Village de la Justice www.village-justice.com

La recherche des origines de l’enfant adopté plénièrement peut constituer l’intérêt légitime au changement de nom. Par David Dupetit, Avocat
Parution : mercredi 20 juin 2012
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/recherche-origines-enfant-adopte,12418.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

La condition « d’intérêt légitime » au changement de nom posée par l’article 61 du Code civil constitue dans bien des cas une muraille infranchissable pour les projets de changement de nom de famille.

L’espèce jugée par le Tribunal Administratif de PARIS dans son arrêt du 8 juin 2012 vient apprécier la notion d’intérêt légitime dans dans le cadre d’un processus de recherche des origines familiales par un enfant abandonné, puis adopté.

La condition « d’intérêt légitime » au changement de nom posée par l’article 61 du Code civil constitue dans bien des cas une muraille infranchissable pour les projets de changement de nom de famille.

Le principe d’immutabilité du patronyme, consacré par la loi du 6 Fructidor An II, justifie certainement cette rigueur, afin de ne limiter les possibilités de changements de nom aux cas nécessairement rares où le changement sollicité s’impose comme une nécessité à l’impétrant (et hors les cas de changement de nom découlant d’une modification de la filiation).

C’est donc à une appréciation au cas par cas que se livre les juges administratifs éventuellement saisis à la suite d’un refus opposé par l’administration.

« L’intérêt légitime » est ainsi fréquemment reconnu au cas de port d’un nom à consonance étrangère (CE, Abbé Laurentin et autre c/ Amara, 21 mars 1997), ou pour justifier de l’abandon d’un nom ridicule ou déplaisant (CE, 6 avr. 1979 : Rec. Lebon 1979, n° 738), ou encore pour le relèvement d’un nom menacé d’extinction.

L’espèce jugée par le Tribunal Administratif de PARIS dans son arrêt du 8 juin 2012 vient apprécier la notion d’intérêt légitime dans le cadre d’un processus de recherche des origines familiales.

La demanderesse a en effet vécu une histoire personnelle douloureuse, ayant été abandonnée quelques jours après sa naissance par sa mère, et confiée à l’aide Sociale à l’Enfance.

Elle a fait ensuite l’objet d’une adoption plénière à l’occasion de laquelle son prénom et son nom ont été changés.

Dès son enfance, elle était en proie à un mal être et un sentiment ambivalent envers ses parents adoptifs qu’elle ne s’expliquait pas dans un premier temps, étant tenue dans l’ignorance de son histoire personnelle pendant la première partie de son existence.

Ce mal être dépassait les limites des affres adolescents, et la conduisait à entamer un suivi thérapeutique.

Elle apprenait la vérité au cours de son adolescence, et n’avait de cesse depuis lors de retrouver sa famille d’origine.

Après avoir pris connaissance de son dossier d’adoption par l’intermédiaire du conseil National d’accès aux origines personnelles, elle parvenait à retrouver sa famille d’origine qui est établie dans un pays étranger, et parvenait même à nouer des liens personnels avec sa mère biologique et ses autres frères & sœurs.

Dans le cadre du processus thérapeutique qu’elle avait entrepris, il lui apparaissait rapidement la nécessité d’avoir à mettre en adéquation son moi personnel avec son identité civile.

Dans un premier temps, elle saisissait le Juge aux affaires Familiales, qui faisait droit à sa demande de changement de prénom, pour retrouver son prénom d’origine.

Soucieuse de mener à son terme cette démarche, elle sollicitait ensuite le changement de son nom de famille, pour reprendre le nom qui lui avait été transmis à la naissance par sa mère biologique.

On sait que la procédure de changement de nom est autrement plus complexe et délicate que la procédure de changement de prénom, et elle se voyait opposée un refus par Monsieur le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, compétent en matière de changement de nom de famille.

En effet, l’autorité administrative considérait que l’intérêt légitime qui est prévu à l’article 61 du Code civil comme « condition au changement de nom » n’était pas caractérisé au cas d’espèce.

Un recours était donc formé devant le Tribunal Administratif de PARIS contre la décision ministérielle.

Dans un jugement en date du 8 JUIN 2012 le Tribunal Administratif de PARIS rappelant la position habituelle de la jurisprudence en la matière selon laquelle « un motif d’ordre affectif, ou un motif d’ordre psychologique ou médical, ne suffit pas à caractériser l’intérêt légitime au sens des dispositions précitées, sauf circonstances exceptionnelles  », illustre fort à propos que l’intérêt des principes réside souvent dans ses exceptions.

En effet, au regard des éléments de l’espèce, et notamment la preuve des troubles psychiques dont cette personne était affectée et les besoins constants de retrouver son identité d’origine manifestés par elle, le Tribunal a pu considérer que « en raison des circonstances exceptionnelles particulières à l’espèce, la requérante est fondée à soutenir, sans qu’il soit besoin d’ordonner une expertise psychiatrique, que le garde des Sceaux ministre de la Justice a entaché la décision contestée d’une erreur manifeste d’appréciation et pour ce motif en a demandé l’annulation… »

Dés lors le Tribunal administratif a fait injonction à M. le Garde des Sceaux de proposer la substitution de nom de famille demandée par la requérante.

Il est intéressant de relever que, pour constater le caractère exceptionnel des circonstances particulières en l’espèce, le Tribunal administratif a pris en considération la motivation du jugement rendu par le Juridiction civile (Juge aux affaires Familiales sur le changement de prénom) qui avait estimé que la requérante justifiait d’un intérêt légitime à changer de prénom compte tenu de la nécessité thérapeutique pour elle de reprendre son prénom de naissance.

A l’heure où se multiplient les demandes émanant soit d’enfants adoptés, comme c’était le cas en l’espèce, soit d’enfants nés par procréation médicalement assistée, d’avoir accès à leurs origines, ce jugement, qui ne saurait évidemment avoir valeur de principe, rappelle néanmoins la position mesurée de la Jurisprudence administrative en la matière.

Le principe d’exclusion qui permet de ménager la sécurité Juridique et le respect de l’anonymat des parents d’origine, est modulé par la nécessité, qui ne peut exister qu’en considération des circonstances particulières de chaque demande, de préserver l’intérêt de ceux pour qui ce secret pèse de manière disproportionnée dans leur vie de tous les jours.

La porte n’est donc pas complètement fermée.

Me David DUPETIT, Avocat SCP Pierre GIPULO, David DUPETIT et Emilie MURCIA Ressort de la Cour d\'Appel de MONTPELLIER Barreau des Pyrénées Orientales 7, rue du Général LEGRAND – 66000 PERPIGNAN www.avocat-perpignan.fr - contact@avo-cat.com

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion, plus d'infos dans nos mentions légales ( https://www.village-justice.com/articles/Mentions-legales,16300.html#droits ).

Comentaires: