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Protection des emprunteurs particuliers (1) : la convergence engagée des obligations des professionnels, de mise en garde et de conseil en crédit. Par Laurent Denis, Juriste.
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Parution : jeudi 19 février 2015
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A quoi peuvent bien servir les différences conceptuelles qui ont perdu toutes différences pratiques ? Les obligations des professionnels du crédit, prêteurs et distributeurs, reposent sur le couple formé par deux obligations : de mise en garde et de conseil. Les apports récents, légaux et jurisprudentiels révèlent la convergence grandissante de ces deux concepts. Les évolutions juridiques de la place de la solvabilité dans la décision de crédit éclairent de manière inédite la lutte intellectuelle, naguère taxée de « poétique », entre ces deux obligations spécifiques au crédit. Au point de poser désormais la question de l’intérêt pratique de la distinction entre obligation de mise en garde et obligation de conseil, dans le crédit. Tous les professionnels ont intérêt à s’interroger sur la valeur ajoutée de concepts dépourvus de conséquences pratiques.
Première partie : convergence des obligations de mise en garde et de conseil.
(Deuxième partie -à suivre : taux d’endettement maximal et solvabilité).
Au XIXe siècle, les débiteurs insolvables purgeaient leurs peines à la prison de Sainte-Pélagie, à l’angle des rues de la Clef et du Puits-de-l’Ermite, dans le 5e arrondissement de Paris. La société de consommation a rendu le droit du crédit foncièrement plus humain, en établissant d’autres équilibres entre prêteurs, distributeurs de crédits et emprunteurs.
Le Droit a ainsi calibré la protection des emprunteurs successivement par l’obligation de mise garde en crédit (en 2007), puis par l’obligation de conseil en crédit (en 2013), avec deux régimes différents.
1. Fondements juridiques différents de l’obligation de mise en garde et de l’obligation de conseil en crédits.
Désormais, la commercialisation des crédits est plurielle : directement auprès des agences des banques, mais également, auprès des distributeurs que sont les intermédiaires en opérations de banque, les courtiers en crédits, ou encore, depuis 2014, auprès des intermédiaires en financement participatif (ou « crowdfunding »), pour les emprunteurs entreprises.
1.1. Obligation de mise en garde des banques, en crédit.
Selon la jurisprudence référente bien connue, le dispensateur de crédit doit alerter l’emprunteur loyal et averti, quant à ses « capacités financières » et quant aux « risques de l’endettement né de l’octroi des prêts » [1]. Ces termes posent l’obligation de mise en garde.
Notons au passage le choix de l’expression délicate « risque d’endettement », puisque ce « risque » de voir l’emprunteur « endetté » se trouve réalisé à la première seconde de la souscription du crédit. D’une part, l’endettement n’est pas, en soi, un risque, dès lors qu’il est assumé. D’autre part, en matière de crédit, le risque serait plutôt celui du mal-endettement, voire, du surendettement.
Aussi, pour certaines Cours d’appel : « les établissements de crédit sont tenus à l’égard des emprunteurs non avertis d’un devoir de mise en garde au regard des capacités financières et des risques de surendettement de l’emprunteur » [2].
L’établissement de crédit agissant comme distributeur doit donc cette obligation de mise en garde ; celle-ci est d’intensité inférieure au conseil en crédit, apparue postérieurement.
1.2. Obligation de conseil des courtiers, en crédit.
Bien connue, l’intermédiation en crédits se caractérise par les activités consistant à « présenter, proposer ou aider à la conclusion d’opérations de banque […] ou à effectuer tous travaux et conseils préparatoires à leur réalisation » [3].
Les courtiers en crédits, IOBSP, distributeurs indépendants des banques, sont débiteurs d’une obligation de conseil envers leurs clients [4].
Cette obligation consiste à orienter les emprunteurs vers les crédits adaptés à leurs situations respectives, notamment financières.
2. Que reste-t-il de la différence entre obligation de mise en garde et obligation de conseil en crédits ?
L’intérêt pratique de la différence entre dissuader (conseiller) et alerter (mettre en garde) s’estompe lorsque les règles de preuve, tout comme les travaux d’analyse des professionnels, convergent en actes identiques.
2.1. Convergence des règles de preuve des deux obligations.
La banque doit donc « avoir satisfait à cette obligation [de mise en garde] à raison des capacités financières de [l’emprunteur] et des risques de l’endettement né de l’octroi des prêts ».
