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De la loyauté des preuves obtenues par le salarié : message sur répondeur téléphonique, enregistrement téléphonique, SMS… Par Anne Rebierre, Avocat.
Parution : vendredi 22 mars 2013
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Pour contester son licenciement et/ou démontrer l’existence d’une attitude fautive de son employeur à son égard (constitutive de harcèlement notamment), le salarié peut disposer de témoignages extérieurs, mais parfois aussi d’éléments de preuve émanant de l’auteur lui-même.

Cette hypothèse n’est pas réservée aux employeurs qui auraient eu « l’imprudence » d’écrire…

Certes, il ne fait pas de doute que la lettre, la télécopie et l’email de l’employeur constitueraient des preuves recevables.

Mais en matière de validité des modes de preuve, la distinction entre la parole et l’écrit n’est pas pertinente.

Le critère déterminant retenu par la Cour de Cassation est la connaissance, ou l’absence d’ignorance, par l’employeur de la possible conservation de son message par le salarié, et donc de l’utilisation que ce dernier peut en faire.

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L’employeur ne pouvait ignorer…

Dans ce cadre, la Cour de cassation vient de juger que la retranscription par un huissier de justice d’un message vocal laissé par un employeur sur le téléphone portable d’un salarié constitue un mode de preuve valable dès lors que « l’auteur ne peut ignorer que les messages téléphoniques vocaux sont enregistrés sur un appareil récepteur » (Cass. soc. 6 février 2013, n° 11-23.738).

L’employeur, qui tentait de faire valoir qu’un message laissé sur le répondeur d’un téléphone mobile n’était pas assimilable à un écrit et n’avait pas, dans l’esprit de son auteur, vocation à être conservé, de sorte que sa communication constituerait un procédé déloyal, n’a pas été suivi.

C’est à l’aune de ce même critère que sont jugés les messages écrits adressés par téléphone, dits SMS (Short Message Service).

La Haute Juridiction considère ainsi que les SMS constituent un mode de preuve recevable en justice car « l’auteur ne peut ignorer qu’ils sont enregistrés par l’appareil récepteur » (Cass. soc., 23 mai 2007, n° 06-43.209).

En conséquence de la recevabilité desdites preuves, le salarié :

-  dans le premier cas, a pu démontrer, via les messages vocaux laissés par son employeur sur son répondeur téléphonique et retranscrits par huissier, qu’il avait, un mois avant son licenciement notifié par lettre recommandée, été licencié verbalement, ce qui suffisait à rendre la rupture sans cause réelle et sérieuse ;

-  dans le second cas, a pu faire établir, via la teneur des SMS adressés par son employeur et constatés par huissier, l’existence d’un harcèlement sexuel de la part de ce dernier.

L’employeur ignorait nécessairement…

Par application d’un raisonnement identique, la Cour de cassation avait déjà jugé, et le confirme dans les deux décisions précitées, qu’à l’inverse, l’enregistrement d’une conversation téléphonique privée, effectué à l’insu de l’auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue (Cass. soc. 29 janvier 2008, n° 06-45.814).

Il en est de même de l’enregistrement qu’effectuerait un salarié de la teneur de l’entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire ou un éventuel licenciement.

A ce titre, des Cours d’appel ont jugé que :

-  un salarié ne saurait utilement soutenir que les griefs invoqués par son employeur à l’appui d’une mesure de licenciement n’auraient pas été invoqués au cours de l’entretien préalable en se fondant pour ce faire sur un enregistrement par lui opéré sur bande magnétique à l’insu de son employeur (CA Reims 4 février 1980 Moutard / Société Deville) ;

-  un salarié viole l’obligation générale de loyauté qui persiste lors de l’entretien préalable en enregistrant sans l’accord du représentant de l’employeur les propos tenus au cours de cet entretien (CA Douai, 23 juin 2004, Duchatel / SA Totem investissement.

La chambre criminelle juge toutefois que ne constitue pas une atteinte à la vie privée et, partant, un délit, le fait d’enregistrer, à l’insu de l’employeur, un entretien préalable portant sur un éventuel licenciement dès lors que les propos enregistrés entrent dans le seul cadre de l’activité professionnelle (Cass. crim. 16 février 1990, n° 89-83075).

Le salarié non plus ne peut pas ignorer…

Désormais, l’employeur ne peut plus considérer comme anodins ses éventuels rapports téléphoniques avec ses salariés et devra avoir à l’esprit que les messages oraux ou écrits qu’il leur transmet via ce support sont des preuves admissibles qui pourraient leur être défavorables dans le cadre d’un contentieux ultérieur.

Toutefois, si la preuve demeure un enjeu majeur, la recevabilité des modes de preuve joue de manière réciproque.

Les salariés ne doivent pas négliger le fait que ces modes de preuve pourraient, de la même façon, être utilisés par l’employeur pour établir une faute de leur part.

Tel pourrait être le cas de la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire à la suite de la réception par l’employeur d’un message injurieux de l’un de ses subordonnées, ou encore de la communication devant la juridiction prud’homale d’un message d’aveu du salarié d’une faute commise…

Anne REBIERRE Avocat au Barreau de PARIS anne.rebierre@rebierre-avocat.com http://www.rebierre-avocat.com