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Coupe du monde 2014 : il est juridiquement possible de contester la sélection nationale. Par Stanislas François, Avocat.
Parution : jeudi 22 mai 2014
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C’est par le biais de tweets aussi vulgaires que stupides que la compagne d’un footballeur non sélectionné pour la prochaine coupe du monde de football a récemment manifesté son désaccord sur la liste des joueurs retenus par le sélectionneur national pour participer à la compétition.

Elle a choisi une voie médiatique, le recours à la bêtise et à l’injure gratuite pour manifester son désaccord.

Mal lui en a pris ! Une contestation devant le juge était pourtant possible. La liste des joueurs sélectionnés en équipe nationale ne constitue ni un acte de gouvernement ni une mesure d’ordre intérieur, par principe, elle n’échappe pas au contrôle du juge.

Il est juridiquement possible de contester devant le juge administratif une décision de sélection prise par une fédération sportive.

En application de l’article L. 131-14 du Code du sport, la fédération française de football, association loi 1901, est délégataire de service public. En cette qualité, la fédération organise les compétitions sportives, procède aux sélections correspondantes et propose l’inscription sur les listes de sportifs, d’entraîneurs, d’arbitres et juges de haut niveau [1].

C’est donc en agissant en tant que délégataire de service public que la fédération française de football, par l’intermédiaire de son sélectionneur, a arrêté la liste des 30 joueurs français pré-sélectionnés pour participer au prochain mondial brésilien.

Dès 1938 [2], le Conseil d’État avait admis que des personnes morales de droit privé pouvaient gérer des missions de service public et que les actes pris dans le cadre de cette gestion étaient susceptibles d’être contestés devant le juge administratif.

Concernant les fédérations sportives, le Conseil d’État a considéré que « dans le cadre de l’exécution de leur mission de service public, les décisions prises par les délégataires mentionnés à l’article L. 131-14 sont des décisions administratives dès lors qu’elles procèdent de la mise en œuvre de prérogatives de puissance publique conférées à cette personne pour l’accomplissement de la mission de service public qui lui a été confiée » [3].

Différents actes pris par les fédérations et qui se rattachent à l’exercice de leur mission de service public sont donc attaquables devant le juge administratif.

• Les sanctions prises par une fédération sportive à l’encontre d’un de ses licenciés peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif.

C’est ainsi que Leonardo, ancien directeur sportif du Paris Saint-Germain, a pu contester devant le Tribunal administratif de Paris la sanction par laquelle la commission supérieure d’appel de la Fédération française de football avait prononcé sa suspension jusqu’au 30 juin 2014 de toute activité sportive dans la discipline du football en France.

Par un arrêt du 28 avril 2014 [4], le Conseil d’État a suspendu la décision de la fédération française de football au motif que l’ancien directeur sportif du Paris Saint Germain n’était tout simplement pas titulaire d’une licence délivrée par la fédération.

• Le choix de l’équipementier de l’Equipe de France a pu également être contesté. Le juge administratif a sanctionné la disposition du règlement de la fédération française de football obligeant équipes participant à la Coupe de France de revêtir les tenues de l’équipementier partenaire de la fédération [5].

Il a considéré à cet effet que l’exclusivité ainsi octroyée à un équipementier n’était pas justifiée par un intérêt général au regard de la mission de service public confiée à la FFF et qu’elle constituait alors un détournement de pouvoir. C’est ainsi qu’à compter de l’édition 2006-2007, les clubs ont pu disputer la Coupe de France avec leurs propres partenaires techniques, sans nécessairement revêtir des maillots « adidas ».

• Concernant les décisions sportives proprement dites, le juge refuse de s’immiscer dans l’appréciation technique du jeu.

Les décisions prises en matière d’arbitrage sont insusceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir [6]. Le contrôle du juge ne saurait contrôler dans l’appréciation des règles du jeu tant des arbitres que des organes de la fédération [7].

En revanche, le choix des joueurs appelés en sélection nationale n’est pas étranger à tout contrôle du juge.

