Le sort des actions gratuites du salarié en cas de licenciement abusif.

Par Xavier Berjot, Avocat.

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Explorer : # actions gratuites # licenciement abusif # perte de chance # indemnisation

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L'article traite de l'attribution gratuite d'actions aux salariés et dirigeants, soumise à une période d'acquisition et à des conditions de présence. En cas de licenciement abusif, le salarié ne peut obtenir les actions ni être reconnu actionnaire, mais il peut être indemnisé pour perte de chance.
Description rédigée par l'IA du Village

La Cour de cassation dans son arrêt du 26 février 2025 n° 23-15.072 vient de rappeler le régime juridique applicable aux actions gratuites en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse intervenu pendant la période d’acquisition.

Cette décision clarifie l’étendue des droits du salarié à l’égard de ce mécanisme d’intéressement au capital de l’entreprise.

-

1. Le cadre juridique de l’attribution gratuite d’actions.

1.1. Le mécanisme d’attribution gratuite d’actions.

Le dispositif d’attribution gratuite d’actions est prévu par les articles L225-197-1 et suivants du Code de commerce pour les sociétés par actions, cotées ou non (SA, SAS et SCA), et constitue un élément significatif de la politique de rémunération différée.

Ce mécanisme permet d’attribuer gratuitement des actions aux salariés et, sous certaines conditions, aux dirigeants mandataires sociaux de l’entreprise, dans les limites fixées par l’assemblée générale extraordinaire (AGE).

L’attribution n’est définitive qu’à l’issue d’une période dite "d’acquisition" d’une durée minimale d’un an pour les attributions autorisées depuis le 8 août 2015 [1].

Cette période peut être prolongée selon la décision de l’AGE autorisant l’attribution.

Pendant cette période d’acquisition, le bénéficiaire ne dispose que d’un simple droit de créance conditionnel et n’est pas encore propriétaire des titres.

Il ne devient propriétaire qu’au terme de cette période, à condition que les critères d’attribution définitive soient remplis.

L’existence de ces critères, notamment de performance économique de l’entreprise ou d’objectifs individuels, peut s’ajouter à la condition de présence et complexifier davantage l’analyse en cas de rupture du contrat de travail [2].

1.2. Les clauses de présence dans les plans d’attribution.

Les règlements des plans d’attribution prévoient fréquemment que le bénéfice définitif des actions est subordonné à la condition de présence du salarié dans l’entreprise à l’issue de la période d’acquisition, clause qualifiée de "condition suspensive" au sens du droit civil.

La jurisprudence a confirmé la validité de telles clauses, considérant qu’elles ne constituent pas, en soi, une atteinte aux libertés et droits fondamentaux du salarié [3].

Il faut toutefois distinguer selon la nature de la clause.

Une clause de présence inconditionnelle qui fait obstacle à l’acquisition définitive des actions en cas de rupture du contrat de travail, quelle qu’en soit la cause, est considérée comme valable.

Cependant, la validité d’une telle clause n’est pas sans limite.

En effet, par analogie avec les clauses des plans de stock-options, une clause qui constituerait une sanction pécuniaire déguisée, comme celle qui priverait le salarié licencié pour faute grave du bénéfice des actions gratuites, pourrait être réputée non écrite conformément à l’article L1331-2 du Code du travail [4].

Ainsi, en principe, la rupture du contrat de travail résultant d’un licenciement fait généralement obstacle à l’attribution définitive des actions gratuites, sans qu’il y ait lieu de distinguer selon la qualification du licenciement, sous réserve qu’il ne s’agisse pas d’une sanction pécuniaire déguisée.

2. L’indemnisation du salarié licencié abusivement.

2.1. Le principe de la perte de chance.

En cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse intervenu avant le terme de la période d’acquisition, le salarié ne peut prétendre à l’attribution définitive des actions gratuites, la condition de présence n’étant pas remplie de facto.

La Cour de cassation a rappelé, dans son arrêt du 26 février 2025, que le salarié licencié sans cause réelle et sérieuse avant le terme de la période d’acquisition d’actions gratuites ne peut prétendre qu’à l’indemnisation de la perte de chance d’acquérir définitivement ces actions.

