Cette position marque une évolution notable de la jurisprudence, qui tend désormais à ériger la confidentialité en valeur protégée en soi, indépendamment de tout usage effectif.
Toutefois, si la faute semble désormais aisée à retenir, la question du préjudice réparable demeure largement incertaine. L’arrêt soulève ainsi un paradoxe : faut-il indemniser une faute “préventive”, commise sans exploitation effective ni dommage concurrentiel avéré ?
1. Les faits et la décision : une faute sans utilisation, mais pas sans déloyauté.
Un ancien vice-président d’association avait transmis à son futur associé la balance comptable interne de cette association, avant de créer un événement concurrent. La cour d’appel avait écarté toute faute, estimant le document succinct et sans valeur stratégique.
La Cour de cassation casse l’arrêt par un attendu lapidaire : la simple détention d’un document confidentiel suffit à caractériser la faute.
Cependant, le contexte est déterminant : le document provenait d’un ancien dirigeant, tenu à une obligation légale de loyauté, qui avait eu accès aux informations confidentielles au cours de son mandat.
Ce n’est donc pas une détention “innocente” que la cour sanctionne, mais bien une détention issue d’un acte initialement déloyal. Il apparaît que c’est cette provenance fautive qui donne sa gravité à la détention, et justifie la sanction.
2. Une qualification incertaine : vers une faute autonome ?
Traditionnellement, la jurisprudence rattache les comportements déloyaux à plusieurs catégories :
- le risque de confusion,
- la désorganisation,
- le dénigrement,
- les pratiques commerciales interdites ou déloyales ;
- ou encore le parasitisme économique.
Le manquement sanctionné ici - la détention passive d’un document confidentiel obtenu de manière déloyale - ne s’inscrit pas parfaitement dans ces cadres.
Faut-il y voir une faute autonome, fondée sur la violation du principe général de loyauté ou une forme dérivée de parasitisme, consistant à tirer profit d’informations indûment acquises, sans pour autant les exploiter directement ?
La cour semble privilégier une approche préventive : il ne s’agit pas d’attendre que la concurrence soit faussée pour réagir, mais de sanctionner la rupture du lien de confiance qui fonde la loyauté entre acteurs économiques.
3. Une tendance confirmée : la loyauté commerciale comme exigence préventive.
Cette décision s’inscrit dans la continuité de l’arrêt de la chambre commerciale du 7 décembre 2022 (n° 21-19.860), qui avait déjà jugé fautive la détention d’un fichier de clientèle par un ancien salarié, même non exploité.
La nouveauté réside ici dans la généralisation de ce raisonnement à tout document confidentiel, quel qu’en soit le contenu et peu important que celui-ci soit ou non stratégique - dès lors qu’il a été obtenu dans des conditions contraires à la loyauté.
Il s’agit d’une conception préventive et morale de la concurrence déloyale : la faute naît non pas d’un préjudice ou d’un usage, mais du manquement à l’obligation de loyauté. En d’autres termes, la cour place le comportement au centre de l’analyse, davantage que l’effet concurrentiel.
4. Une question clé laissée ouverte : quelle indemnisation ?
Comme souvent en matière de concurrence déloyale, c’est au moment de calculer l’indemnisation du préjudice que le bas blesse.
C’est d’ailleurs sur ce point que la portée pratique de l’arrêt devient incertaine. La faute est caractérisée, certes, mais quel est le préjudice subi et comment doit être calculée l’indemnisation ?
Plusieurs pistes sont envisageables, le préjudice pourrait ainsi consister en :
- Un préjudice moral "présumé", inhérent à l’existence d’actes de concurrence déloyale [1], lié à la violation du principe de loyauté et à la perte de confiance entre partenaires économiques ;
- Un avantage concurrentiel indu, dans la logique du parasitisme, supposé résulter de la possession d’informations confidentielles obtenues sans investissement.
Il parait en tout état de cause très improbable que la simple détention d’une information, sans utilisation, puisse justifier une indemnisation pour perte subie ou gain manqué.
L’indemnisation pourrait alors se limiter à une réparation symbolique, voire à une constatation de la faute sans indemnisation à défaut de caractériser l’existence d’un préjudice en découlant.
La cour d’appel de renvoi devra précisément répondre à la question de savoir si la seule atteinte à la loyauté suffit à ouvrir droit à réparation ?
Conclusion.
En érigeant la confidentialité en valeur protégée indépendamment de toute exploitation, la Cour de cassation consacre une conception exigeante et préventive de la loyauté commerciale. Derrière la portée symbolique de cette décision, c’est bien l’origine déloyale de la détention qui apparaît comme le véritable fondement de la faute.
Ainsi, la cour rappelle qu’en matière de concurrence, la loyauté ne se mesure pas seulement aux actes visibles de concurrence, mais aussi à l’intégrité des moyens employés pour se préparer à la compétition.



