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Responsabilité pénale du dirigeant du fait des employés : un risque réel et des mesures pour le prévenir. Par Jean-Baptiste Rozès, Avocat.
Parution : jeudi 3 janvier 2013
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La responsabilité pénale du dirigeant peut être encourue en tant qu’auteur direct d’une infraction, mais, en premier lieu, du fait des salariés de l’entreprise. Il appartient en effet au chef d’entreprise de veiller personnellement à la stricte et constante application des prescriptions règlementaires : en cas de non-respect d’une règle, sa responsabilité pénale est présumée.

1 Un risque réel


1.1 Le principe

Contrairement aux infractions intentionnelles, les juges retiennent la responsabilité pénale du dirigeant d’entreprise en cas d’infractions matérielles, « non intentionnelles », commises par un employé de l’entreprise, son préposé, dans le cadre de son travail.

Les infractions concernées, les contraventions et délits « non intentionnels » sont des dérogations au caractère intentionnel des infractions prévu à l’article 121-3 al. 1 du Code pénal.

Ce principe de la responsabilité pénale du dirigeant d’entreprise en cas d’infractions « non intentionnelles », commises par un employé de l’entreprise dans le cadre de son travail peut paraître en contradiction avec celui selon lequel « Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait » (article 121-1 du Code pénal).

Le dirigeant est présumé avoir commis une faute de négligence dans son devoir de contrôle, du seul fait que l’infraction du préposé est matériellement établie.
La justification de cette présomption tient ainsi au fait « qu’il appartient au chef d’entreprise de veiller personnellement à la stricte et constante exécution des prescriptions réglementaires (Cass. crim, 10 juillet 1963, n°6293417).

L’article 121-3 al. 2 du Code pénal prévoit ainsi que le délit peut être constitué « en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits qui sont la cause directe du dommage n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ».

L’article 121-3 al. 3 du Code pénal précise que, « dans le cas prévu par l’alinéa qui précède, les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer. »

Les dirigeants sont ainsi notamment soumis aux règles relatives à la santé et à la sécurité prévues aux articles L. 4741 et suivants du Code du travail.

1.2 Les dirigeants effectivement poursuivis

Depuis la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 dite « Perben II », entrée en vigueur le 1er janvier 2006, la responsabilité pénale de la personne morale a été généralisée pour toutes les infractions commises à partir du 31 décembre 2005, même en l’absence de disposition expresse (article 121-2 al. 1 du Code pénal).

Le cumul de la responsabilité pénale de la personne morale et celle de son dirigeant est possible (article 121-2 al. 3 du Code pénal).

Toutefois, la responsabilité pénale des personnes morales avait été instaurée, en particulier, pour limiter l’engagement de celle des dirigeants.

Ainsi, dans une circulaire n° 2006-03 E8 du 13 février 2006, la Chancellerie a recommandé aux parquets en cas d’infractions non intentionnelles et de nature technique, de ne poursuivre la personne physique, en plus de l’entreprise, personne morale, « que si une faute personnelle est suffisamment établie à son encontre pour justifier une condamnation pénale ».

Or, en dépit de ces recommandations, les dirigeants continuent à être le plus souvent poursuivis aux côtés de la personne morale, pour les infractions intentionnelles, comme pour celles non intentionnelles.

2 Sur les moyens de prévention des risques

2.1 Sur le document unique

Au-delà de son caractère obligatoire, le document unique, qui consigne les risques professionnels dans chaque unité de travail, joue en amont un rôle important.

Ce texte, à actualiser chaque année, doit être tenu à la disposition des salariés et du Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), mais surtout de l’inspection du travail. Cette dernière, en cas d’accident du travail, commencera par demander le document unique. S’il fait défaut ou n’est pas actualisé, la faute inexcusable, sur le plan civil, sera reconnue quasi systématiquement.

En application de l’article R. 4121-1 du Code du travail, « L’employeur transcrit et met à jour dans un document unique les résultats de l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs à laquelle il procède en application de l’article L. 4121-3.

Cette évaluation comporte un inventaire des risques identifiés dans chaque unité de travail de l’entreprise ou de l’établissement, y compris ceux liés aux ambiances thermiques. »

L’établissement de ce document s’impose à toutes les entreprises, quels que soient leur effectif et leur activité.

Selon une circulaire de l’administration du travail (Circulaire DRT 2002-6 du 18 avril 2002), cette évaluation se fait en deux étapes :

-  Identifier les dangers : le danger est la propriété ou capacité intrinsèque d’un équipement, d’une substance, d’une méthode de travail, de causer un dommage pour la santé des travailleurs ;

-  Analyser les risques : c’est le résultat de l’étude des conditions d’exposition des travailleurs à ces dangers.

L’évaluation des risques n’est pas seulement un inventaire, mais aussi un travail d’analyse sur les risques professionnels.

2.2 Sur la délégation de pouvoirs

Confier des délégations de pouvoirs en matière d’hygiène et de sécurité à des salariés opère en outre, à certaines conditions, un transfert de responsabilité pénale.

Elles exonèrent le chef d’entreprise de sa responsabilité s’il n’a pas pris personnellement part à l’infraction. Ces délégations permettent en outre de clarifier les attributions de chacun et de responsabiliser les salariés en charge du respect des règles d’hygiène et de sécurité. Cette pratique, très courante, est d’ailleurs encouragée par les juges.

Rappelons que pour être valable, la délégation doit avoir un objet limité (Cass. crim., 13 sept. 2005, n°05-80035), être stable (Cass. crim., 21 novembre 1973, n°72-93898), n’avoir été attribuée qu’à une seule personne, émaner du dirigeant lui-même et non d’un tiers et avoir été consentie à un salarié qualifié (Cass. crim., 17 octobre 1979, n°78-94267).

Par ailleurs, à défaut d’effectivité, les juges écarteront la délégation de pouvoirs. Ainsi, récemment, la Cour de cassation a jugé qu’une délégation de pouvoirs comportant l’exercice du pouvoir disciplinaire, même si elle a été initialement valablement consentie, est vidée de son contenu et perd son effet exonératoire de la responsabilité pénale du dirigeant lorsque ce dernier s’est substitué à plusieurs reprises au délégataire dans l’exercice de ce pouvoir (Cass. crim., 7 juin 2011, n°10-84283).

En conclusion, le système de délégation de pouvoirs est souvent essentiel au bon fonctionnement de l’entreprise, mais il est exigeant et doit correspondre parfaitement à l’organigramme de la Société.

Même si cela n’est pas obligatoire, il est fortement conseillé de rédiger un écrit, précis et sans équivoque, à signer entre le délégant et le délégataire. Afin d’éviter toute contestation, nous conseillons également de conférer une certaine publicité à la délégation qui peut, par exemple, résulter de l’organigramme de l’entreprise.

Jean-Baptiste Rozès Avocat Associé OCEAN AVOCATS www.ocean-avocats.com

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