Par un arrêt du 8 avril 2013 [8], le Conseil d’État a considéré que les décisions prise par les fédérations délégataires sur le fondement de l’article L. 131-14 du Code du sport « relatives à la sélection des sportifs dans les équipes nationales, qu’elles aient pour effet de permettre cette sélection ou d’y faire obstacle, procèdent de la mise en œuvre des prérogatives de puissance publique qui ont été conférées à ces fédérations pour l’accomplissement de leur mission de service public et présentent, par suite, le caractère d’actes administratifs ».

Dans cette affaire, le Conseil d’État était saisi par un sportif sollicitant de sa fédération l’autorisation de quitter l’équipe de France de bobsleigh pour pouvoir participer aux compétitions sportives internationales au sein de l’équipe présentée par la fédération monégasque.
Saisi d’un acte administratif, le juge a pu annuler le refus de la fédération française des sports de glace de retirer l’intéressé de la sélection nationale.

Cette demande était adressée sur le fondement de l’article 3 du règlement de septembre 2007 de la fédération internationale de bobsleigh et de tobogganing aux termes duquel un athlète ne peut représenter qu’une seule nation durant n’importe quelle saison de compétition.

Si l’annulation contentieuse d’une telle décision est possible, en revanche, les mérites sportifs des sélectionnés ne sont pas invocables. Si le juge peut contrôler que la fédération s’est appuyée sur des critères sportifs pour procéder à sa sélection, en revanche, il ne lui appartient pas de se prononcer sur l’appréciation qu’elle porte dans le cadre de l’examen des critères de sélection [9].

• En tout état de cause, le recours pour excès de pouvoir, s’il devait aboutir à l’encontre de la liste des joueurs français sélectionnés pour partir au Brésil s’avérerait particulièrement inefficace. La FIFA ayant demandé que le nom de 30 joueurs soit communiqué le 13 mai dernier au plus tard, l’annulation éventuelle de la sélection par le juge ne permettrait pas de faire parvenir une nouvelle liste à la FIFA.

Toutefois, il convient de souligner que les décisions que prennent les fédérations dans l’exercice de prérogatives de puissance publique peuvent entraîner la mise en cause de leur responsabilité [10].

Ainsi, à supposer que des irrégularités fussent commises dans la sélection établie, un préjudice résultant de la perte d’une chance d’être sélectionné en qualité de membre de l’équipe de France serait indemnisable.

Il pourrait être invoqué par exemple le recours à des critères de sélection étrangers à l’appréciation de la valeur sportive d’un joueur ayant entraîné pour l’un d’entre eux une perte de chance d’être sélectionné. C’est ainsi que dans un tweet du 13 mai dernier, le sélectionneur national a été accusé de racisme dans la composition de l’équipe. L’allégation demeure néanmoins particulièrement délicate à prouver, notons que le Conseil d’Etat a récemment considéré dans une affaire que le moyen tiré de ce que la non sélection d’un sportif était motivée par ses origines n’était pas de nature à permettre l’admission d’un pourvoi [11].

Dès lors, outre le fait générateur, il ne reste plus qu’à déterminer pour les requérants potentiels un lien de causalité et la teneur de cette perte de chance.

Vous pouvez retrouver des informations complémentaires sur cette question sur le site du Point :
http://www.lepoint.fr/sport/football/mondial-2014-et-si-on-pouvait-attaquer-en-justice-la-liste-de-deschamps-23-05-2014-1826984_1858.php

Stanislas François Avocat au Barreau de Lyon www.francois-avocat.com [->contact@francois-avocat.com]

[1Article L. 131-15 du Code du sport et article 1 des statuts de la FFF

[2CE 13 mai 1938, Caisse primaire Aide et Protection, Rec. p. 417.

[3CE 8 avril 2013, Fédération française des sports de glace, n° 351735.

[4CE 28 avril 2014, Fédération française de football, n° 373051.

[5CE 3 avril 2006, Société Nike, n° 271885.

[6CE 26 juillet 1985, Association sportive d’Erstein, n° 51625.

[7CE 29 septembre 2003, Société UMS Pontault-Combault Handball, n° 248140.

[8CE 8 avril 2013, Fédération française des sports de glace, n° 351735, précité.

[9CAA Paris, 18 février 2013, Fédération française des sports de glace, n° 11PA01618.

[10CAA Paris, 8 avril 2003, Fédération française de handball, n° 02PA03458.

[11CE 5 mars 2014, M. Marie-Calixte, n°374165.

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