La banque doit prouver qu’elle a mis en garde, et si cette obligation était due.
Antérieurement, la charge de la preuve de la disproportion éventuelle du crédit reposait sur l’emprunteur. En effet, ni l’insolvabilité de l’emprunteur ni ses difficultés de remboursement ne suffisent à matérialiser la faute du banquier.
Avec la disproportion du prêt, l’emprunteur avait, bien souvent, à prouver le préjudice financier et désormais, la perte de chance (de ne pas souscrire le crédit).
Dans un cas d’espèce, les emprunteurs éprouvent des difficultés de remboursement ; l’établissement de crédit ne peut produire les éléments et fiches, prouvant qu’il a rempli son obligation d’explication.
Or, pour la Cour de Justice de l’Union européenne, saisie d’une question préjudicielle, la charge de la preuve de la violation des obligations d’information et d’explication du prêteur ne peut reposer sur l’emprunteur [5].
C’est au prêteur de placer l’emprunteur, qui ne dispose pas de regard critique sur la manière dont le prêteur a analysé sa solvabilité, en situation de faire un choix éclairé.
Les règles de preuve ne doivent pas faire obstacle à l’effectivité des droits de l’emprunteur.
Cet éclairage de la CJUE fait écho à l’appréciation récente de la Cour de cassation [6], fondée sur l’article 1315 du Code civil et confirmant une jurisprudence engagée en 1997.
Pour la CJUE, la clause-type que l’emprunteur peut avoir signée, à la demande de l’établissement de crédit, pour reconnaître avoir reçu la fiche d’information (non produite) ne lui est pas davantage directement opposable. La clause passe par l’examen du Juge. La CJUE se montre ainsi proche de la Commission des clauses abusives [7].
Enfin, point remarquable, la CJUE ne retient aucunement le critère si cher aux analyses de l’obligation de mise en garde : le caractère averti, ou non, de l’emprunteur. Elle l’ignore. De fait, le droit positif de la consommation n’avance quasiment plus dans la direction d’une distinction entre consommateurs, qui serait source de degrés différents de protection. La recherche de la part de responsabilité, voire de faute, incombant à tel ou tel emprunteur, du fait de son expérience ou des connaissances, devient secondaire.
Cette règle de preuve bénéficie à l’emprunteur, que le prêteur doit mettre « en mesure de déterminer si le contrat de crédit proposé est adapté à ses besoins et à sa situation financière » [8], là où la loi de transposition 2010-737 du 1er juillet 2010 était muette.
2.2. Convergence des exigences d’analyse de solvabilité.
Les deux obligations, de mise en garde et de conseil, se retrouvent à l’identique dans l’analyse préalable de la solvabilité de l’emprunteur.
Le prêteur, donc, la banque, analyse impérativement cette solvabilité : c’est tout simplement désormais une exigence légale pour l’établissement de crédit. Il en va de même pour le courtier.
Le prêteur « vérifie la solvabilité de l’emprunteur à partir d’un nombre suffisant d’informations, y compris des informations fournies par ce dernier à la demande du prêteur » [9]. En cas de vente à distance, par internet, ou de crédit proposé sur un lieu de vente de biens de consommation, le vendeur réalise une fiche qui « comporte notamment les éléments relatifs aux ressources et charges de l’emprunteur ainsi que, le cas échéant, aux prêts en cours contractés par ce dernier » [10].
Dans l’arrêt CJUE, C-449/13, mentionné, se posait la question des pièces justificatives de solvabilité : doivent-elles être systématiquement remises à la banque ? C’est au prêteur qu’il appartient de faire connaître ses souhaits.
En pratique « vérifier », qui vise à établir si un fait est conforme à la vérité, ne peut conduire qu’à analyser en détail, sans quoi la preuve de la conformité est inaccessible. Le professionnel du crédit est aussi le professionnel de la solvabilité, analyse technique dont bien des aspects peuvent échapper à la plupart des emprunteurs particuliers. Le large recours aux « scores » d’octroi en présente une illustration.
En revanche, comme c’est le cas en matière de devoir de conseil, la fraude du consommateur dégage naturellement le prêteur de la responsabilité de son analyse de solvabilité. C’est la limite à l’obligation du prêteur professionnel. L’autre protection du professionnel est l’application, récente, de la théorie de perte de chance, pour fixer le montant du préjudice.
Il faudra donc encore préciser l’obligation de conseil en crédit ; effective depuis janvier 2013, elle bénéficie de peu d’apports doctrinaux ou jurisprudentiels.
