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Le régime allégé des droits de la défense en audition libre. Par Laurent Vovard, Avocat.
Parution : mardi 30 avril 2013
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Un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation du 3 avril 2013 illustre le régime allégé auquel les droits de la défense sont actuellement soumis lorsque la personne suspectée est entendue dans le cadre de l’audition libre.

Le principe de l’audition libre (en enquête préliminaire) :

L’article 78 du Code de procédure pénale dispose que :

« Les personnes convoquées par un officier de police judiciaire pour les nécessités de l’enquête sont tenues de comparaître. L’officier de police judiciaire peut contraindre à comparaître par la force publique, avec l’autorisation préalable du procureur de la République, les personnes qui n’ont pas répondu à une convocation à comparaître ou dont on peut craindre qu’elles ne répondent pas à une telle convocation.

Les personnes à l’encontre desquelles il n’existe aucune raison plausible de soupçonner qu’elles ont commis ou tenté de commettre une infraction ne peuvent être retenues que le temps strictement nécessaire à leur audition, sans que cette durée ne puisse excéder quatre heures.

S’il apparaît, au cours de l’audition de la personne, qu’il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement, elle ne peut être maintenue sous la contrainte à la disposition des enquêteurs que sous le régime de la garde à vue…. »

(en matière d’enquête de flagrance : voir articles 62 et 73 du CPP)

En application de ces dispositions, l’OPJ peut aussi bien convoquer un simple témoin qu’une personne à l’encontre de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction (que cette infraction soit punie d’une peine d’emprisonnement ou non).

Le Conseil constitutionnel, saisi d’une QPC, a reconnu la conformité de l’article 78 du CPP à la constitution (comme il l’avait fait au sujet de l’art. 62 du CPP), en précisant, aux termes de sa décision n°2012-257 du 18 juin 2012, que :

(i) une personne suspectée peut être entendue par les enquêteurs en dehors du régime de la garde à vue dès lors qu’elle n’est pas maintenue à leur disposition sous la contrainte ;

(ii) toutefois, dans cette hypothèse : « le respect des droits de la défense exige qu’une personne à l’encontre de laquelle il apparaît, avant son audition ou au cours de celle-ci, qu’il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction, ne puisse être entendue ou continuer à être entendue librement par les enquêteurs que si elle a été informée de la nature et de la date de l’infraction qu’on la soupçonne d’avoir commise et de son droit de quitter à tout moment les locaux de police ou de gendarmerie »

La personne suspectée, entendue dans le cadre de l’audition libre, ne bénéficie pas des autres droits de la défense tels que la notification du droit de se taire, l’assistance d’un avocat…

Critique :

Le responsable logistique d’une société avait été auditionné par les enquêteurs sous le régime de l’audition libre sur différentes infractions de la société à la législation sur la durée du travail.

Cette personne et la société soutenaient que l’audition était nulle, sur le fondement de l’article 6 de la CEDH, car il ne lui avait pas été notifié son droit au silence et elle n’avait pas bénéficié de l’assistance d’un avocat.

La Cour d’appel de Pau avait rejeté l’exception de nullité.

Aux termes de son arrêt du 3 avril 2013 (n°11-87333), la Cour de cassation confirme aux motifs que :

« la notification du droit de se taire et de ne pas s’accuser, n’est reconnue qu’aux personnes placées en garde à vue ou faisant l’objet d’une mesure de rétention douanière… »

Cette interprétation, formulée par la Cour de cassation dans un attendu à portée générale, confirme ainsi la jurisprudence réservant un sort différent à la personne suspectée selon qu’elle est entendue sous le régime de l’audition libre ou de la garde à vue (étant ici précisé que les faits de l’espèce concernaient des contraventions et que par conséquent, la garde à vue n’était pas possible).

Cette différence de traitement ne se justifie pas, cela d’autant plus que la notion de « contrainte » servant de critère pour le placement en garde à vue est difficile à apprécier en pratique.

Elle se justifie d’autant moins qu’en tant que suspecte, la personne entendue peut être amenée à faire des déclarations qui lui seront préjudiciables (même si la jurisprudence de la CEDH et l’article préliminaire du Code de procédure pénale prévoit que « aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul fondement de déclarations qu’elle a faites sans avoir pu s’entretenir avec un avocat et être assistée par lui  »).

En tout état de cause, elle est contraire aux prescriptions de la Directive 2012/13/UE du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, et notamment à l’article 3 §1 qui reconnaît à toute personne poursuivie ou suspectée des droits a minima, dont le droit de se taire et le droit à l’assistance d’un avocat.

Cet arrêt met ainsi en lumière le combat restant à mener pour que la phase d’enquête donne une place plus importante aux droits de la défense, qu’il s’agisse par exemple du droit à l’assistance d’un avocat, du droit de se taire, du principe du contradictoire (accès aux pièces du dossier pénal, ou participation à certains actes tels que des perquisitions)…

Laurent Vovard Avocat au Barreau de Paris https://vovard-avocat.com/
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