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Retrait d’une nativité dans un espace public : un révélateur du manque d’enracinement de notre société.
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Parution : samedi 6 décembre 2014
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Le Tribunal Administratif de Nantes a ordonné au Conseil Général de la Vendée de retirer une crèche installée à l’occasion de Noël dans le hall du bâtiment départemental. Analyse des motifs de la décision qui révèle un manque d’enracinement de notre société.
Le Tribunal Administratif de Nantes vient d’ordonner le retrait d’une crèche installée habituellement chaque année dans le hall du Conseil Général de la Vendée. Pour le juge administratif, la crèche est un « emblème religieux » incompatible avec le principe de « neutralité du service public ».
En juriste, je cherche à déterminer la cause impulsive et déterminante, c’est-à-dire la raison première d’un tel jugement. La cause du jugement n’est pas celle du respect de la laïcité. Elle est plus enfouie. La décision rendue résulte en réalité d’un déracinement profond d’une partie de la société.
L’enracinement, besoin le plus important de l’âme humaine
L’enracinement, comme l’a rappelé Simone Weill est peut être un des besoins les plus importants de l’âme humaine. "Chaque être humain a besoin d’avoir de multiples racines. Il a besoin de recevoir la presque totalité de sa vie morale, intellectuelle, spirituelle, par l’intermédiaire des milieux dont il fait naturellement partie" [1].
Il est donc nécessaire que les juges tiennent compte de ce besoin fondamental d’enracinement. Ainsi, ce qui est demandé aux juges n’est pas de produire un raisonnement juridique aussi rigoureux soit-il mais de rendre la Justice, ce qui suppose de la profondeur et le sens de la destinée humaine.
La tradition de la crèche
D’origine chrétienne, la tradition de la crèche a été adoptée depuis longtemps pour représenter Noël. Les nativités s’exposent non seulement dans les églises, mais aussi dans les maisons, les bâtiments publics et parfois dans les centres commerciaux. Elles révèlent également les traditions locales des régions ou des pays qui y incluent des éléments propres à leur histoires et coutumes locales.
La crèche est donc une des racines qui nourrit la vie des citoyens de notre pays au moment de Noël. Interdire la crèche dans les espaces de vie publics au moment de Noël, c’est se couper d’une nourriture importante, culturelle pour certains et spirituelle pour d’autres.
Les causes du déracinement
Comment en est-on arrivé là ? Simone Weill a écrit qu’une des causes du déracinement réside dans l’instruction telle qu’elle est conçue aujourd’hui. Elle évoque la culture "qui s’est développée dans un milieu très restreint, séparé du monde, dans une atmosphère confinée, une culture considérablement orientée vers la technique et influencée par elle, très teintée de pragmatisme, extrêmement fragmentée par la spécialisation, tout à fait dénuée à la fois de contact avec cet univers-ci et d’ouverture vers l’autre monde".
Protéger ses racines
Nous sommes d’accord : "si se glorifier de ses ancêtres (et j’ajouterais de leurs traditions), c’est chercher dans les racines des fruits que l’on devrait trouver uniquement dans les branches, " (Madame Lorand), il n’en reste pas moins que sans racines, on ne peut porter du fruit.
Il n’est donc infructueux de chercher à retirer nos crèches des espaces publics.
Loïc Tertrais, Avocat, Barreau de Rennes Cabinet AVOXA https://www.avoxa.fr/avoxa/loic-tertrais/[1] Simone Weill- L’enracinement – Editions Gallimard - collection Folio Essais - 1990
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Cher Me Lettret
que ne fût ma surprise lorsque je lis vos propos sur la présence d’une crèche dans un espace public. En juriste orthodoxe, vous devriez défendre une telle décision fondée, mais vous préférez diffuser vos idées fort prosélyte. En effet lorsqu’on est l’auteur d’articles conservateurs dans le journal famille chrétienne, il convient de s’abstenir de donner des arguments de moralité à cette décision et surtout de révéler de manière cachée vos convictions profondes.
Vous évoquez l’enracinement mais lequel celui d’une société chrétienne qui fait le déni des autres confessions ?
bien à vous,
Cher Monsieur, Chère Madame,
Evitez tout d’abord toute rhétorique d’exclusion : article conservateur, prosélyte.....je ne vois pas de quoi vous parlez .
Mais avocat, chantre de la liberté, et de fait s’autorisant juste à exposer ce que je pense, oui ! Que beaucoup ne soient pas d’accord avec moi, rien de plus normal. Liberté ! Surtout dites moi en quoi vous n’êtes pas d’accord avec moi. Je peux me tromper. Vous pouvez m’apportez des éléments qui me permettront d’appronondir ou d’infléchir ma réflexion.
Sentiments dévoués.
Loïc TERTRAIS
Je partage tout à fait votre point de vue mon cher Maître et on ne peut que déplorer cette conception intolérante de la laïcité. Le passé existe et notre identité est faite certes des principes de la République mais aussi de 2 000 ans de christianisme . Ceux qui défendent tant les droits de l’Homme et le principe d’EGALITE oublient un peu trop facilement que c’est précisément le christianisme qui fut le premier à le mettre en avant et à le faire respecter souvent contre les différents pouvoirs temporels. Certes l’Église a commis bien des erreurs au cours de son histoire mais le principal message de l’Évangile et l’exemple du Christ ne peuvent guère être oubliés et cette fameuse "morale laïque" ferait bien de s’en inspirer davantage. Pour certains la laïcité doit devenir une nouvelle religion (voir les propos tenus par Vincent Peillon) et l’intolérance à présent c’est eux qui la pratiquent.
L’opinion publique dans son ensemble ne trouve nullement choquant la présence de crèches où que ce soit sauf peut-être dans certains espaces où effectivement elle serait mal venue.
N’oublions jamais ce que notre histoire, notre identité et nos principes de liberté et d’égalité doivent au message de l’Evangile et à des siècles de christianisme.
Bravo pour votre article.
Cher Maître,
Le point de vue que vous exprimez, en tant qu’homme et croyant, est éminemment respectable, outre qu’il est plus intéressant et enrichissant que les inévitables "réactions" (ou récupérations) politiciennes qui, au nom de la tolérance, ne tolèrent pas les opinions contraires ou divergentes.
Mais il me semble plus contestable que vous présentiez ce point de vue comme étant l’analyse des motifs du jugement du tribunal administratif, dont la cause ne serait pas, écrivez-vous, celle du respect de la laïcité.
Autant que l’on sache, le tribunal s’est référé à la loi, en l’occurrence celle de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État, et a fait application de cette loi en considérant que la crèche de Noël était un emblème religieux et n’avait donc pas sa place dans le hall d’un Conseil Général.
Saisi régulièrement d’un recours, il se devait d’y répondre, non en fonction des sentiments personnels de ses juges, mais en fonction de la loi.
C’est faire à ce tribunal un mauvais procès d’intention que de considérer que, derrière les motifs juridiques de sa décision, il a entendu procéder à un déracinement quelconque. Le jugement que vous contestez ne remet en cause aucune religion ni aucune tradition. Il ne prône même pas l’athéisme mais fait prévaloir la laïcité, laquelle garantit au contraire la libre expression de toutes les religions et induit en effet le principe de neutralité du service public.
Que la crèche fasse partie de la tradition de Noël ne lui fait pas perdre sa forte symbolique religieuse. La nativité est un évènement majeur et fondateur de la chrétienté et il me semble contradictoire de la placer, au risque de la désacraliser, au même rang que le sapin, les guirlandes et le père noël.
Et il n’est pas douteux que les administrations publiques de l’État ou des collectivités territoriales sont, quelles que soient l’appartenance politique et/ou les convictions religieuses de ceux qui en sont momentanément responsables, tenues plus que d’autres à cette exigence de neutralité dans les locaux qu’elles destinent à l’accueil de tous les citoyens.
Benoît Van de Moortel
Cher Monsieur,
Je vous remercie pour votre contribution. Ce que je cherchais à dire dans mon article n’était pas tant à analyser les motifs duTribunal Administratif que de de dire qu’une telle décision reflétait une réalité d’une partie de notre société : son déracinement,alors que selon l’expression de Simone Weill, l’enracinement est un besoin fondamental de l’homme.
