Village de la Justice www.village-justice.com

La liberté de témoigner en justice protégée par la Cour de cassation dans le procès prud’homal. Par Marie-Paule Richard-Descamps, Avocat.
Parution : mardi 19 novembre 2013
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/liberte-temoigner-justice-protegee,15628.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Après avoir rappelé dans un arrêt du 25 septembre 2013 [1], en matière de courrier électronique, que la preuve des faits peut être établie par tous moyens de preuve lesquels sont appréciés souverainement par les juges du fond. [2]

La Cour de cassation vient de se prononcer en faveur de la protection du salarié qui a délivré une attestation à un autre salarié d’une part et de la recevabilité d’une attestation du responsable des ressources humaines, d’autre part,dans deux décisions récentes qui méritent d’être signalées :

1) Dans son arrêt du 29 octobre 2013 [3] la Haute Cour protège la liberté de témoigner en justice estimant qu’«  en raison de l’atteinte qu’il porte à la liberté fondamentale de témoigner, garantie d’une bonne justice, le licenciement prononcé en raison du contenu d’une attestation délivrée par un salarié au bénéfice d’un autre est atteint de nullité, sauf en cas de mauvaise foi de son auteur.  »

Dans cette espèce, un salarié animateur de réseaux avait été licencié pour faute grave pour avoir rédigé une attestation mensongère, selon son employeur, destinée à être produite dans le cadre d’un litige prud’homal concernant un autre salarié et d’avoir informé de cette démarche des collègues de travail.

La Cour d’appel de Riom avait estimé qu’il n’y avait pas lieu d’annuler le licenciement et avait débouté le salarié qui demandait sa réintégration :
« Attendu que, pour dire qu’il n’y avait pas lieu d’annuler le licenciement et débouter le salarié de sa demande de réintégration, l’arrêt énonce qu’au regard de la lettre de licenciement, le salarié a été licencié pour avoir rédigé une fausse attestation et informé ses collègues de travail de son intention de témoigner en faveur d’un autre salarié, en donnant ainsi une publicité à son opposition envers sa direction, de sorte que le licenciement ne reposant pas sur une atteinte à sa liberté de témoigner, il n’y avait pas lieu de l’annuler ».

L’arrêt est censuré par la Cour de cassation au visa -inédit- des articles 6 [Droit à un procès équitable] et 10 [Liberté d’expression] de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sur le fondement de la violation d’une liberté fondamentale : la liberté de témoigner.
Ainsi donc, le licenciement d’un salarié motivé par le fait qu’il a établi une attestation en faveur d’autre salarié est atteint de nullité sauf en cas de mauvaise foi de son auteur ; c’est la restriction posée par la Haute Cour qui a été amenée à préciser en matière de harcèlement moral que la mauvaise foi « ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce  » [4]

Cette décision s’inscrit dans le cadre de la protection spécifique que la loi accorde aux salariés qui témoignent de certains agissements tels que la discrimination ou encore le harcèlement et dans la lignée de la jurisprudence de la Cour de cassation avec l’arrêt "Clavaud" rendu 28 avril 1988 et l’arrêt "Hugues" rendu le 13 mars 2001 [5] s’attachant à rendre plus effective la protection des droits fondamentaux du travailleur en déclarant nul tout licenciement prononcé en violation de ses droits essentiels.

2) Dans son arrêt du 23 octobre 2013 [6] la Haute Cour, au visa des articles 201 et 202 du Code de procédure civile estime que la liberté de témoigner en justice peut également profiter à l’employeur.

Dans cette espèce, un salarié avait été licencié pour faute grave pour avoir refusé d’exécuter un ordre et pour insulte envers le supérieur hiérarchique. Dans le cadre de la procédure prud’homale, il avait contesté avoir reconnu les faits qui lui étaient reprochés lors de l’entretien préalable et niait avoir refusé d’exécuter les ordres de son supérieur.
L’employeur avait produit 4 attestations dont celle du RRH et d’une responsable de service qui avaient conduit l’entretien pour prouver que le salarié avait reconnu les faits lors de l’entretien préalable.
La Cour d’appel de Metz a estimé que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, l’arrêt retenant que, nul ne pouvant témoigner pour soi-même, il y avait lieu d’écarter des débats les attestations du responsable des ressources humaines et de la responsable de l’unité Fer, qui avaient représenté l’employeur lors de l’entretien préalable au licenciement.

L’arrêt est censuré par la Cour de cassation qui rappelle qu’en matière prud’homale la preuve est libre, que rien ne s’oppose à ce que le juge prud’homal examine une attestation établie par un salarié ayant représenté l’employeur lors de l’entretien préalable et qu’il appartient seulement à ce juge d’en apprécier souverainement la valeur et la portée.
Il convient de rappeler que dans une décision du 4 avril 2006 [7] la Cour de cassation a estimé que la circonstance qu’un salarié, agissant comme représentant de l’employeur, procède au licenciement d’un autre salarié n’est pas de nature à le priver de la liberté de témoigner en justice en faveur de la personne dont le contrat de travail a été rompu et son témoignage a été déclaré recevable.

En l’espèce, le salarié qui avait représenté l’employeur lors de la procédure de licenciement et signé la lettre de licenciement avait apporté ultérieurement au salarié licencié un témoignage qui pourtant contredisait les positions qu’il avait adoptées lors du licenciement.

Marie-Paule Richard-Descamps Avocat spécialiste en droit du travail Présidente de la Commission sociale du Barreau des Hauts de Seine https://www.cabinetrichard-descampsavocat.fr

[1Cass. soc., 25 septembre 2013, n°11-25.884 F-P+B, société AGL Finances c/Madame L…

[2Voir notre article du 23 octobre 2013 Procès prud’homal et moyens de preuve : http://www.village-justice.com/articles/Proces-homal-moyens-preuve,15464.html

[3Cass. soc . 29 octobre 2013 n°12-22447 FS-P+B+R

[4Cass. soc . 7 février 2012 n° 10-18035

[5Cass. soc., 13 mars 2001, n˚ 99-45.735

[6Cass. soc . 23 octobre 2013 n°12-22342 FS-P+B

[7Cass. soc . 4 avril 2006 n°04-44549

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion, plus d'infos dans nos mentions légales ( https://www.village-justice.com/articles/Mentions-legales,16300.html#droits ).