Village de la Justice www.village-justice.com

Quelques réflexions sur l’article 21 de la loi n°95-125 du 8 février 1995 définissant la notion de médiation. Par Serge Losappio, Avocat.
Parution : lundi 10 mars 2014
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/Quelques-reflexions-article-fevrier,16404.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

L’article 21 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995, tel que modifié par l’ordonnance n° 2011-1540 du 16 novembre 2011, elle-même portant transposition de la directive n° 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008, sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale, énonce que la médiation s’entend de tout processus structuré, quelle qu’en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers, le médiateur, choisi par elles ou désigné, avec leur accord, par le juge saisi du litige.

Cette définition se révèle être un facteur de confusion (I) alors même que la médiation revêt une réalité à la fois conceptuelle et pratique précise (II).

I. Une définition légale facteur de confusion.

La définition de la médiation donnée par le législateur a au moins l’avantage de l’œcuménisme. Elle permet en effet de prendre en compte l’ensemble des processus – le terme utilisé par le législateur impliquant la mise en œuvre d’une méthode précise – par lesquels des parties en conflit vont tenter de trouver un accord amiable, avec l’assistance d’un tiers, dans un contexte conventionnel comme judiciaire.

A cet égard, le positionnement de ce tiers dans la recherche et la définition éventuelle de l’accord final, autant que les spécificités des processus à l’œuvre, demeurent non précisés, c’est-à-dire ouverts à la plus grande diversité d’approches.

Et c’est bien là que réside le problème.

Car une définition, pour être utile, doit avant tout être opératoire. C’est-à-dire :

Or, la définition légale de la médiation, dont le champ d’application s’avère trop vaste (A) et qui répond à deux dénominations pourtant distinctes (B), ne satisfait aucune de ces exigences.

A. Une définition au champ d’application trop vaste.

En matière de médiation, le besoin d’une clarification législative n’a jamais été aussi prégnant. Le terme est en effet aujourd’hui couramment employé pour désigner des pratiques qui n’ont que peu de choses en commun les unes avec les autres en termes de concept comme de contexte, si ce n’est le principe du recours à un tiers pour « aider » à solutionner à l’amiable un conflit lato sensu.

Or, de ce point de vue, la définition légale n’arrange rien. En effet, force est de constater que peuvent indifféremment entrer dans la catégorie des médiations au sens de la loi, des pratiques aux approches aussi diverses – pour ne pas dire antinomiques – que celles du coaching, de la psychothérapie ou de la négociation raisonnée Harvard, en passant par tout et malheureusement parfois n’importe quoi.

Autant d’approches susceptibles par ailleurs d’impliquer un positionnement très variable du médiateur tant vis-à-vis des parties que dans le travail de définition de l’éventuelle solution au litige.

Dans ces conditions, peut-on encore véritablement parler d’un processus unique que l’on serait en droit de nommer « médiation » ?

Rien n’est moins sûr.

Mais le problème est plus vaste encore. Le législateur a en effet conféré une définition identique à une procédure à la dénomination distincte.

B. Une définition identique attachée à deux dénominations distinctes.

On peut noter que médiation et conciliation – deux dénominations différentes donc – reçoivent en droit français une définition identique.

En effet, l’article 1530 du Code de procédure civile (issu de l’article 2 du décret 2012-66 du 20 janvier 2012) définit la médiation et la conciliation conventionnelles comme « tout processus structuré, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord, en dehors de toute procédure judiciaire en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers choisi par elles qui accomplit sa mission avec impartialité, compétence et diligence ». Cet article se contente de reprendre en substance la définition donnée en l’article 21 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995, à laquelle il renvoie par ailleurs explicitement.

De sorte que l’on ne peut distinguer aujourd’hui médiation et conciliation qu’au regard de leurs contextes et acteurs spécifiques. C’est-à-dire pas sur le fond. Dès lors, on peut se demander si l’usage de deux dénominations est encore justifié...

De quoi renforcer quoi qu’il en soit une confusion générale déjà profonde, tout en appuyant l’argument de bien des magistrats, relatif à l’inutilité d’un processus de médiation censé – au moins sous son volet judiciaire – faire double emploi avec une procédure – la conciliation – dont ils ont déjà vocation à faire pleinement usage.

Trop englobante, une définition vire au « fourre-tout », et par là, perd tout intérêt.

