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Le versement d’une nouvelle prime exceptionnelle d’intéressement en question. Par Amélie Bruder, Docteur en droit
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Parution : lundi 18 avril 2011
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A l’aube de la réforme sur la fiscalité du patrimoine, une nouvelle mesure relative à l’intéressement est en question. En effet, selon les derniers échos médiatiques, une prime exceptionnelle de 1000 euros devrait être versée aux salariés dont l’entreprise verse des dividendes à ses actionnaires.
Cette mesure, si elle se concrétisait, apparaitrait regrettable à plus d’un titre. D’une part parce qu’elle s’ajouterait à d’autres mesurettes qui ont déjà été mises en place ces dernières années, en totale incohérence avec les mécanismes d’intéressement et de participation, beaucoup plus avantageux pour leurs bénéficiaires si on incite ces derniers à rendre indisponibles les sommes qui leur sont versées par l’entreprise. Au contraire, divers dispositifs ont été mis en place dans le but de compenser les pertes de pouvoir d’achat par le versement de sommes issues des mécanismes d’épargne salariale ou par des possibilités de déblocages exceptionnels de ces sommes. On rappellera en effet la mesure mettant en place le versement d’un supplément d’intéressement ou supplément de réserve de participation cas d’attribution d’actions gratuites ou de stock-options [1] et le déblocage exceptionnel de participation qui a été introduit par la loi du 3 décembre 2008 sur les revenus du travail.
Ces mesures, incohérentes avec l’esprit du système d’épargne salariale visant à associer les salariés aux résultats et performances de leur entreprise, ont clairement été mises en place pour combler des insuffisances de pouvoir d’achat. Or ceci est regrettable car il est bien évident que la dernière mesure en date ne pourra bénéficier à tous les salariés. En effet, comment feront les salariés dont l’entreprise n’a pas d’actionnaire et où aucun dividende ne sera versé ?
Par ailleurs et surtout, les mesurettes apparaissent regrettables dans la mesure où elles ne combleront pas durablement les problèmes de pertes de pouvoir d’achat. D’une part parce qu’une prime exceptionnelle de 1000 euros apparait dérisoire comparativement aux sommes versées sous forme de dividendes et apparait comme une bien timide augmentation de la rémunération eu égard à l’augmentation des prix telle qu’elle existe aujourd’hui. Enfin et surtout, cette mesure contribuerait une fois encore à une utilisation immédiate des sommes versées au lieu d’inciter les bénéficiaires de ces sommes à les laisser bloquées au sein de l’entreprise.
En réalité, il conviendrait d’adopter un système plus vaste sur les politiques de rémunérations qui peut se résumer, dans les grandes lignes, de la manière suivante :
Dans un système libéral où la financiarisation est légion, il faut, pour atteindre un système vertueux, modérer les salaires et favoriser les mécanismes de rémunération en capitalBruder [2] . Dans cette optique et si l’on fait ce choix, il convient donc d’être cohérent et de mettre en place un véritable système de compensation and benefit (rémunération et avantages sociaux) pour lesquels les entreprises, autofinancées par des investissements en capital participent au financement des systèmes de retraites et autres avantages visant à compenser les pertes de rémunérations rendues nécessaires par les investisseurs avides de rendements [3] .
Au contraire, un autre choix est possible si l’on souhaite augmenter le niveau des salaires fixes. En effet, il convient dans ce cas de moins recourir aux investisseurs et de refinancer certaines entreprises par l’endettement et non par un autofinancement qui se traduit aujourd’hui par le capital investissement. Autrement dit, il convient de refinancer l’économie réelle et de favoriser une reprise économique par la reprise de la consommation et des investissements, antinomique avec la rémunération de l’action et du capital et, par extension, avec le développement de systèmes d’assurances privées.
Ces deux systèmes, fort différents, supposent qu’un véritable choix soit opéré au profit de l’un ou de l’autre mais en aucun cas il ne convient d’utiliser des éléments d’un des systèmes dans l’autre système au risque d’entrainer, par manque de cohérence, un système de rémunération qui ne sera pas vertueux et donc destructeur économiquement. En effet, l’idée de mettre en place un système d’intéressement est de bloquer les sommes versées au sein de l’entreprise afin de participer au financement de cette dernière. Dès lors, les mécanismes fiscaux et sociaux incitant à ce blocage n’apparaissent favorables et vertueux que s’ils permettent de financer l’économie. Or, on se situe dans ce cas au sein d’un système d’autofinancement des entreprises qui suppose un blocage des sommes versées, et dans ce cadre, il convient, pour augmenter le pouvoir d’achat de mettre en place un système plus large de rémunération et d’avantages sociaux où l’intéressement ne constituera que l’une des pièces seulement.
En résumé, plutôt qu’une Nième mesurette destinée à satisfaire temporairement une partie de l’opinion, une véritable réflexion de fond devrait s’engager sur les systèmes de rémunérations. Ces systèmes sont complexes et contribuent au financement de l’économie et des entreprises. Or, dans un contexte de crise du financement encore bien présent, il convient plus que jamais de réfléchir à la façon dont nous voulons financer notre économie et, par extension, au type de rémunération dont nous souhaitons profiter, en capital ou en salaire fixe. Enfin, de ce système naitra aussi le mode de protection sociale dont nous voudrons bénéficier, sécurité sociale ou système d’assurances privées. Si le premier nécessite des salaires fixes plus élevés, le second suppose au contraire une politique de modération salariale.
Amélie Bruder Docteur en droit certificat Edhec management droit [->amelie.bruder@orange.fr][1] Art.L. 225-197-6 et L. 225-186-1 C.Com.
[2] (A.), « Essai sur la nécessité d’une modification des systèmes de rémunération », petites affiches, 9 août 2010, p. 18
[3] Sur ce point, voir les théories de Warren Buffet qui précisent que investisseurs investissent à long terme dans une entreprise si celle-ci dégage du profit à leur avantage, ce qui nécessite d’avoir des coûts du travail peu élevés.
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