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Protection de la marque de renommée Viagra. Par Aurélie Le Blaye, CPI
Parution : mardi 3 avril 2012
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Une marque de renommée est protégée au-delà du principe de spécialité, c’est-à-dire même pour des produits ou services différents, contre l’usage d’une marque postérieure qui tirerait indûment profit de son caractère distinctif ou de sa renommée ou qui leur porterait préjudice.

Le Règlement sur la marque communautaire (1) ouvre au titulaire d’une marque communautaire ou nationale de renommée la possibilité de s’opposer à l’enregistrement d’une demande de marque communautaire postérieure si ces conditions sont remplies.

En l’espèce, le litige portait sur la demande de marque communautaire VIAGUARA déposée en relation avec des boissons alcooliques et non alcooliques. La société PFIZER, titulaire de la marque communautaire antérieure VIAGRA, enregistrée en relation avec des produits pharmaceutiques, a formé opposition à son encontre en invoquant l’atteinte à sa marque de renommée.

Cette opposition a été dans un premier temps rejetée par la division d’opposition de l’OHMI (Office des marques communautaires) puis accueillie favorablement par la première chambre de recours de l’Office.

Saisi de ce litige, le Tribunal de l’Union européenne confirme la décision de la chambre de recours, estimant que l’usage de la marque VIAGUARA est susceptible de tirer indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure VIAGRA (2).

Le Tribunal examine tout d’abord la renommée de la marque antérieure qui est reconnue sans difficulté aucune.

Puis, il procède à une comparaison des signes en présence et estime que ceux-ci sont similaires. Les produits respectifs, à savoir les produits pharmaceutiques et les boissons, sont quant à eux différents, ce qui n’empêche pas un rapprochement entre les marques.

Selon le Tribunal, outre la fonction de garantie d’origine d’une marque, celle-ci agit comme « un moyen de transmission d’autres messages concernant, notamment, les qualités ou les caractéristiques particulières des produits ou services qu’elle désigne, ou les images et les sensations qu’elle projette, tels que le luxe, le style de vie, l’exclusivité, l’aventure, la jeunesse ». En ce sens, précise le Tribunal, « la marque possède une valeur économique intrinsèque autonome et distinctive par rapport à celle des produits ou des services pour lesquels elle est enregistrée ».

Cette mise en exergue du rôle de la marque et de son pouvoir d’attraction est à rapprocher de la jurisprudence récente de la Cour de justice qui lui a reconnu de nouvelles fonctions (la fonction de garantie d’identité d’origine étant reconnue depuis fort longtemps comme étant la fonction essentielle de la marque), à savoir celle consistant à garantir la qualité du produit ou service ainsi que celles de communication, d’investissement et de publicité (CJUE, 18 juin 2009, L’Oréal, Lancôme et Garnier / Bellure, C-487/07, et notre commentaire ; CJUE, 23 mars 2010, Google / Louis Vuitton Malletier, BDV, Eurochallenges, C-236/08 à C-238/08 et notre commentaire).

Le Tribunal examine ensuite si l’usage du signe VIAGUARA pourrait tirer indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque VIAGRA, en précisant que cette condition recouvre le risque que l’image de la marque renommée ou les caractéristiques qu’elle projette, évoquées précédemment, soient transférées aux produits désignés par la demande de marque, facilitant ainsi leur commercialisation par cette association dans l’esprit du public.

Il constate à cet égard que des propriétés stimulantes et aphrodisiaques sont revendiquées pour la commercialisation de boissons non alcooliques, produits visés par la demande de marque contestée. Or, ces propriétés correspondent aux indications thérapeutiques du produit pharmaceutique commercialisé sous la marque VIAGRA, ou tout du moins à l’image projetée par cette marque.

Ainsi, le consommateur pourrait être incité à acheter les boissons proposées sous la marque VIAGUARA en pensant bénéficier de qualités telles que l’augmentation de la libido. Il y a donc transfert des associations positives projetées par l’image de la marque antérieure.

Dans son appréciation, le Tribunal ne s’est pas contenté de procéder à un examen in abstracto puisqu’il a pris en compte les conditions d’exploitation de la marque VIAGUARA par lesquelles son titulaire faisait indéniablement référence aux caractéristiques véhiculées par la marque VIAGRA.

Rappelons ici qu’en principe, dans le cadre d’une procédure d’opposition, les conditions d’usage de la marque contestée ne doivent pas être prises en compte, l’existence du risque de confusion étant apprécié uniquement au regard des marques telles que déposées.

En tout état de cause, compte tenu des faits de l’espèce et des éléments apportés par le titulaire de la marque VIAGRA, la décision du Tribunal nous semble largement motivée.

(1) Règlement CE N° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009 sur la marque communautaire
(2) TUE, 25 janv. 2012, Viaguara S.A. / OHMI et Pfizer Inc., T-332/10

Aurélie LE BLAYE Conseil en Propriété Industrielle Cabinet WAGRET www.wagret.com

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