En l’état, le prêteur diligent doit « avoir conscience de la nécessité de collecter et de conserver des preuves de l’exécution de ses obligations d’information et d’explication ». Ceci s’applique également à la vérification de la solvabilité de l’emprunteur, soumise à l’examen du Juge.
Pour les prêts renouvelables, la solvabilité est à réexaminer au moins une fois tous les trois ans [11].
L’obligation de mise en garde est une alerte. Mais l’analyse impérative de la solvabilité de l’emprunteur en transforme les contours. Dès lors que la solvabilité fait ressortir l’inadéquation du crédit envisagé aux ressources du candidat à l’emprunt, que vaut « l’alerte » qui serait pourtant suivie de l’octroi effectif du crédit ? Question cruciale. Parions que les évolutions récentes conduiraient à la responsabilité du prêteur, comme dans le défaut de conseil.
Justement, l’intermédiaire IOBSP, quant à lui, « doit s’abstenir de proposer un contrat qui ne serait pas adapté aux besoins du client » [12]. Le conseil en crédit exige l’analyse poussée du risque d’endettement, imposant au distributeur de préciser en quoi les capacités financières de l’emprunteur sont compatibles avec la charge du crédit proposé, et comment l’emprunteur maîtrisera les risques de déséquilibre potentiellement nés de l’octroi des prêts.
L’article R. 519-21 détaille cette analyse : « lorsque le contrat porte sur une opération de crédit, l’intermédiaire en opérations de banque et en services de paiement s’enquiert auprès du client, y compris du client potentiel, de ses connaissances et de son expérience en matière d’opérations de banque ainsi que de sa situation financière et de ses besoins, de manière à pouvoir lui offrir des services, contrats ou opérations adaptés à sa situation.
L’intermédiaire doit recueillir également auprès du client, y compris du client potentiel, des informations relatives à ses ressources et à ses charges ainsi qu’aux prêts en cours qu’il a contractés, permettant à l’établissement de crédit ou à la société de financement de vérifier sa solvabilité ».
Pour le courtier IOBSP, le Code monétaire et financier précise la manière d’appréhender la solvabilité de l’emprunteur, par la notion de « crédit approprié ».
« Ils veillent à proposer de manière claire et précise au client, y compris au client potentiel, les services, opérations ou contrats les plus appropriés parmi ceux qu’ils sont en mesure de présenter. Ils doivent s’abstenir de proposer un service, une opération ou un contrat qui ne serait pas adapté aux besoins du client ou du client potentiel » [13].
« L’intermédiaire précise au client, y compris au client potentiel, les raisons qui motivent ses propositions et lui indique comment il a pris en compte les informations qu’il a recueillies auprès de lui » [14].
« I. ― Les intermédiaires doivent s’abstenir de transmettre des fausses déclarations ou des éléments susceptibles de donner une opinion erronée du client à l’établissement de crédit, […] » [15].
Il convient de noter que les dispositions applicables aux courtiers n’opèrent pas davantage de distinction entre clients, notamment, du fait de leur caractère « averti » ou non. Tous les emprunteurs sont, ici, protégés identiquement, ce qui constitue une simplification notable.
L’obligation de conseil est une orientation claire. Elle suppose la nécessité de l’analyse approfondie de la solvabilité de l’emprunteur.
Les liens juridiques établis entre IOBSP et banques contribuent également à resserrer vers une même base les concepts d’obligation de conseil et d’obligation de mise en garde.
En effet, le Code monétaire organise le lien entre les obligations de l’intermédiaire et celles du fournisseur de crédits ; car, nous venons de le voir, « l’intermédiaire » recueille « auprès du client » les informations « permettant à l’établissement de crédit de vérifier sa solvabilité » [16]).
2.3. Convergence dans la prise en compte des situations de couples.
L’emprunt en couple soulève maintes questions. Sous le seul angle examiné, celle des revenus à prendre en considération, individuels ou du couple, mérite attention. Elle ne présente pas de différence, selon que le crédit soit souscrit dans le réseau d’un courtier-IOBSP ou directement dans le réseau de vente d’un prêteur.
L’intégration systématique des revenus du conjoint dans les analyses de solvabilité, en l’absence de toute solidarité contractuelle, s’avère une pratique erronée.
Cette prise en compte systématique des revenus du conjoint, sans vérification préalable des critères attestant d’une solidarité juridique, surestime les capacités d’emprunt.
