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Le contrat de travail et la clause de non concurrence. Par Cathy Neubauer, Avocate.
Parution : lundi 12 janvier 2015
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De plus en plus de salariés trouvent dans leur contrat de travail , une clause de non concurrence.
Ces clauses, qui ne sont pas réglementées par le Code du travail, sont à l’origine d’une abondante jurisprudence qui tente d’en dresser les contours.

Un peu d’histoire

Il convient avant tout de se souvenir que le droit du travail est un droit contractuel et partant de là, il y a une certaine liberté contractuelle, dès lors qu’il ne se heurte pas à l’ordre public relatif qui est l’apanage du droit du travail.
Il en résulte qu’aucun texte de loi ne prévoit de clause de non concurrence, sauf dans ce qui est appelé le droit local, qui est applicable dans les trois départements du droit local, à savoir le 57,67 et 68. Ces textes font partie du Code de commerce local et répondent à un régime juridique un peu différent de celui mis en place dans le régime général, c’est-à-dire dans les autres départements français.
Il s’agit donc d’une construction jurisprudentielle qui a mis en place le régime de la clause de non concurrence, qui avant le revirement de jurisprudence de l’an 2002 était plutôt permissif voire léonin dans certains cas.
La jurisprudence estimait que la clause de non concurrence était valable dès lors qu’elle laissait au salarié une marge lui permettant d’occuper un emploi en fonction de sa qualification professionnelle en précisant que cette clause ne devait absolument pas mettre le salarié dans l’impossibilité d’exercer de façon normale un emploi conforme à ses connaissances et à sa formation [1].

Aussi, dans un premier temps la jurisprudence a-t-elle estimé que la validité de la clause de concurrence se mesurait à l’aune de sa durée, de son espace géographique et de la nature des activités concernées.

Néanmoins, la Cour de cassation, par trois arrêts remarqués en date du 10 juillet 2002 ; a opéré un revirement de jurisprudence et a mis en place le régime encore aujourd’hui applicable à la clause de non concurrence.
 [2]

Le régime de la clause de non concurrence depuis les arrêts de 2002

La distinction avec les clauses voisines

Il convient avant tout de distinguer la clause de non concurrence de la clause de non démarchage de clientèle.
Cette dernière n’est ni une variante ni une précision de la clause de non concurrence
 [3].
A ce titre il s’agit d’une clause entre deux entreprises qui interdisent à la seconde de solliciter les services d’un salarié de la première entreprise, ceci même si ce salarié ne travaille plus dans ladite entreprise.
Cependant, dès lors qu’une telle clause peut porter atteinte à la liberté de travailler d’un salarié, l’employeur doit l’indemniser du préjudice ainsi causé. [4]

Par ailleurs, la Cour de cassation n’hésite pas à requalifier en clause de non concurrence des clauses qui ont le même effet, mais qui sont libellées autrement, afin de contourner sa jurisprudence.
Ainsi a été requalifié et annulé, une clause de « non détournement de clientèle »
 [5]

Une clause intitulée « clause de protection de clientèle », et qui interdisait au salarié, durant une période déterminée, d’entrer en relation, directement ou indirectement, et selon quelque procédé que ce soit, avec la clientèle qu’il avait démarchée lorsqu’il était au service de son ancien employeur, a elle aussi été requalifiée en clause de non concurrence déguisée et a été invalidée faute de répondre aux critères posés par la jurisprudence.
 [6]

Pour en revenir à la clause de non concurrence, les trois arrêts qui ont mis en place le régime juridique de la clause de non concurrence actuelle en droit général, forment la clé de voûte du régime juridique applicable à cette clause depuis lors.

Les conditions de validités de la clause de non concurrence

Les 3 arrêts du 10 juillet 2002 ont posé 5 conditions cumulatives pour valider une clause de non concurrence.
Le défaut d’un seul de ces critères mènera invariablement à l’invalidation de la clause.

La protection des intérêts légitimes de l’entreprise

Dans la mesure où la clause de non concurrence est une atteinte à la liberté du travail, elle n’est licite que dans la mesure où elle doit protéger les intérêts légitimes de l’entreprise.
Il faut que l’interdiction vise des entreprises susceptibles de faire concurrence à l’employeur. [7]

Régulièrement les juges ont à se prononcer sur la notion de protection des intérêts légitimes de l’entreprise.
Ainsi est justifiée la clause de non concurrence insérée dans le contrat d’un attaché commercial comme nécessaire à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, eu égard à la spécificité des activités de celle-ci
 [8]

Autre exemple, est valide une clause de non concurrence nécessaire dès lors qu’elle vise une certaine technique de fabrication, en l’occurrence des implants dentaires.
 [9]

Dans d’autres cas, la Haute Cour a estimé que la clause de non concurrence ne protégeait pas les intérêts légitimes de l’entreprise.
Par exemple, compte tenu du défaut de qualification spécifique du salarié, (laveur de vitres) la Haute Cour est estimé qu’il n’y avait pas matière à protection légitime des intérêts de l’entreprise. [10]