Il s’agit d’une application du droit commun de la responsabilité civile contractuelle.

Cette solution s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence antérieure, la Cour de cassation ayant déjà jugé que le salarié qui n’a pu, du fait de son licenciement sans cause réelle et sérieuse, recevoir les actions gratuites qui lui avaient été attribuées de manière différée, subit une perte de chance qui doit être indemnisée [5].

La qualification de "perte de chance" est juridiquement significative car elle implique un préjudice spécifique, distinct du préjudice résultant directement du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

C’est un préjudice autonome qui s’analyse comme la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable, en l’occurrence la possibilité d’acquérir définitivement des actions gratuites à l’issue de la période d’acquisition [6].

2.2. L’impossibilité d’obtenir la reconnaissance de la qualité d’actionnaire.

Le salarié licencié abusivement ne peut pas prétendre à l’attribution définitive des actions ni à la reconnaissance de sa qualité d’actionnaire, nonobstant le caractère injustifié de son licenciement.

La Cour de cassation a clairement affirmé cette position dans son arrêt du 26 février 2025, censurant ainsi une cour d’appel qui avait considéré que l’accomplissement de la condition tenant au maintien du salarié dans les effectifs pendant la période d’acquisition, empêché par le licenciement injustifié, devait être réputé accompli.

Cette solution, qui peut paraître sévère, s’explique par la nature même du mécanisme d’attribution gratuite d’actions, qui est un système d’association des salariés au capital de l’entreprise, distinct de la rémunération stricto sensu.

En outre, elle s’inscrit dans une logique de protection du capital social et des droits des actionnaires existants, qui ne sauraient être affectés par des décisions judiciaires susceptibles de modifier la répartition du capital.

La Cour de cassation écarte ainsi l’application de l’article 1304-6 du Code civil selon lequel la condition est réputée accomplie lorsque c’est le débiteur, obligé sous cette condition, qui en a empêché l’accomplissement.

La chambre sociale considère implicitement que cette fiction juridique ne peut s’appliquer en matière d’attribution gratuite d’actions, compte tenu de la spécificité de ce dispositif d’intéressement au capital.

2.3. L’évaluation de la perte de chance.

L’évaluation du préjudice résultant de la perte de chance d’acquérir définitivement les actions gratuites relève de l’appréciation souveraine des juges du fond [7], qui doivent procéder à une analyse circonstanciée tenant compte de multiples facteurs.

Toutefois, la jurisprudence a précisé que la réparation d’une perte de chance ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée [8].

En d’autres termes, l’indemnisation ne peut correspondre à la valeur totale des actions que le salarié aurait pu acquérir, mais doit être proportionnée à la probabilité de réalisation de cette chance.

Pour évaluer ce préjudice, les juges du fond prennent généralement en considération plusieurs éléments, notamment :

  • La probabilité que le salarié soit resté dans l’entreprise jusqu’au terme de la période d’acquisition en l’absence de licenciement injustifié ;
  • La probabilité que les autres conditions d’attribution définitive, notamment les conditions de performance, aient été remplies ;
  • L’évolution prévisible du cours de l’action entre la date du licenciement et la date théorique d’attribution définitive ;
  • La durée restant à courir jusqu’au terme de la période d’acquisition au moment du licenciement.

Cette approche probabiliste implique nécessairement une part d’aléa dans l’évaluation du préjudice, mais elle est conforme à la théorie juridique de la perte de chance, qui repose sur l’indemnisation d’une potentialité favorable disparue et non d’un avantage certain [9].

3. Le parallèle avec les stock-options.

3.1. Une solution identique pour les options d’achat d’actions.

La solution retenue pour les actions gratuites est similaire à celle applicable en matière d’options d’achat d’actions (stock-options), témoignant d’une volonté jurisprudentielle d’harmonisation du régime juridique des différents mécanismes d’intéressement au capital.

