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Utilisation de tissus et cellules, l’Homme comme critère de distinction ? Par Audrey Bronkhorst, Avocat.
Parution : vendredi 1er mars 2013
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Le législateur a prévu et encadré la possibilité de mener un certain nombre d’activités sur les éléments et produits du corps humain. Ces activités sont la préparation, la conservation, la distribution et la cession (outre l’importation/exportation et l’utilisation).

L’une des conditions que les opérateurs doivent respecter est relative à la finalité de l’activité menée.

En effet, ces activités ne sont autorisées que pour autant qu’elles soient exercées dans l’une des trois finalités visées à l’article L. 1211-1 du Code de la santé publique (CSP).

L’activité doit ainsi poursuivre « une fin médicale  » ou «  une fin scientifique » ou « être menée dans le cadre de procédures judiciaires conformément aux dispositions applicables à celles-ci. »

Dès lors, il est nécessaire de qualifier le but poursuivi afin de déterminer si l’activité peut être exercée, et dans l’affirmative, afin de déterminer le régime juridique qui lui est applicable.

Les activités portant sur les éléments et produits du corps humain menées dans le cadre de procédures judiciaires étant spécifiques et en toute hypothèse hors champ du secteur économique, elles ne seront pas abordées dans le présent article.

En revanche, il est indispensable pour les opérateurs du secteur de parvenir à distinguer « fin scientifique » et « fin médicale » puisqu’en dépend le régime juridique applicable.

Des régimes juridiques différents

Selon la finalité poursuivie, les conditions, notamment s’agissant des formalités administratives préalables obligatoires à la mise en œuvre de toute activité portant sur les tissus ou cellules, varient.

C’est ainsi que l’article L. 1243-2 du CSP prévoit que la préparation, la conservation, la distribution et la cession des tissus ou cellules humains peuvent être réalisées «  à des fins thérapeutiques autologues ou allogéniques » à conditions de disposer d’une autorisation délivrée par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) sur avis préalable de l’ABM (Agence de la Biomédecine).

L’article L. 1243-3 du CSP dispose quant à lui que les tissus et cellules humains peuvent être utilisés « à des fins scientifiques » dans ses propres programmes de recherche par tout organisme qui en fait la déclaration au Ministère chargé de la Recherche.

Si lesdits organismes souhaitent pouvoir opérer des cessions de tissus et cellules « dans le cadre d’une activité commerciale, pour un usage scientifique », il convient qu’ils sollicitent, cette fois, une autorisation auprès du Ministre chargé de la recherche. (C. santé. pub., art. L. 1243-4)

L’existence de régimes juridiques différents selon que la finalité est « médicale  » (ou « thérapeutique  ») ou bien scientifique s’explique aisément par les impératifs de sécurité sanitaire, puisque dans le premier cas l’élément ou produit est destiné à être utilisé chez l’homme, alors que dans le second il ne sera utilisé qu’entre lame et lamelle.

Il est donc indispensable de savoir ce que recouvrent ces deux notions : finalité scientifique et finalité thérapeutique.

La notion de finalité thérapeutique

La notion de finalité thérapeutique, qui n’est pas définie par le législateur français, peut sembler floue de prime abord, notamment du fait de l’emploi alternatif par ce dernier des termes « médicale  » et « thérapeutique  ».

Cette alternance dans les termes fait présumer que la notion de finalité thérapeutique et de finalité médicale recouvre une seule et même réalité, semant ainsi la confusion quant à la portée de la notion.

Le droit européen peut à ce titre apporter un éclairage intéressant.

En effet, la directive 2004/23/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 relative à l’établissement de normes de qualité et de sécurité pour le don, l’obtention, le contrôle, la transformation, la conservation, le stockage et la distribution des tissus et cellules humains indique dans son premier considérant :
« (2) La disponibilité des tissus et cellules humains utilisés à des fins thérapeutiques dépend des citoyens de la Communauté qui sont disposés à en faire le don. Afin de préserver la santé publique et de prévenir la transmission de maladies infectieuses par ces tissus et cellules, toutes les mesures de sécurité doivent être prises lors de leur don, de leur obtention, de leur contrôle, de leur transformation, de leur conservation, de leur stockage, de leur distribution et de leur utilisation. »

Puis, dans son article premier fixant l’objectif du texte :
« La présente directive établit des normes de qualité et de sécurité pour les tissus et cellules humains destinés à des applications humaines, afin d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine. »

A l’article 2, la Directive établit son champ d’application :
« 1. La présente directive s’applique au don, à l’obtention, au contrôle, à la transformation, à la conservation, au stockage et à la distribution de tissus et cellules humains destinés à des applications humaines ainsi que de produits manufacturés dérivés de tissus et cellules humains destinés à des applications humaines.  »

Ainsi, la Directive 2004/23/CE permet d’établir, dans un premier temps, que des tissus et cellules humains sont employés dans une «  finalité thérapeutique » lorsqu’ils sont « destinés à des applications humaines ».

En effet, la Directive 2004/23/CE concerne les tissus et cellules utilisés à des fins thérapeutiques et délimite son champ d’application en visant les produits destinés à des applications humaines.

Par ailleurs, la même Directive définit à son article 3 la notion « d’application humaine ».