La limitation dans le temps

En vertu du principe qu’il n’est pas possible en droit français de s’engager indéfiniment, la Cour de Cassation a bien entendu également posé le principe de la limitation de la clause de concurrence dans le temps.
Dans le cadre de la limitation de la clause de non concurrence dans le temps, il convient tout d’abord de consulter la convention collective applicable.
En effet, cette dernière fixe souvent une limite maximale des clauses de non concurrence.
Par exemple, la Convention collective nationale métropolitaine des entreprises de la maintenance, distribution et location de matériels agricoles, de travaux publics, de bâtiment, de manutention, de motoculture de plaisance et activités connexes prévoit la limitation de la durée de la clause de non concurrence en fonction des différentes catégories d’emploi.
Cette convention prévoit des durées de clause de non concurrence allant de 6 mois à 18 mois, ceci en fonction de l’emploi occupé. Cette même convention collective prévoit également les indemnisations minimales.

A défaut de durée maximale indiquée dans la convention collective, la durée doit être raisonnable et s’apprécie en fonction de la contrepartie financière et de l’étendue géographique couverte par la clause.

La limitation de la clause de non concurrence dans l’espace.

Là encore, il convient en tout premier lieu de consulter la convention collective afin de vérifier si cette dernière impose des conditions en matière de limitation. Si tel est le cas, la clause de non concurrence doit respecter les dispositions de la convention collective.
Si la clause contenue dans le contrat de travail devait avoir une étendue géographique plus importante que celle prévue dans la convention collective, le Conseil des Prud’hommes peut décider de ramener cet espace géographique à celui prévu par la convention collective.
De même les juges peuvent annuler une clause de non concurrence.
 [11]

Le respect de la liberté du travail et des spécificités de l’emploi

La clause de concurrence ne doit pas entraver la liberté de travail qui est un principe fondamental du droit français.
Aussi, une clause de non concurrence ne peut attenter ni à la liberté du travail, ni aux spécificités de l’emploi.
La clause de non concurrence doit respecter le principe fondamental de la liberté d’exercice du travail. Cour de Cassation, Chambre Sociale 30 juin 2004 N°02-43.478
Par ailleurs, cette clause de non concurrence doit être annulée dès qu’elle interdit l’exercice de l’activité dans laquelle le salarié est spécialisé, même si la formation initiale du salarié devait être plus large.
 [12]

L’exigence d’une contrepartie financière

Depuis les arrêts de principe de 2002, l’exigence d’une contrepartie financière fait partie des conditions de validités de la clause de non concurrence.

Il convient de noter qu’une contrepartie dérisoire équivaut à l’absence de contrepartie
 [13]
Néanmoins, le juge qui a constaté que la contrepartie est dérisoire, ne peut pas annuler ladite clause et ensuite substituer son appréciation à celle des parties pour fixer lui-même la contrepartie qu’il estime être due au salarié.
 [14]
Néanmoins la jurisprudence n’a pas fixée de contrepartie minimale. La situation s’apprécie au cas par cas.
Ainsi la Haute Cour a décidé qu’une clause de non concurrence de 2 ans, comportant une contrepartie financière de 10 % du salaire mensuel est une contrepartie dérisoire et doit de ce fait être annulée.
 [15]
Il résulte d’une analyse de la jurisprudence que la contrepartie moyenne en delà de laquelle les juges refusent en général de reconnaître la validité de la clause de non concurrence est de 33 %.

La rupture du contrat de travail et la clause de non concurrence

La rupture du contrat de travail fixe le point de départ de la clause de non concurrence.

La date de versement de la contrepartie pécuniaire

Depuis une décision de 2011, la Haute Cour n’admet plus le paiement anticipé de la contrepartie pécuniaire.
A ce titre elle a décidé que la contrepartie d’une clause de non concurrence ne peut être versée avant la rupture du contrat de travail, et que seuls peuvent être pris en compte pour l’appréciation de la contrepartie dérisoire ou non, les montants versés après la rupture du contrat de travail.
 [16]

Certaines conventions collectives prévoient que le versement se fasse en capital, d’autres ne prévoient aucune modalité de règlement spécifique et laissent donc tout loisir aux parties au contrat de travail de fixer les modalités dudit règlement.
Néanmoins en cas de dispense de préavis, le point de départ de la clause de non concurrence et son indemnisation sont fixés au départ effectif du salarié de l’entreprise
 [17]

La renonciation à la clause de non concurrence

La renonciation à la clause de non concurrence par l’employeur est encadrée de façon très stricte par la jurisprudence.
En effet, dès lors que la clause de non concurrence est une clause prévue dans le contrat de travail et donc d’origine conventionnelle, pour que l’employeur puisse valablement y renoncer, il faut que cette faculté soit prévue ou par la convention collective applicable, ou par le contrat lui-même.
Lorsque le contrat ou la convention collective prévoient ce type de renonciation, l’employeur qui souhaite la mettre en œuvre doit en respecter les modalités prévues.
Il en résulte que si le contrat prévoit que l’employeur peut renoncer dans les 15 jours de la fin du contrat, s’il ne lève pas cette option dans les délais, sa renonciation n’est plus valable et il lui appartiendra de payer la contrepartie pécuniaire prévue.
Par contre, lorsque les dispositions prévoyant que la renonciation par l’employeur à la clause de non concurrence ne sont soumises à aucun délai, la Haute Cour estime qu’à défaut pour l’employeur de libérer immédiatement le salarié de la clause lors du licenciement, il reste tenu de verser la contrepartie.
 [18]

