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Le conflit entre associés, un risque pour l’entreprise. Par Yann Martin-Lavigne, Avocat.
Parution : jeudi 4 octobre 2012
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Entre votre associé et vous, rien ne va plus ? Afin éviter que vos relations professionnelles ne tournent au conflit ouvert, et vous fasse perdre temps, argent et santé, il est fondamental de connaître les méthodes permettant d’éviter ou d’en limiter les conséquences.
Pour nous éclairer sur ce sujet, la rédaction du Village de la Justice a fait appel à Yann Martin-Lavigne, avocat qui conseille les entreprises dans le domaine du droit des sociétés, du droit des contrats et des fusions-acquisitions

L’émergence d’un conflit entre associés fait partie des risques de la vie de l’entreprise. En effet, la réunion de plusieurs entrepreneurs, amène parfois des intérêts divergents.

Maître Martin-Lavigne, pouvez-vous nous dire comment minimiser ce risque de mésentente ?

"Le conflit entre associés, comme vous le soulignez, est l’un des risques de l’entreprise : plusieurs entrepreneurs impliqués dans un même projet, a fortiori un fondateur ayant des fonctions opérationnelles et un investisseur financier, peuvent avoir des conceptions très divergentes de la réussite de la même entreprise. Ces divergences, mal anticipées, sont à l’origine de nombreux conflits.

Ce risque peut être minimisé.

En amont tout d’abord, les parties doivent clairement identifier leurs rôles et leurs attentes dans le projet commun. Par exemple avec une répartition claire des tâches entre les associés opérationnels, une définition des apports financiers et non financiers (expérience, mise à disposition de personnel, etc.) et des objectifs (plus-value financière, développement d’un produit innovant, développement de long terme, etc.). A ce titre, j’insiste souvent sur les dangers du mélange des genres, notamment dans le cas d’investissements d’amorçage : on est investisseur ou apporteur d’affaires, mais l’investisseur qui entend faire fructifier son carnet d’adresses via son investissement fait fausse route, et cette situation débouche souvent sur des déceptions réciproques.

La définition d’un calendrier et de procédures adéquates de sortie permet d’anticiper la sortie d’un investisseur ou la prise de retraite de l’associé le plus âgé, et d’éviter la situation ou l’un des associés serait contraint de céder sa participation dans l’urgence ou au contraire resterait prisonnier de sa participation. De la même manière, un associé minoritaire peut utilement négocier un droit de retrait, notamment en cas de rupture de son contrat de travail.

Toujours en amont, la mise en place de règles de gouvernance claires, avec des réunions périodiques ou justifiées par des événements exceptionnels permet d’assurer l’information des parties, et d’adapter la stratégie de la société au fil du temps. Ces réunions peuvent être prévues par les statuts ou bien relever d’une organisation fixée par un pacte entre associés.
Dans le courant de la vie du projet, ce lien formel que nous venons d’évoquer doit justement être utilisé pour maintenir la cohérence du projet et la cohésion des parties : il n’est pas rare qu’une start-up modifie sa stratégie au cours de ses premiers mois ou de ses premières années d’existence pour se recentrer sur un produit ou un service plus porteur. Dans ce cas, les associés doivent également adapter leurs attentes et, le cas échéant, reconsidérer leurs apports."

Si on ne peut éviter un conflit entre les associés existe-t-il des méthodes extrajudiciaires de résolution des différends ?

"Dès lors que le conflit est installé, il peut avoir des conséquences désastreuses pour l’entreprise : outre son image qui peut être écornée lorsque les différends sont connus des clients, fournisseurs et partenaires, les efforts des dirigeants sont concentrés sur autre chose que l’opérationnel aussi longtemps que dure une éventuelle procédure.

De ce fait, il peut être intéressant de proposer une médiation comme préalable à toute action en justice. Cette étape n’est obligatoire que si les parties l’ont accepté lors de la conclusion d’un pacte, cet accord étant plus difficile à trouver une fois le conflit né. La médiation peut s’organiser librement ou dans le cadre d’institutions spécialisés (CMAP, CCI, etc.), qui mettent à la disposition des parties des professionnels spécifiquement formés à cet exercice. La médiation n’oblige pas à trouver un accord, mais doit être considérée comme une dernière chance d’exposer ses griefs et ses revendications et de trouver un accord amiable avant l’ouverture d’une procédure judiciaire, avec les frais et délais qui y sont attachés.