A vouloir que tout soit médiation, la médiation n’est plus rien.

L’absence tant d’un statut légal de médiateur que d’un diplôme d’État (autre que le DEMF s’entend) contribue également à la confusion actuelle, on en conviendra.

L’enjeu est pourtant fondamental. Il en va du développement de la médiation en France comme mode alternatif de règlement des différends (MARD) à part entière. En pratique en effet, ce défaut de précision du législateur, parce qu’il entretient un flou relatif, et dès lors un manque de « visibilité » de la médiation, risque fort d’en freiner le développement en pérennisant un défaut de confiance des justiciables comme des magistrats et des avocats.

Cette situation n’a pourtant rien d’une fatalité. La médiation recouvre en effet une réalité à la fois conceptuelle et pratique précise et distincte, dont il serait bon de tenir compte dans la définition même de ce MARD.

II. Une réalité conceptuelle et pratique spécifique.

Chronologiquement, le médiateur suit une démarche qui se décompose en deux temps (A). Cette démarche implique un travail sur l’architecture du conflit (B).

A. Le médiateur : une démarche en deux temps.

La médiation est une procédure par laquelle un tiers compétent et formé, le médiateur, expert en communication et gestion de conflits, indépendant et impartial, va mettre en œuvre un processus structuré tout à fait spécifique, nommé "modèle de médiation". Il existe aujourd’hui deux modèles majeurs de médiation : le modèle HARVARD et le modèle FIUTAK.

Un modèle de médiation décrit un processus balisé, progressif, logique, ayant vocation à permettre aux parties de quitter une situation d’origine dans laquelle tout dialogue est interrompu (compromettant toute négociation directe) pour atteindre une situation où la communication est restaurée, et dès lors devient possible la négociation des parties en vue d’un accord.

Sa mise en œuvre va donc permettre de conduire des parties en conflit :

De cela, il suit que la médiation se caractérise par deux éléments fondamentaux :

Cette seconde caractéristique est par ailleurs ce qui distingue la médiation de la conciliation, laquelle implique un véritable travail d’orientation et de conseil de la part du conciliateur.

Quant au mouvement qui permet au médiateur de conduire les parties d’abord à communiquer, puis à négocier, il est rendu possible par un travail sur « l’architecture du conflit ».

B. La médiation : un travail sur l’architecture du conflit

Un modèle de médiation implique d’identifier et de travailler sur ce que l’on peut appeler « l’architecture du conflit », c’est-à-dire l’ensemble des éléments complexes et hiérarchisés qui, au-delà des exigences/demandes formelles de chacun, sous-tendent, structurent et nourrissent le conflit de façon souvent occulte.
Cette structure du conflit – cette architecture – le médiateur doit d’abord la définir. L’identifier donc.

Par suite, il va la travailler.

C’est à dire :

Là où demandes/exigences formelles sont inconciliables par nature (d’où le conflit...), les besoins et/ou intérêts sous-jacents ne le sont pas nécessairement. Ce qui rend possible, en travaillant exclusivement à ces niveaux, une véritable démarche de recherche d’un accord pérenne.

Conclusion :

On voit bien que ce qui permet très simplement – et schématiquement – de distinguer médiation conciliation ou encore arbitrage, autant de modes alternatifs de règlement de différends qui font appel à un tiers, c’est fondamentalement le positionnement de ce tiers (médiateur ; conciliateur ; arbitre) dans l’élaboration de la solution.

Dans le cadre de l’arbitrage, il tranche le litige et impose sa solution aux parties.

Dans le cadre de la conciliation, s’il n’impose rien, il oriente en revanche la solution par un certain nombre de conseils.

En matière de médiation enfin, ce tiers n’intervient tout simplement pas dans la recherche et la définition de la solution.

De sorte que la définition légale de la médiation gagnerait beaucoup à intégrer sinon la nature exacte du processus mis en œuvre – tel que décrit par un modèle de médiation – à tout le moins ce positionnement tout à fait spécifique du médiateur.

Serge Losappio, Avocat au Barreau de Paris Médiateur Président de l’IUMA Co-Directeur du D.U. Médiation (Nice) Chargé d’enseignements à la Faculté de Droit et Science politique (U.N.S.) www.institut-ulysse.com

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion, plus d'infos dans nos mentions légales ( https://www.village-justice.com/articles/Mentions-legales,16300.html#droits ).

Comentaires: