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CDD d’usage : définition, conditions, sanctions. Par Anthony Chhann, Avocat et Réda Bey, Juriste.
Parution : lundi 25 août 2014
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Le CDD d’usage est synonyme de souplesse pour l’employeur mais peut être source de précarité pour le salarié. Le recours à ce type de contrat est donc strictement encadré. Il n’est possible que dans certains secteurs d’activité afin de pourvoir des emplois pour lesquels il est d’usage constatant de ne pas recourir au CDI en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois. En aucun cas le CDD d’usage ne peut être utilisé pour pourvoir des emplois liés à l’activité normale et permanente de l’entreprise, sous peine de sévères sanctions.

En droit du travail français, le CDI est la forme normale et générale de la relation de travail et le CDD l’exception. Les cas dans lesquels il est permis d’employer des salariés en CDD sont strictement encadrés par la loi. Le non-respect de ces règles peut entraîner la requalification du contrat en CDI à la demande du salarié et expose l’employeur à des sanctions civiles et pénales.

Parmi les cas de recours au CDD autorisés par la loi figure le CDD dit d’usage. Ce type de contrat est particulièrement avantageux pour l’employeur :

S’il présente une importante souplesse du point de vue de l’employeur, le CDD d’usage peut être source de grande précarité pour le salarié. Le recours à ce type de contrat de travail est donc encadré par des règles strictes et sévèrement sanctionnées.

Définition.

Selon l’article L. 1242-2, 3° du code du travail, le recours au CDD est autorisé en vue de pourvoir les emplois pour lesquels, dans certains secteurs d’activité définis par décret ou par convention ou accord collectif de travail étendu, il est d’usage constant de ne pas recourir au CDI en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois.

Conditions de validité.

1) Secteur d’activité.

De la définition précitée s’évince une première condition : le recours au CDD d’usage n’est possible que dans des secteurs d’activité déterminés.

La liste des secteurs d’activité concernés définie par décret figure à l’article D. 1242-1 du code du travail. Sont visés :

Cette liste peut être complétée par voie de conventions ou d’accords collectifs de travail étendus. On peut mentionner, par exemple, la convention collective du personnel des prestataires de services dans le domaine du secteur tertiaire du 13 août 1999 (accueil événementiel, animation commerciale, etc.), la convention collective des organismes de formation du 10 juin 1988, la convention collective des casinos du 29 mars 2002 ou encore la convention collective de la manutention portuaire du 31 décembre 1993.

En dehors des secteurs d’activité couverts par le décret ou par une convention ou un accord collectif, le recours au CDD d’usage n’est pas permis.

En outre, il doit s’agir de l’activité principale réellement exercée par l’entreprise. Le juge doit le vérifier sans s’arrêter à la mention de la convention collective figurant dans le contrat de travail ou sur les bulletins de paie (Cass. soc., 27 septembre 2006, n° 04-47.663 : Bull. civ., V, n° 289).

Le fait que la tâche confiée au salarié corresponde à l’une des activités visées ne saurait suffire dès lors qu’il ne s’agit pas de l’activité principale de l’entreprise (Cass. soc., 2 juin 2004, n° 01-45.906 ; Cass. soc., 11 mars 2009, n° 07-43.670).

2) Usage constant de ne pas recourir au CDI

Il ne suffit pas que l’activité principale de l’entreprise corresponde à l’un des secteurs dans lesquels le recours au CDD d’usage est autorisé. Il est en outre nécessaire qu’il soit effectivement d’usage constant dans le secteur d’activité en cause de ne pas recourir au CDI pour l’emploi considéré (Cass. soc., 24 septembre 2008, n° 06-43.530 : Bull. civ., V, n° 174 ; Cass. soc., 2 avril 2014, n° 12-29.549).

En cas de litige, il appartient à l’employeur de prouver l’existence d’un tel usage (Cass. soc., 16 mai 2007, n° 05-45.093).

L’existence d’un usage constant de ne pas recourir au CDI s’apprécie au niveau du secteur d’activité dans son ensemble, mais cette appréciation doit être faite pour chaque catégorie d’emploi.

Par exemple, il a pu être jugé que, dans le secteur de l’enseignement, l’emploi de formateur n’est pas de ceux pour lesquels il est d’usage constant de ne pas recourir au CDI (Cass. soc., 26 novembre 2003, n° 01-44.263 : Bull. civ., V, n° 298).

3) Emploi temporaire par nature

Le CDD d’usage ne peut être utilisé pour pouvoir n’importe quel emploi ; il doit s’agir d’un emploi présentant un caractère par nature temporaire et non d’un emploi lié à l’activité normale de l’entreprise et présentant un caractère permanent.

Aux termes de l’article L. 1242-1 du code du travail, un CDD, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.

D’ailleurs, les dispositions de l’article L. 1242-2, 3° du code du travail se réfèrent expressément au « caractère par nature temporaire » des emplois en cause.

En outre, l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée du 18 mars 1999, mis en œuvre par la directive européenne 1999/70/CE du 28 juin 1999, prévoit que l’utilisation des CDD doit être fondée sur des raisons objectives afin de prévenir les abus.