En effet, lorsque le salarié a été privé de la possibilité de lever les options d’achat d’actions qui lui avaient été attribuées en raison de son licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’employeur doit lui verser des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi [10].

Le salarié ne peut pas obtenir la levée des options, qui sont définitivement perdues [11].

La Cour de cassation a clairement indiqué que "la clause d’un plan d’options d’achat d’actions prévoyant la caducité des options en cas de licenciement du bénéficiaire fait obstacle à l’exercice de ce droit sans qu’il y ait lieu de distinguer selon la qualification du licenciement" [12].

Cette similitude de traitement entre les stock-options et les actions gratuites s’explique par la proximité conceptuelle des deux mécanismes, tous deux destinés à associer les salariés au capital de l’entreprise et soumis à des conditions de présence similaires.

Toutefois, une différence notable réside dans le fait que les stock-options impliquent un investissement financier du salarié lors de la levée de l’option, tandis que les actions gratuites sont, comme leur nom l’indique, attribuées sans contrepartie financière.

3.2. L’invalidité des sanctions pécuniaires.

Il convient de noter que la privation de la faculté de lever les options en cas de licenciement pour faute grave constitue une sanction pécuniaire prohibée qui ne peut pas être prévue par le plan de stock-options [13].

En effet, les amendes ou autres sanctions pécuniaires sont interdites et toute disposition ou stipulation contraire est réputée non écrite [14].

La Chambre sociale a ainsi considéré qu’une clause visant spécifiquement à sanctionner un comportement fautif du salarié par la perte d’un avantage financier ne pouvait être valable.

Cette règle s’applique par analogie aux plans d’attribution gratuite d’actions, bien qu’aucun arrêt ne l’ait encore expressément confirmé pour ce type spécifique de mécanisme d’intéressement.

L’invalidité de telles clauses résulte de la prohibition générale des sanctions pécuniaires en droit du travail, conçue comme un dispositif d’ordre public de protection.

Il faut cependant distinguer entre la clause qui prive automatiquement le salarié du bénéfice des actions gratuites en cas de licenciement, quelle qu’en soit la cause (clause de présence inconditionnelle), qui est valable, et celle qui prévoit spécifiquement cette privation en cas de licenciement pour faute grave ou lourde (sanction pécuniaire), qui serait réputée non écrite.

En pratique, cette distinction peut créer des situations paradoxales où un salarié licencié pour faute grave pourrait se prévaloir de l’invalidité de la clause de déchéance spécifique à ce motif, alors qu’un salarié licencié pour simple cause réelle et sérieuse ne pourrait pas contester l’application d’une clause de présence générale.

Xavier Berjot
Avocat Associé au barreau de Paris
Sancy Avocats
xberjot chez sancy-avocats.com
https://bit.ly/sancy-avocats
LinkedIn : https://fr.linkedin.com/in/xavier-berjot-a254283b

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Notes de l'article:

[1C. com. art. L225-197-1, I, al. 6.

[2Cass. soc. 22-1-2014, n° 12-24.163.

[3Cass. soc. 20-10-2004, n° 02-41.860.

[4Cass. soc. 21-10-2009, n° 08-42.026, applicable par extension aux attributions gratuites d’actions.

[5Cass. soc. 1er avril 2015, n° 13-26.706 ; Cass. soc. 7 février 2018, n° 16-11.635.

[6Cass. soc. 29-9-2004, n° 02-40.027, applicable par analogie.

[7Cass. soc. 22-1-2014, n° 12-24.163.

[8Cass. soc. 18-5-2011, n° 10-12.043.

[9Cass. soc. 16-5-2007, n° 05-42.885.

[10Cass. soc. 29-9-2004, n° 02-40.027 ; Cass. soc. 19-11-2014, n° 13-22.686.

[11Cass. soc. 1-12-2005, n° 04-41.277 ; Cass. soc. 2-2-2006, n° 03-47.180.

[12Cass. soc. 1-12-2005, n° 04-41.277.

[13Cass. soc. 21-10-2009, n° 08-42.026.

[14C. trav. art. L1331-2.

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