En droit, la question a déjà été examinée par la Cour Euopéenne des Droits de l’Homme en 2011 : La Cour Européenne des droits de l’Homme, a précisé dans un arrêt Lautsi du 18 mars 2011 qui concernait la présence de crucifix dans les écoles publiques d’Italie, « …qu’une "règlementation donnant à la religion majoritaire du pays une visibilité prépondérante" ne suffit pas à caractériser une atteinte au principe de neutralité. Il en va de même lorsqu’il s’agit d’une simple tradition ou d’un usage. " Dès lors comme un crucifix dans une école publique d’un pays de tradition chrétienne, la présence d’une crèche dans le hall dun conseil général ne serait pas contraire au principe de neutralité en appplication de cette jurisprudence.
Mais ce que je voulais signifier, par mon article était, au delà d’un débat juridique, ce besoin d’enracinement de l’homme, qui se rourrit par capillarité des traditions religieuses et culturelles qui l’entourent. Nous sommes enpays de tradition chrétienne.La crèche a une signification spiritelle forte pour les Chrétiens et participe à leur enracinement. La crèche a également une signification traditionelle/culturelle pour un non chrétien. Elle nourrit également son besoin d’enracinement d’une autre manière.
Antoine de SAINT EXUPERY ne criait-il déjà pas ce manque de racines quand il écrivait : "On ne peut plus vivre de frigidaire, de politique, de bilans et de mots croisés...On ne peut plus vivre sans poésie… sans couleur ni amour."
Sentiments dévoués.
Loïc TERTRAIS
Merci de votre réponse qui confirme l’intérêt qu’on peut trouver à discuter avec vous. Je me disais aussi qu’un homme qui aime le vélo et le beau langage ne pouvait pas être complètement mauvais.
Croyez bien que je partage totalement votre analyse sur les bienfaits de l’enracinement (dès lors qu’il permet de croître, de respirer et de fructifier et qu’il ne se confond pas avec l’enlisement) et que, comme Saint-Exupéry, je préfère la poésie aux bilans comptables et l’amour à la politique.
Croyez bien aussi que je suis moi-même très attaché à la tradition de la crèche de noël, que j’ai plaisir à l’installer chez moi chaque année, et que je garde un souvenir ému et émerveillé de celle de l’église de mon enfance (et de l’ange qui remerciait de la tête quand on glissait une pièce dans son escarcelle), comme de la messe de minuit qui avait lieu à minuit et que je servais fièrement revêtu d’une jolie soutane rouge ornée d’un impeccable surplis brodé.
A l’époque, la crèche était dans l’église, le sapin devant la mairie, le père noël devant les magasins, les habitants faisaient ce qu’ils voulaient chez eux et ça semblait satisfaire tout le monde. Et pourtant, la religion catholique était encore plus dominante en France qu’elle ne l’est maintenant.
Pour en revenir à des considérations plus actuelles et plus juridiques, vous avez raison d’évoquer la jurisprudence de la CEDH qui montre que rien n’est acquis en ce domaine. Je ne suis cependant pas certain qu’on puisse traiter pareillement les crucifix installés à demeure depuis des lustres dans nombre de salles de classe italiennes et les crèches installées au moment de Noël dans quelques bâtiments administratifs publics français à l’initiative de responsables politiques qui, pour certains, ne prônent pas par ailleurs particulièrement l’amour du prochain.
Je persiste à penser qu’en la circonstance le tribunal administratif a fait une exacte application de la loi du 9 décembre 1905 dont la constitutionnalité ne paraît pas avoir été, à ce jour, remise en cause (au contraire si l’on se réfère à la décision du Conseil Constitutionnel du 21 février 2013 sur le maintien, par exception, du concordat en Alsace-Moselle).
Je ne vois, dans le retrait d’une crèche du Conseil Général de Vendée, aucun signe de déracinement de notre société. Les églises sont, elles aussi, ouvertes à tous, croyants et non-croyants, et elles constituent un assez bel écrin pour cette belle tradition de la nativité, à l’abri des détournements et des arrières-pensées. Et chacun fait toujours ce qu’il veut chez lui.
Bien à vous.
Benoît Van de Moortel