Avec le nouvel article 220 du Code civil [17] : la solidarité entre époux « n’a pas lieu non plus, s’ils n’ont été conclus du consentement des deux époux, pour les achats à tempéraments ni pour les emprunts, à moins que ce derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante et que le montant cumulé de ces sommes, en cas de pluralité d’emprunts, ne soit pas manifestement excessif eu égard au train de vie du ménage ».
Seuls les cas visés par cet article entraînent la solidarité de couple ; hors ces cas, l’emprunteur en couple ne peut engager que ses revenus.
En conclusion, il s’agit de protéger l’emprunteur « des risques nés de l’endettement » (devoir de mise de en garde de la banque et devoir de conseil du Courtier-IOBSP). Pour rendre cette protection effective, la vérification de la solvabilité est désormais impérative, tant pour le courtier que pour la banque. De ce point de vue, leurs obligations respectives ne présentent plus guère de différence. Des évolutions récentes du droit positif estompent les différences entre ces deux obligations ; leurs écarts théoriques commencent à avoir bien du mal à trouver des applications pratiques distinctes et, surtout, convaincantes du point de vue de la sécurité juridique des opérations de crédits.
Finalement, en pratique, tout comme le courtier distributeur, le prêteur ne doit-il pas, accompagner l’emprunteur, et s’enquérir de « ses connaissances et de son expérience en matière d’opérations de banque ainsi que de sa situation financière et de ses besoins, de manière à pouvoir lui offrir des services, contrats ou opérations adaptés à sa situation » (devoir de conseil en crédits).
Il s’ensuit que la question de l’intérêt de la coexistence des deux obligations est, davantage encore, posée. Clarifier le Droit du crédit réduirait l’aléa judiciaire artificiel que font peser les débats conceptuels subtils sur ces deux régimes visant un même objet. Plus utilement, préciser l’obligation de conseil en crédit, pour en fixer les limites et les mécanismes pratiques d’application, devient nécessaire.
Cette convergence vers un même régime de protection des emprunteurs ne peut que s’accroître. L’arrivée, en droit français, de la Directive sur les crédits immobiliers [18], en mars 2016, ouvre une première occasion de parfaire l’homogénéité du niveau de protection des emprunteurs, via les explications pré-contractuelles ou les principes d’analyse de sa solvabilité.
En pratique, la correspondance d’obligations harmonise la protection de l’emprunteur : car pour un même produit de crédit, créant les mêmes risques, la protection ne peut être différente selon le canal de distribution, alors même que l’incidence de ce canal sur le risque d’endettement est nulle, à crédit et emprunteur identiques. Il n’est que temps que tous les « conseillers » bancaires pratiquent… le conseil, tout comme les courtiers-IOBSP.
Le panorama récent de l’analyse du taux d’endettement des emprunteurs vient confirmer l’impératif du conseil en crédit.
A suivre : les notions de taux d’endettement maximal et la solvabilité, vues par la jurisprudence.
Laurent Denis Juriste - Droit bancaire et financier - Droit et Conformité des Intermédiaires Intervenant à l\'ISFI / Formations bancaires (www.isfi.fr) www.droit-distribution-bancaire.fr[1] Cour de cassation, Ch. Mixte, deux arrêts du 29 juin 2007, sur le fondement de l’article 1147 du Code civil.
[2] Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 2014.
[3] article L. 519-1 du Code monétaire et financier.
[4] articles R. 519-27 à R. 519-31 du Code monétaire et Conseil d’Etat, 24 juin 2013, n°363 544.
[5] CJUE, C-449/13 du 18 décembre 2014.
[6] Cour de cassation, Civ. 1ère, 9 juillet 2013, Jurisdata 2013-014719.
[7] Avis 13-01 du 6 juin 2013.
[8] Directive sur le crédit à la consommation, 2008/48.
[9] article L. 311-9 du Code de la consommation, depuis juillet 2013.
[10] article L. 311-10 du même Code.
[11] art. L. 311-16 al. 4 du Code de la consommation.
[12] art. R. 519-28 du Code monétaire et financier.
[13] art. R. 519-28 du Code monétaire.
[14] art. R. 519-29 du même Code.
[15] art. R. 519-31 du même Code.
[16] article R. 519-21 du Code monétaire et financier, supra.
[17] Loi n°2014-344 du 17 mars 2014.
[18] MCD 2014/17/EU du 4 février 2014.
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