi, une justice à assureur variable (favorable à Allianz et Axa visés par l’Avocat général en 2023, défavorable aux ACM, à AXERIA et AREAS).
La covid-19 aura marqué les esprits en France, certainement pas comme un pas de géant pour le droit des assurances, mais un progrès certain pour le lobbying, activité légale que tous ne peuvent pas s’offrir.


