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Un ANI et l’expertise auprès des CHSCT locaux déraille... Par Christophe Dufosset, Juriste.
Parution : mardi 5 mars 2013
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Les amateurs vous le diront : "l’anis s’apprécie bien frais et dilué avec un soupçon d’eau". En revanche, l’ANI qui nous a été servi le 11 janvier dernier tend plutôt à noyer son lecteur et à échauffer les esprits.

En effet, l’accord comprend notamment un très long article 12 relatif à l’information et à la consultation anticipée des IRP qui, espérons-le, n’inspirera pas le législateur, s’il se montre soucieux :

- d’une part, de respecter le principe de clarté et l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi ;

- et d’autre part, de préserver les moyens des IRP, et notamment ceux des CHSCT locaux souhaitant mettre en oeuvre une expertise à leur niveau.

Cet article prévoit que :

« pour toute décision de l’entreprise conduisant à saisir le CHSCT, il est mis en place, si plusieurs établissements sont concernés par le même projet, une instance de coordination ad hoc issue de comités locaux qui, dans les cas prévus par la loi de recours à l’expertise par les CHSCT, fait appel, à une expertise unique. Celle-ci est réalisée dans le délai préfix d’intervention de l’expert-comptable et porte sur l’ensemble des éléments relevant de la compétence des CHSCT. Le résultat de cette expertise est communiqué à l’ensemble des CHSCT concernés. »

Au-delà des difficultés posées par la définition du périmètre de « l’instance de coordination ad hoc  » et par les modalités de sa désignation, ces stipulations tendent à priver les CHSCT locaux d’une expertise pertinente, parfois rendue nécessaire en raison de spécificités locales, propres à un établissement, ainsi que l’illustre une affaire récente.

Dans l’hypothèse d’une transposition de l’ANI, la portée l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles serait réduite à néant (CA Versailles, 14e ch., 4 avril 2012, 11/03926, SNCF c/ CHSCT Mantes-La-Jolie de l’ETOF).

Cette décision est relative au déploiement du projet SIRIUS (Système Informatique Regroupant les Informations Utiles au Service) par la SNCF. Il s’agit d’un outil informatique d’aide à la conduite des trains ayant notamment pour vocation de se substituer au support papier (« fiche train ») jusqu’alors utilisé par les agents de conduite. Afin de mesurer l’impact du projet, la SNCF a fait appel à un cabinet en charge de mener une expertise au niveau national. Et ainsi que le prévoit le Code du travail (art. L. 4612-8), les CHSCT des différents établissements concernés ont été informés et consultés sur ce projet, et ce, après que le rapport d’expertise ait été porté à leur connaissance.

Or, le CHSCT de Mantes-La-Jolie de l’ETOF, après avoir rendu un avis défavorable, a décidé de recourir à l’assistance d’un expert agréé (art. L. 4614-12 2° du Code du travail) au cours d’une réunion exceptionnelle qui s’est tenue un mois plus tard.

La SNCF s’est opposée à la conduite de cette expertise arguant :
1. de l’irrégularité (sur le fond et sur la forme) de la délibération portant désignation de l’expert : un avis ayant déjà été donné, l’ordre du jour de la réunion ne prévoyant pas la possibilité d’une désignation, et sa formulation étant évasive ;
2. de l’absence de bien-fondé d’une expertise : les conditions de recours à l’expertise fixées par le Code du travail n’étant pas réunies ;
3. de l’inutilité de l’expertise eu égard à celle menée au niveau national.

Après avoir écarté l’annulation de la délibération, les juges versaillais ont estimé que : « l’inutilité, alléguée par la SNCF, de l’expertise décidée par le CHSCT n’est […] en tout état de cause, pas établie » en ce que « l’importance du projet et ses conséquences sur les conditions de travail justifient que soient plus particulièrement étudiées ses incidences au niveau local pour prendre en compte les spécificités de cet établissement ».

Au-delà de son analyse de la délibération, cet arrêt est particulièrement intéressant en ce qu’il retient le bien-fondé d’une expertise CHCST menée localement et postérieurement à un rapport rendu portant sur le même projet, mais intéressant un niveau supérieur. L’élément déterminant dans l’utilité reconnue d’une expertise CHCST locale tient à la prise en compte des spécificités au niveau de l’établissement.

Partant, comment prendre en compte de telles spécificités si, comme le prévoit l’ANI, une unique expertise ne peut-être menée qu’à un niveau concentrant les périmètres habituels d’intervention des CHSCT locaux ? En pareille hypothèse, l’expertise devant être menée dans un délai imparti, il apparaît difficile, sinon exclu, d’être en mesure de tenir compte des spécificités d’un établissement. L’économie sur le coût de l’expertise CHSCT s’en ressentira inévitablement sur la pertinence du travail de l’expert.

Ces considérations ont conduit, le 27 février dernier, une délégation représentant 21 cabinets d’expertise CHSCT à alerter le ministère du travail sur les effets néfastes qu’augure cet ANI, et, s’ils se mobilisent pour d’autres raisons, les syndicats à faire grève mardi 5 mars 2013.

Christophe J. DUFOSSET Juriste Cabinet JANVIER & ASSOCIES Société d’expertise comptable Commissaire aux comptes Spécialiste des comités d’entreprises http://www.comite-entreprises.eu

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