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Démocratie locale. Par Benoit Fleury, Juriste.
Parution : jeudi 18 octobre 2012
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La démocratie locale se révèle parfois un exercice difficile et le droit tempère souvent le bouillonnement des passions. En témoigne par exemple les conflits récurrents autour du droit d’expression des élus de l’opposition dans les bulletins d’information des collectivités locales devenus, au fil de la décentralisation, de formidables outils de communication politique, à mi-chemin entre information des administrés et valorisation de l’action des élus en place (M. Long, Le bulletin municipal :un statut juridique complexe : AJDA 1998, p. 387 ; v. en dernier lieu une récente contribution sur le blog du village.
Dans la même veine, le Conseil d’Etat vient de trancher (enfin !) les (légères) divergences d’interprétation de l’article L. 2121-22 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) par une décision du 26 septembre 2012 (n° 345568, Cne de Martigues : JurisData n° 2012-021529 ; AJDA 2012, p. 1823, note D. Poupeau).

Ces dispositions, issues de la loi d’orientation n° 92-125 du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République, ont apporté d’importantes modifications aux institutions locales françaises. Elles comportaient notamment un volet relatif aux droits des élus envisagés de manière générale et aux élus minoritaires en particulier (voir par exemple A. Chaminade : Les nouvelles règles de gestion des collectivités locales : JCP G 1993, I, 13657). Parmi les mesures phares figurait la représentation de ces derniers dans les commissions permanentes installées par les municipalités de plus de 3.500 habitants (par exemple affaires scolaires et sports, culture, environnement-travaux, famille et petite enfance, finances-patrimoine, jeunesse, urbanisme…), aujourd’hui énoncée par l’article L. 2121-22 du CGCT :

« Le conseil municipal peut former, au cours de chaque séance, des commissions chargées d’étudier les questions soumises au conseil soit par l’administration, soit à l’initiative d’un de ses membres.
Elles sont convoquées par le maire, qui en est le président de droit, dans les huit jours qui suivent leur nomination, ou à plus bref délai sur la demande de la majorité des membres qui les composent. Dans cette première réunion, les commissions désignent un vice-président qui peut les convoquer et les présider si le maire est absent ou empêché.
Dans les communes de plus de 3 500 habitants, la composition des différentes commissions, y compris les commissions d’appel d’offres et les bureaux d’adjudications, doit respecter le principe de la représentation proportionnelle pour permettre l’expression pluraliste des élus au sein de l’assemblée communale »
.

L’interprétation de cet article a donné lieu à plusieurs contentieux. Il a d’abord été considéré qu’il devait s’entendre comme imposant le choix d’une méthode permettant d’assurer la représentation des élus minoritaires, et non nécessairement la représentation proportionnelle au plus fort quotient (TA Amiens, 27 sept. 1995, Hachet c/ Cne de Gauchy  : Gaz. Pal. 1996, 1, pan. dr. adm., p. 74 ; TA Amiens, 19 janv. 2006, Mme Aubert, épx Delcroix  : AJDA 2006, p. 1517). Il importe peu à cet égard que les membres de l’opposition puissent assister aux travaux des différentes commissions. Ils doivent en être membres effectifs (CAA Marseille, 4 nov. 2010, Cne de Martigues, n° 09MA1097 : JurisData n° 2010-027056).
Cet impératif, parfois rappelé par la doctrine administrative (in fine JOAN, 8 avr. 2002, Q. n° 68896) a toutefois conduit à des pratiques variées aux prolongements inattendus en jurisprudence.

La Cour administrative d’appel de Marseille a pu ainsi estimer que « les dispositions de l’article L. 2121-22 du Code général des collectivités territoriales n’imposent ni que les différents groupes représentés au sein du conseil municipal bénéficient, au sein des commissions municipales, d’un nombre de sièges strictement proportionnel au nombre de conseillers municipaux qui les composent ni que le nombre de sièges à pourvoir dans ces commissions doit être déterminé en tenant compte de celui qui revient de droit au maire en sa qualité de président. Elles n’impliquent davantage ni que le mode de désignation des membres des commissions municipales soit conforme à celui, spécifique, requis pour la désignation de la commission des appels d’offres, lequel est régi par le Code des marchés publics, ni qu’il soit procédé à une répartition des sièges selon la règle du plus fort reste » (CAA Marseille, 4 juill. 2005, Cne de Valbonne,n° 02MA01320 : JurisData n° 2005-284650).

Celle de Versailles relevait de son côté que le conseil municipal de Rambouillet avait méconnu « le principe de la représentation proportionnelle qui permet d’assurer l’expression pluraliste des élus dès lors qu’il n’a accordé à une liste d’opposition qu’un seul siège sur la totalité des commissions du conseil municipal et ce même si l’opposition municipale bénéficie dans son ensemble d’une représentation équivalente, voire même supérieure dans certaines commissions, au nombre de sièges qu’elle détient au sein du conseil municipal » (CAA Versailles, 23 juin 2005, Cne de Rambouillet, n° 03VE02988 : JurisData n° 2005-283497) .

Le conseil municipal de Martigues a offert au Conseil d’Etat la possibilité d’éclaircir ces modalités de représentation des conseillers municipaux d’opposition. En l’espèce, les juges du fond avaient annulé la décision de la commission fixant la composition des commissions municipales permanentes à la demande d’un conseiller au motif que sa liste – dont il était le seul élu – n’était pas représentée au sein de l’ensemble des commissions.

La Haute juridiction estime que la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit « en jugeant que, sans préjudice des dispositions régissant la composition des commissions d’appel d’offres, les dispositions de l’article L. 2121-22 du code général des collectivités territoriales imposent, pour les commissions que forme le conseil municipal et dont il détermine librement le nombre de membres, que soit recherchée, dans le respect du principe de représentation proportionnelle, une pondération qui reflète fidèlement la composition de l’assemblée municipale et qui assure à chacune des tendances représentées en son sein la possibilité d’avoir au moins un représentant dans chaque commission, sans que les différentes tendances ne bénéficient nécessairement toujours d’un nombre de représentants strictement proportionnel au nombre de conseillers municipaux qui les composent ».

Toutes les tendances représentées au conseil municipal doivent ainsi disposer d’un représentant dans l’ensemble des commissions municipales permanentes.

Jurisprudence citée :
CE, 26 septembre 2012, n° 345568, Cne de Martigues
http://legimobile.fr/fr/jp/a/ce/ad/2012/9/26/345568/

Directeur Général adjoint des services du Conseil Général de Vendée en charge du pôle juridique et du contrôle de gestion (en détachement de l'université). Membre du comité de rédaction de la Semaine Juridique - Administrations Collectivités territoriales (JCP A) http://benoit-fleury.blogspot.fr/

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