Si la médiation échoue, une autre solution extrajudiciaire ouverte aux parties est l’arbitrage. Il permet de faire intervenir comme juges des professionnels du droit ou du métier concerné. Cela est avantageux lorsque le conflit porte sur un point de droit très technique ou lorsque sa résolution implique la connaissance des spécificités d’un métier. Compte tenu des délais de mise en place du tribunal arbitral et des échanges de mémoires, l’arbitrage n’est pas nécessairement plus court qu’une procédure judiciaire, sauf si les parties renoncent à la faculté d’appel. L’inconvénient majeur de l’arbitrage est son coût (les arbitres, sorte de tribunal privé, sont rémunérés par les parties), qui tend à le réserver à des litiges dans lesquels les intérêts financiers sont importants."

Si le conflit est ouvert et avéré quelles sont les différentes procédures permettant de résoudre judiciairement les conflits ?

"J’entends souvent que le seul recours judiciaire en cas de conflit entre associés serait la demande de dissolution de la société. Cette action est effectivement ouverte en cas d’existence d’un différend et de paralysie de l’entreprise, les tribunaux appréciant strictement ces conditions. Mais cette action peut se retourner contre son auteur : l’actionnaire minoritaire qui formule cette demande risque de ne pas tirer grand-chose de la liquidation.

Il existe donc d’autres moyens d’action aux conséquences moins extrêmes.

En premier lieu, les parties peuvent demander la désignation d’un mandataire ad hoc, qui intervient comme un médiateur, sans toutefois s’immiscer dans la gestion de l’entreprise.
Lorsque la situation l’impose, on peut demander la révocation du dirigeant en place, mais en gardant à l’esprit qu’il faudra lui trouver un remplaçant, élu une nouvelle fois par les associés. La mise en place d’un administrateur désigné par le tribunal n’est une solution viable que dans une entreprise d’une certaine taille : ils sont souvent choisis parmi les administrateurs judiciaires, dont l’emploi du temps ne leur permet pas de se substituer à un dirigeant opérationnel à plein temps.

La demande d’expertise de gestion peut servir de préalable à toutes les actions dont j’ai parlé, en faisant intervenir un tiers, qui donnera son avis sur une ou plusieurs opérations de gestion. C’est un moyen efficace de constituer un dossier.

En tout état de cause, et même lorsque de telles actions sont engagées, je cherche à privilégier les solutions transactionnelles, qui restent souvent, objectivement, les plus intéressantes."

Lors de l’émergence d’un conflit entre associés ou lors du règlement de celui-ci, quelle place, quel rôle peut avoir à jouer l’avocat ?

"Le rôle de l’avocat est dans un premier temps d’évaluer la situation juridique : quels sont les outils contractuels ou statutaires en place (clause d’exclusion, retrait, etc.), et surtout quelles sont les chances de succès d’une action, les risques de blocage, les contraintes liées à l’évaluation de titres, la prescription d’une action, etc.

Nous devons fournir aux parties un regard objectif sur un litige qui est parfois devenu passionnel : en termes strictement économiques, il vaut mieux renoncer à une action qui se heurterait au régime de prescription très restrictif du droit des sociétés, ou lorsque le préjudice n’est pas suffisamment caractérisé.

En parallèle d’une action judiciaire ou en alternative à celle-ci, les conseils peuvent intervenir comme médiateurs entre les parties, pour permettre la construction de solutions « intelligentes », comme par exemple une réduction de capital par attribution d’actifs sociaux aux associés sortants ou la stipulation d’une obligation de non-concurrence. Ce faisant, même pour l’associé qui se juge en position de force, la conclusion d’un accord permet non seulement de régler le passé mais également de sécuriser l’avenir."

Rédaction du village

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