Après quelques hésitations, la chambre sociale de la Cour de cassation affirme aujourd’hui avec la plus grande fermeté que l’accord-cadre du 18 mars 1999 impose de vérifier que le recours à des CDD successifs est justifié par des raisons objectives qui s’entendent de l’existence d’éléments concrets et précis établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi (Cass. soc., 23 janvier 2008, n° 06-44.197 : Bull. civ., V, n° 2 ; n° 06-43.040 : Bull. civ., V, n° 1 ; Cass. soc., 19 juin 2008, n° 06-45.167 ; Cass. soc., 16 septembre 2009, n° 07-42.872 ; Cass. soc., 5 mai 2010, n° 08-43.078 ; Cass. soc., 26 mai 2010, n° 08-43.050 ; Cass. soc., 24 avril 2013, n° 12-14.844).

De son côté, la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui est amenée à connaître de la question lorsque l’employeur est l’objet de poursuites pénales, n’a jamais varié. Elle juge que même lorsqu’il est conclu dans l’un des secteurs d’activité autorisés, un CDD d’usage ne peut avoir d’autre objet que de pourvoir un emploi présentant par nature un caractère temporaire (Cass. crim., 25 janvier 2000, n° 99-81.628 ; Cass. crim., 27 novembre 2001, n° 01-80.380 : Bull. crim., n° 247 ; Cass. crim., 6 mai 2008, n° 06-82.366 : Bull. crim., n° 105).

En cas de litige, il appartient à l’employeur d’établir le caractère temporaire de l’emploi concerné (Cass. soc., 24 septembre 2008, n° 06-43.530 : Bull. civ., V, n° 174).

La détermination par accord collectif, en l’espèce la convention collective des organismes de formation du 10 juin 1988, de la liste précise des emplois pour lesquels il peut être recouru au CDD d’usage ne dispense nullement le juge, en cas de litige, de vérifier concrètement l’existence de raisons objectives établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi considéré (Cass. soc., 30 novembre 2010, n° 09-68.609, n° 09-68.612 : Bull. civ., V, n° 269).

De même, la qualification de « contrat d’extra » prévue par la convention collective des hôtels, cafés, restaurants du 30 avril 1997 ne saurait à elle seule justifier le recours au CDD d’usage pour tout poste et en toute circonstance. L’employeur doit établir qu’il est effectivement d’usage constant de ne pas recourir au CDI pour l’emploi considéré, et que le recours à des contrats successifs est justifié par des raisons objectives qui s’entendent de l’existence d’éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi (Cass. soc., 24 septembre 2008, n° 06-43.530 : Bull. civ., V, n° 174).

À titre d’exemple, le recours au CDD d’usage a été jugé illicite dans les cas suivants :

4) Contrat écrit comportant la définition précise de son motif

Le CDD doit obligatoirement être établi par écrit et comporter la définition précise de son motif. À défaut, il est réputé conclu pour une durée indéterminée (article L. 1242-12, al. 1er du code du travail).

Le recours au CDD d’usage ne dispense pas l’employeur d’établir un contrat écrit comportant la définition précise de son motif (Cass. soc., 17 septembre 2008, n° 07-42.580 ; Cass. soc., 7 mars 2012 n° 10-19.073 : Bull. civ., V, n° 86).

L’indication des fonctions exercées par le salarié ou des tâches pour lesquelles il a été engagé n’est pas suffisante (Cass. soc., 5 mai 2009, n° 07-43.499). Le contrat doit préciser clairement qu’il s’agit d’un CDD d’usage. En l’état de la jurisprudence, il est même permis de se demander s’il ne doit pas s’expliquer sur le caractère par nature temporaire de l’emploi considéré.

Sanctions

En cas de méconnaissance des règles qui ont été évoquées le contrat de travail est réputé à durée indéterminée (article L. 1245-1 du code du travail).

Le salarié peut par conséquent demander la requalification de son contrat de travail en CDI. Il bénéficie pour ce faire d’une procédure accélérée : l’affaire est directement portée devant le bureau de jugement du conseil de prud’hommes (sans conciliation préalable), qui doit statuer au fond dans un délai d’un mois suivant sa saisine (article L. 1245-2, al. 1er du code du travail).

Lorsque le salarié voit sa demande de requalification accueillie, le contrat de travail est réputé à durée indéterminée dès l’origine. Le salarié a en outre droit à une indemnité de requalification égale au minimum à un mois de salaire (article L. 1245-2, al. 2nd du code du travail).

L’action en requalification du CDD n’implique évidemment pas de mettre fin à la relation de travail ; le salarié peut parfaitement l’exercer en restant en poste. Cela dit, dans la pratique, l’action est souvent exercée par le salarié lorsque l’employeur refuse de renouveler le contrat. En pareil cas, la situation s’analyse en un licenciement qui est nécessairement sans cause réelle et sérieuse et ouvre droit pour le salarié aux indemnités correspondantes :

Au plan pénal, l’employeur encours une amende de 3 750 euros ou une amende de 7 500 euros et 6 mois d’emprisonnement en cas de récidive (articles L. 1248-1 à L. 1248-11 du code du travail). Pour les personnes morales, l’amende est multipliée par 5 (article 131-38 du code pénal). Soit, 18 750 euros ou 37 500 euros en cas de récidive.

Anthony CHHANN Avocat au Barreau de Paris Réda BEY Diplômé notaire

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