Le respect par le salarié d’une clause de non concurrence invalide

Il arrive que le salarié respecte une clause de concurrence dont il apprend ultérieurement la nullité.
En pareil cas la haute Cour estime que le fait pour un salarié de respecter une clause de non concurrence qui s’avère être invalide lui cause nécessairement un préjudice et lui donne droit à l’allocation de dommages et intérêts. [19]
Il appartient au juge du fond de déterminer le montant de ce préjudice. [20]

Par contre, lorsque le salarié ne respecte pas une clause de non concurrence illicite, il ne peut bien entendu pas prétendre avoir un préjudice. [21]

Le salarié se doit cependant d’être prudent, puisque même en cas de clause de non concurrence illicite, l’employeur peut, le cas échéant, engager l’action en concurrence déloyale contre son ancien salarié. [22]

Le non-respect par le salarié d’une clause de non concurrence valable

En cas de non-respect par un salarié d’une clause de non concurrence valide, l’employeur peut l’attraire en justice et lui demander réparation.
Néanmoins, il faut que l’employeur démontre que le salarié n’a pas respecté sa clause
 [23]

Enfin, il convient de noter que la jurisprudence sur les clauses de non concurrence est pléthorique dès lors que la Haute Cour a régulièrement, et ceci malgré les arrêts de principe de 2002, à se prononcer sur des difficultés issues de l’application ou de la validité des clauses de non concurrence.

Il en résulte qu’il faut rédiger ces clauses avec le plus grand soin afin de d’empêcher leur invalidation par le juge.

Cathy Neubauer Avocate.

[1Cour de Cassation, chambre sociale, arrêt du 31 mars 1982, N°79-17.087.

[2Cass. soc. 10 juillet 2002 n° 00-45.135 (n° 2723 FP-PBRI), Salembier c/ SA La Mondiale ; n° 00-45.387 (n° 2724 FP-PBRI), Barbier c/ SA Maine Agri et n° 99-43.334 (n° 2725 FP-PBRI), Moline et a. c/ Sté MSAS cargo international : RJS 10/02 n° 1119, Bull. civ. V n° 239.

[3Cour de Cassation, Chambre Commerciale, arrêt du 11 juillet 2006 n° 04-20.438.

[4Cour de Cassation, Chambre Sociale, arrêt du 2 mars 2011 n° 09-40.547.

[5Cour de Cassation, Chambre Sociale, arrêt du 2 juillet 2008 n° 07-40.618.

[6Cour de Cassation, Chambre Sociale, arrêt du 2 mars 2011, n° 08-43.609.

[7Cour de Cassation, Chambre Sociale, arrêt du 16 mai 2012 n° 11-10.712.

[8Cour de Cassation, Chambre Sociale, arrêt du 26 juin 2000 n° 98-43.729.

[9Cour de Cassation, Chambre Sociale, arrêt du 18 janvier 2012, n° 10-19.179.

[10Cour de Cassation, Chambre Sociale, arrêt du 14 mai 2992, n° 89-45.300.

[11Cour de Cassation, Chambre Sociale, arrêt du 28 mars 1998 n° 95-41.543.

[12Cour de Cassation, Chambre Sociale, arrêt du 30 janvier 2001 n°98-45.578.

[13Cour de Cassation, Chambre Sociale, arrêt du 15 novembre 2006 n° 04-46.721.

[14Cour de Cassation, Chambre Sociale, arrêt du 16 mai 2012, n° 11-10.760.

[15Cour de Cassation, Chambre Sociale, arrêt du 15 novembre 2006, n° 04-46.721.

[16Cour de Cassation, Chambre Sociale, arrêt du 22 juin 2011, n° 09-71.567.

[17Cour de Cassation Chambre Sociale, arrêt du 22 juin 2001 n° 09-68.762.

[18Cour de Cassation, Chambre Sociale, arrêt du 13 juillet 2010 n° 09-41.625.

[19Cour de Cassation, Chambre Sociale, arrêt du 12 janvier 2011, n° 08-45.280.

[20Cour de Cassation, Chambre sociale, arrêt du 15 mars 2006, n° 03-45.031.

[21Cour de Cassation Chambre Sociale, arrêt du 12 octobre 2005 n° 03-46.752.

[22Cour de Cassation, Chambre Sociale arrêt du 28 janvier 2005, n° 02-47.527.

[23Cour de Cassation, Chambre Sociale arrêt du 11 janvier 2006, n° 03-46.933.

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