Il s’agit de :
«  L’utilisation des tissus ou cellules sur ou dans un receveur humain et les applications extracorporelles ».

Ainsi, des tissus ou cellules utilisés dans une finalité thérapeutique semble donc pouvoir être caractérisés de tissus ou cellules utilisés sur ou dans un receveur humain, y compris dans le cadre d’applications extracorporelles.

L’ensemble des règles encadrant leur utilisation à cette fin à d’ailleurs pour but, comme le rappelle le premier considérant de la Directive précitée, «  d’assurer la qualité et la sécurité des substances concernées, notamment afin de prévenir la transmission de maladies  » précisément car ces tissus ou cellules sont destinés à être instillés à l’homme.

Cette acception est d’ailleurs confirmée par le droit français, puisque l’article L. 1243-2 du CSP vise les « fins thérapeutiques autologues ou allogéniques  »
Or, le terme autologue s’emploie lorsqu’un tissu ou une cellule provenant de son propre organisme est administré à soi-même.

Le terme allogénique s’emploie quant à lui lorsqu’un tissu ou une cellule provient d’un donneur différent du receveur.

Dans les deux hypothèses, le tissu ou les cellules sont donc appliqués à l’homme.

La notion de finalité scientifique

La notion de finalité scientifique se définit au regard de plusieurs dispositions du CSP.

L’article L. 1243-3 dudit Code dispose :
«  Tout organisme qui en a fait la déclaration préalable auprès du ministre chargé de la recherche peut, pour les besoins de ses propres programmes de recherche, assurer la conservation et la préparation à des fins scientifiques de tissus et de cellules issus du corps humain ainsi que la préparation et la conservation des organes, du sang, de ses composants et de ses produits dérivés.  »

L’article L. 1243-4 du même Code prévoit quant à lui :
« Tout organisme qui assure la conservation et la préparation de tissus et cellules du corps humain en vue de leur cession dans le cadre d’une activité commerciale, pour un usage scientifique, y compris à des fins de recherche génétique, doit être titulaire d’une autorisation délivrée par le ministre chargé de la recherche (…) »

La finalité scientifique visée à l’article L. 1243-3 du CSP renvoie donc à la fois à l’utilisation dans le cadre de « programme de recherche » et à «  l’usage scientifique ».

Ainsi, l’utilisation de tissus ou cellules dans une finalité scientifique correspond à leur emploi dans le cadre de la recherche.

Toutefois, les articles L. 1245-4 alinéa 1 et R. 1243-1 alinéa 2, qui concernent les recherche biomédicales précisent :
«  Pour l’application du présent titre, les prélèvements pratiqués à fins de greffe ou d’administration dans le cadre des recherches biomédicales au sens de l’article L. 1121-1 sont regardés comme des prélèvements à des fins thérapeutiques »
Et
« L’utilisation [de tissus, de leurs dérivés, de cellules ou de préparations de thérapie cellulaire, quel qu’en soit le niveau de transformation] à des fins thérapeutiques inclut notamment les recherches biomédicales au sens de l’article L. 1121-1.  »

Ainsi, ne constitue pas un usage dans une finalité scientifique, l’utilisation de tissus ou de cellules dans le cadre d’une recherche biomédicale.

Les articles L. 1245-4 alinéa 1 et R. 1243-1 alinéa 2 qui excluent du champ des dispositions relatives à la finalité scientifique, l’usage de tissus ou cellules dans le cadre de recherches biomédicale, les incluent dans le champ des dispositions relatives à la finalité thérapeutique.

Et pour cause ! Dans le cadre d’une recherche biomédicale, les tissus et cellules sont bel et bien instillés à l’homme.

Ces textes viennent donc tout à la fois confirmer le sens qu’il faut donner à la finalité scientifique, de même que celui de la finalité thérapeutique et mettent en évidence leur critère de distinction :
‒ Dans le premier cas les tissus ou cellules ne sont utilisés qu’entre lame et lamelle ;
‒ Dans le second cas, les tissus ou cellules sont utilisés (fût-ce pour les tester) chez l’Homme.

Tout ce qui précède démontre donc bien que l’emploi de tissus cellules, y compris en phase d’étude (recherche biomédicale) dans une finalité thérapeutique s’entend de leur utilisation dans le cadre d’une application humaine, c’est-à-dire de leur administration à l’homme alors que les tissus ou cellules employés dans une finalité scientifique ne sont pas administrés à l’être humain.

En revanche, l’utilisation dans une «  finalité thérapeutique » ne permet nullement de conclure à l’efficacité des tissus ou cellules employés en tant que traitement d’une pathologie identifiée, mais uniquement de savoir qu’il convient de répondre au plus haut degré de sécurité et d’innocuité, puisque ses produits seront administrés à l’homme.

L’hypothèse des recherches biomédicales illustrent parfaitement ce dernier point : les tissu ou cellule objet de l’essai, parce qu’ils seront administrés à l’homme sont considérés comme étant utilisés dans une finalité thérapeutique, en revanche, étant encore à l’étude, leur efficacité dans le traitement de telle ou telle pathologie n’est pas encore avérée.

Ce dernier point renvoie à une seconde distinction indispensable en la matière : la distinction entre finalité thérapeutique et indication thérapeutique qui mérite ses propres développements.

Audrey Bronkhorst Avocat, Roche Avocats