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L’action de groupe : un dispositif juridique tant attendu qui réduit le rôle des avocats.
Parution : jeudi 25 septembre 2014
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Après avoir été maintes fois promises, les actions de groupe, plus connues sous l’appellation américaine « Class Action » vont enfin pouvoir être lancées. Le décret d’application, concluant le processus législatif du dispositif, est paru le 26 septembre 2014 et est entré en vigueur le 1er octobre 2014. Le texte est toutefois loin de réjouir les acteurs concernés dans la mesure où seuls les associations de consommateurs semblent en retirer des avantages.

L’action de groupe : de quoi s’agit-il ?

Le 2 mai 2013, l’action de groupe a fait ses premiers pas en droit français lors de la présentation du projet de loi de Benoit Hamon, Ministre de l’Economie sociale et solidaire et de la Consommation en conseil des ministres. Cette nouvelle procédure, mesure phare du texte, permettra à des consommateurs s’estimant victimes d’une même fraude de la part d’une entreprise de se regrouper pour obtenir réparation de leur éventuel préjudice. Un grand nombre de plaintes individuelles seraient ainsi fusionnées en une seule.

Pour cela, ils se tourneront vers des associations de consommateurs agréées nationales qui joueront un rôle de filtre, afin d’éviter des actions abusives et agiront en justice pour obtenir la réparation au nom des clients.

Cette mesure s’appliquera exclusivement aux « litiges du quotidien » c’est à dire ceux qui portent atteinte au droit de la consommation et au droit de la concurrence et engendrant un préjudice matériel. Il s’agit donc des litiges dont le montant est trop faible pour qu’une action individuelle soit entreprise devant la justice (domaine de la téléphonie mobile, de l’assurance, etc.). Les domaines de la santé et de l’environnement sont exclus du champ d’application du projet de loi. Les victimes de prothèses PIP ou du Mediator ne peuvent donc pas se regrouper pour faire une action de groupe tout comme il n’aurait pas été possible d’en faire une suite au naufrage de l’Erika. Benoit Hamon justifie ce choix en déclarant que cette procédure « est, par nature, moins adaptée à la réparation de préjudices corporels ou moraux, qui nécessitent des expertises individuelles ». Toutefois, l’idée d’étendre le champ d’application à ces préjudices n’est pas écartée définitivement puisque le ministre de l’Economie a précisé que « nous avons préféré procéder ainsi : d’abord une action en matière de consommation et concurrence, puis une évaluation du dispositif. Nous verrons alors s’il est possible de l’étendre à d’autres domaines ».

Outre le principe du dispositif, les députés de la Commission ont adopté un amendement en faveur d’une action de groupe dite « accélérée ». Les contentieux les plus simples sont visés c’est à dire ceux dont l’identité des consommateurs lésés peut être facilement connue. Ils se verront proposer une indemnisation sans qu’ils aient à entamer la moindre démarche.
Un autre amendement voté en Commission donne la capacité au juge d’ordonner l’exécution provisoire de la décision malgré les recours possibles du professionnel.

Pourquoi les avocats ne pourraient pas agir au nom des consommateurs ?

Ce texte octroie une place considérable aux associations des consommateurs au détriment de l’avocat. En effet, seules dix-sept associations de consommateurs ont la capacité exclusive d’organiser la procédure. Les avocats n’auront donc pas la faculté de coordonner une action de groupe mais uniquement celle de plaider pour ces associations. Les défenseurs du justiciable trouvent cela aberrant dans la mesure où le texte, en l’état, ne prévoit pas un nombre minimum de personnes nécessaire pour la constitution d’un groupe. Ainsi, une réunion de consommateurs pourrait être constituée que d’une seule personne ou encore une association aurait la compétence d’agir en justice sans réunir aucun plaignant.

L’exclusion de l’avocat dans la constitution de l’action de groupe est principalement due aux dérives que l’on peut constater aux États-Unis où les avocats récupèrent un gros pourcentage du montant alloué par les juges pour réparer le préjudice des consommateurs. Maître Kami Haeri, membre du conseil de l’ordre des avocats du Barreau de Paris, indique qu’ « une telle dérive a très peu de chances de se produire en France, tout simplement parce que le pacte de quota litis total, attribuant pour seule rémunération aux avocats un pourcentage du montant des indemnités, n’existe pas en France. ». De plus, aux États-Unis, les entreprises transigent énormément pour éviter une condamnation. Les avocats qui réunissent les victimes potentielles seraient plus intéressés par ce résultat qui leur permet d’accroitre leur gain en négociant entre eux une somme qui leur servira d’honoraires.

La procédure « Class Action » à la française présente de nombreuses failles selon les professionnels du droit. Au contraire du texte américain qui identifie, au jour du jugement, le nombre exact de consommateurs, la version française permet au consommateur de se manifester après que le juge ait rendu sa décision et ait fixé le montant de l’indemnisation. L’entreprise est donc dans l’incapacité de connaître en amont les coûts résultant d’une action et donc de faire face à cette conséquence financière.

Il est à noter que le décret d’application de la loi est venu préciser que l’avocat, mandaté par l’association, peut, avec l’autorisation du juge, procéder à la réception des demandes d’indemnisation des membres du groupe.

La mobilisation des professionnels du droit contre ce monopole.

La mise en place d’un monopole en faveur des associations de consommateurs a été très mal accueillie par les avocats.

En voulant exclure les avocats dans la mise en place de cette mesure, le gouvernement a ravivé la flamme brulant entre l’exécutive et les professionnels du droit. Ceux-ci y voient une nouvelle marque de « défiance » à leur égard. Christian Charrière-Bournazel, ancien président du Conseil national des barreaux, avait dénoncé en 2013 « la suspicion que cette loi manifeste, une fois de plus, à l’égard de la profession d’avocat. ». Il jugeait inacceptable « cette démarche, qui revient à faire juge de l’opportunité d’une action une association et non pas le professionnel qu’est l’avocat, heurte de front l’honneur même de la profession. ».

Christianne Féral-Schuhl, bâtonnier de Paris en 2013, regrette qu’ « à travers la négation de notre déontologie, c’est notre profession et notre serment qui sont dénigrés. », « négation » que les avocats ressentent depuis les conséquences des aveux de Jerôme Cahuzac.

Pierre-Yves Gautier, professeur de droit à l’Université Panthéon-Assas a estimé ce système «  contradictoire » avec le désir du gouvernement de supprimer l’interdiction aux avocats de pratiquer du démarchage.

NDLR : D’autres articles sur ce sujet sont à lire ici sur le Village de la justice.

Réginald Le Plénier _ Rédaction du Village de la Justice

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